Mai 68 et les jeunes militants : Pavés de bonnes intentions
Société

Mai 68 et les jeunes militants : Pavés de bonnes intentions

Mai 68 peut-il être une source d’inspiration pour le mouvement jeune? Est-ce que la mobilisation de masse peut encore servir la cause des jeunes en matière d’éducation et d’emploi? Nous avons posé la question à de jeunes militants, d’un bout à l’autre du spectre politique.

Nikolas Ducharme
Président de la Fédération des étudiants universitaires du Québec
«On peut s’inspirer du sentiment de révolte, de ce refus des anciens schèmes, qui a marqué Mai 68. On entend parler de crise économique depuis 20 ans. Et le discours dominant, c’est toujours celui qui est fondé sur une logique budgétaire et compétitive. Les jeunes en ont ras le bol de ce discours-là et commencent à s’unir pour le dire. L’année prochaine, ça risque de brasser pas mal…

Nous sommes plus pragmatiques. Nous avons fait des gains très concrets – le gel des frais de scolarité et les 80 millions à l’aide financière, par exemple. Les plus importantes manifestations étudiantes ont eu lieu ces dernières années, à l’exception de celle de "McGill français". Les jeunes ont redécouvert la solidarité.
Je crois que nous avons besoin d’un gros débat sur les jeunes et la société. La situation stagne, s’envenime. Il est temps de remettre l’histoire en marche, de briser la logique de l’impératif zéro pour développer un projet porteur d’humanisme. Les jeunes n’ont pas de lieux pour s’exprimer, et peu de gens les écoutent. Et ce ne sont certainement pas des politiciens du vide comme Jean Charest qui vont changer les choses! Il est temps pour nous de fissurer les colonnes du temple. En ce sens, l’énergie qu’il y a eu en France, en mai 68, peut être un symbole pour le mouvement jeune.»

Patrice Savignac-Dufour
Membre du Conseil permanent de la jeunesse
Ancien président du Comité jeunes de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
«Aujourd’hui, nous sommes obsédés par les plans, les effets, les stratégies. Le mouvement étudiant fait des conférences de presse plutôt que de l’éducation populaire et politique. C’est un peu la même chose qui se passe dans le mouvement syndical. Aujourd’hui, il y a des manifs pour syndiquer les McDo. Avant, il y aurait eu des manifs pour les abolir! On ne parle plus de l’aliénation des casinos, on les syndique! Il est tout à fait légitime de vouloir se syndiquer. Mais je crois aussi qu’il faut faire des débats, périodiquement.

Je ne souhaite pas revenir à un idéal d’utopie comme en mai 68… mais je ne crois pas non plus à l’utopie libérale à tout prix! Nous devons faire un passage obligé vers un certain équilibre, non pas revenir au tout collectif mais dépasser le tout individualiste. C’est pour ça que je parle d’individualité. Ce qui est différent. C’est se rendre compte que le fait de maintenir des outils collectifs nous sert individuellement, nous permet de mieux vivre.

Je pense – et beaucoup ne seront pas d’accord! – que les jeunes d’aujourd’hui, à l’exception des leaders, sont plus politisés que ceux de Mai 68. Je ne suis pas certain que la plupart des manifestants comprenaient l’essence idéologique de leur geste! Aujourd’hui, nous sommes à la fois plus individualistes et plus politisés. On se rend compte qu’en sacrifiant un peu de notre liberté individuelle, on assure, justement, à plus long terme, cette même liberté.»

Évelyne Pedneault
Membre de la Coalition Y
«Sans endosser l’idéologie Peace and Love, il faut reconnaître que les objectifs poursuivis par les manifestants de Mai 68 sont encore pertinents aujourd’hui. Ils n’ont pas tous été atteints et certains sont même à "réatteindre", à cause des reculs des dernières années. On peut se rassembler sous un objectif global d’égalité – entre les sexes, entre les classes – mais on y aspire par une éducation accessible, gratuite et de qualité. Les grands objectifs trouvent des applications concrètes. Nous privilégions l’action directe, les manifestations qui peuvent parfois s’approcher d’un mouvement de masse.

On a fait un ‘manifestagit’. Dans le cadre d’une journée d’actions, un petit groupe est allé au Parlement pendant la période de questions. Chacun avait une phrase à crier, un message à passer. Ça s’inscrit dans une stratégie de contestation. Nous avons obtenu le gel des frais de scolarité jusqu’à la fin du mandat péquiste. On s’attend donc à une hausse, que ce soit l’un ou l’autre parti qui remporte les élections. Il faudra aussi voir quelles sont les conséquences à long terme – probablement catastrophiques! – de la taxe à l’échec et des autres coupes en éducation. Il y aura de plus en plus de possibilités de contestation.»

Mario Dumont
Chef de l’Action démocratique du Québec
«Mai 68 peut servir de leçon pour ceux qui ne votent pas! Quand on s’occupe de ses affaires, quand on est nombreux, on peut changer des choses. Mais la lecture qu’on faisait de la société à l’époque est complètement dépassée, elle ne correspond plus du tout à notre façon de voir les choses aujourd’hui. Il faut aussi se rendre compte que nous sommes moins nombreux. On pèse moins lourd dans la balance. L’approche a complètement changé.

On ne fait plus appel à de grands idéaux théoriques. On dira plutôt: "Bon, cette année, dans le contexte que nous vivons actuellement…" et on proposera des solutions plus pratiques. On aurait l’air fou de proposer la gratuité scolaire aujourd’hui! Il nous faut vivre avec certaines contraintes. Et il faut en tenir compte dans la joute politique sinon on ne nous écoutera pas!»

Véronique Salmon
Membre des Jeunesses ouvrières chrétiennes
«Mai 68 peut servir d’inspiration pour les jeunes militants, ceux qui sont déjà conscientisés. Mais ça va s’étendre! C’est cyclique. La situation est de plus en plus précaire pour de plus en plus de jeunes. On n’aura pas le choix de retourner dans la rue. En fait, c’est déjà commencé. Mais ça se fait d’une manière plus désorganisée, plus spontanée. Je pense aux jeunes qui ont entouré le Parlement il y a deux ou trois ans, aux tensions qu’il y a eu sur le boulevard Saint-Laurent. Mais il faudrait s’organiser… Mai 68, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain! Ça a pris des années. Par contre, Mai 68, c’est très loin de notre réalité. Je crois que les jeunes se battaient alors contre "le long terme", contre un certain mode de vie. A l’époque, il y avait aussi beaucoup de répression. Le Vietnam. Les événements d’octobre. Il y en a peu, aujourd’hui, pour qui tout ça signifie quelque chose.»

François Rebello
Membre du groupe de réflexion Un Pont entre les générations
Ancien président de la Fédération des étudiants universitaire du Québec
«Si l’establishment actuel reste insensible aux iniquités sociales, nous nous dirigerons vers une crise telle que Mai 68. Il faut prendre certains virages, en éducation, en santé. L’arrivée de la nouvelle génération peut faire changer les choses. Mais ça prend une prise de conscience, une critique des positions trop corporatistes. Les jeunes gauchistes remettent en question les syndicats. Les jeunes libéraux font la même chose avec certains principes néo-libéraux. Nous avons besoin d’une réflexion, d’une meilleure planification, pas d’une révolution!

Je puise beaucoup plus d’inspiration dans l’approche qui a été développée ici pendant les années 60, celle qui a créé le nouvel état du Québec, que dans des mouvements comme Mai 68. Hydro-Québec, la Caisse de dépôt, le rapport Parent, ce ne sont pas les communistes qui ont fait ça mais les Lévesque, les Parizeau. Les révolutionnaires veulent tout foutre en l’air pour recommencer. Ce n’est pas très constructif… Ce sont les réformistes qui changent les choses.»

Jean Hertel-Lemieux
Président du Comité national des jeunes du Parti québécois
«Aujourd’hui, les jeunes sont moins idéalistes mais plus pragmatiques. Nous sommes moins des "brasseux de pancartes" que des lobbyistes, ce qui ne nous empêche pas de consulter régulièrement notre base militante. Mais maintenant, on fait cheminer un dossier "par l’intérieur". C’est ce qu’on a fait, par exemple, avec celui des travailleurs autonomes. Résultat: une politique qui accordera une certaine reconnaissance, un filet de protection sociale aux travailleurs autonomes. C’est une question d’équité pour un nombre de plus en plus important de personnes, de jeunes. Les coûts sont énormes mais le dossier avance très bien parce que les gens veulent régler le problème.

Nous sommes en contact avec la majorité des groupes de jeunes. Et même si nous ne sommes pas toujours d’accord sur les moyens d’arriver à nos fins, nous sommes souvent d’accord sur le fond des choses. Mais il n’est pas question de déchirer notre chemise sur la place publique! On nous a déjà traités "d’aplat-ventristes". Mais nous aussi, on veut continuer à faire avancer les choses! Nous aussi, on veut mettre plus de beurre sur notre pain!»