Élections municipales : Devoir de parole
Montréal s’achemine vers des élections. Mais les candidats en lice ne disent rien de consistant. Ils se contentent de comparer leurs popularités. Heureusement, des citoyens veillent au grain, et organisent des assemblées populaires pour parler des vraies affaires.
Devant le désolant concours de Miss Montréal 98 auquel se livrent les quatre candidats à la mairie de Montréal, des citoyens au sens communautaire aiguisé ont décrété un cessez-le-feu entre les partis. «Faites taire vos canons, bande de boutefeux, et dites-nous à quel agenda politique vous carburez», demandent-ils, en substance, aux candidats à la mairie. C’est le cas de Jim Olwell, qui travaille au CLSC Notre-Dame-de-Grâce, mais qui est aussi vice-président du conseil communautaire du même quartier. «Les candidats soignent beaucoup leur image devant les médias, dit-il. Ils coupent leur moustache en direct. Mais sait-on quoi ou qui ils représentent? Nous n’en avons aucune idée. Il faut que cesse ce manège, et qu’on sache quelles sont leurs positions sur les enjeux de la prochaine campagne.»
«On peut difficilement se faire une idée des positions des différents partis sur tel ou tel dossier, enchaîne Jacques Bordeleau, coordonnateur de Solidarité Villeray, parce que la notion de parti politique à Montréal est pour le moins flottante ces jours-ci. Les candidats passent d’un parti à l’autre, comme ça. Est-ce à dire qu’ils sont tous du pareil au même?»
Or, comme le clip de trente secondes donne trop peu de temps, et comme la presse écrite laisse trop de place à la langue de bois des politiciens, Jim et ses amis du monde communautaire montréalais invitent les Montréalais à discuter à voix haute de la privatisation, de la protection de l’environnement, de la démocratie municipale, de la crise du logement et du développement communautaire, dans une série d’assemblées de quartier: L’avenir de Montréal, à vous de décider / The Neighbourhood Tour.
On invitera aussi les candidats aux élections municipales… pourvu qu’ils se la ferment et qu’ils écoutent. Tout ce qui grouille comme élus, candidats, et ex-politiciens municipaux dans chacun des quartiers ont été conviés à ces réunions, mais ils n’auront pas le droit de parole partisane. Les assemblées ont un objectif pédagogique d’abord et avant tout.
«Le fait de voter en toute connaissance de cause constitue l’un des idéaux les plus précieux de la démocratie, poursuit Jim Olwell. Mais les citoyens ne connaissent pas les enjeux de cette élection. Ils sont tenus dans l’ignorance par les politiciens, qui n’abordent pas les vraies questions. Ou quand ils en parlent, c’est dans une langue de bois que les électeurs ne comprennent pas. A ce compte-là, on est en train de perdre notre démocratie.»
Des comptes à rendre
Pour le moment, quatre de ces assemblées de quartier (dans Villeray, Saint-Henri, Côte-des-Neiges/Snowdon et Milton Parc/Mile-End) sont inscrites au programme. Une autre dans NDG a déjà eu lieu, et d’autres pourraient s’ajouter d’ici peu. Elles sont organisées sous l’égide du Coordination mouvement communautaire montréalais (CMCM).
Pour atteindre leurs buts, les organisateurs ont évité la formule consacrée (genre: un franco, un anglo, un expert des langues dans le milieu) pour animer leurs assemblées, parce que cette formule se résume trop souvent à un crêpage de chignon arbitré.
Ils ont plutôt opté pour la formule commission d’enquête inversée: cinq spécialistes exposeront d’abord le B.A.-BA des enjeux reliés à la campagne municipale, puis répondront aux questions et aux commentaires des citoyens. «Nous allons nous assurer que les débats ne soient pas monopolisés par des partisans des candidats, explique Olwell. De toute façon, ils ont sûrement beaucoup à apprendre des citoyens, même si nous avons la présomption que les candidats ont une grande connaissance des "vrais" dossiers de la campagne électorale…»
Yves Bellavance s’occupe de la Table régionale des organismes volontaires d’éducation populaire (TROVEP). Il a organisé des activités semblables pour de nombreuses élections municipales. Mais c’est la première fois qu’il voit à coordonner sous un même chapeau un ensemble d’assemblées de quartier. «Ce qu’il faut éviter, c’est que chaque quartier profite de ces assemblées pour y aller de sa liste d’épicerie remplie de récriminations locales. Notre rôle sera de voir plus globalement, pour chacun des dossiers.»
Pour Yves Bellavance, les assemblées de quartier sont un excellent point de départ. «Mais il faut aller plus loin que ça», prévient-il. Il espère organiser avec les gens du CMCM un débat des chefs, et défendre des points de vue concrets sur certains dossiers chauds, à défaut que les partis ne le fassent eux-mêmes. «Ces temps-ci, on a l’impression d’être revenu à l’ère Drapeau. Les partis politiques ont l’air de gros clubs politiques.»
Bellavance veut aussi mettre sur pied un comité de suivi des engagements électoraux, afin que les politiciens ne se désistent pas une fois leurs votes bien en poche. «On l’a vu avec Bourque. Pas grand-chose de ce qu’il a promis en 94 ne s’est concrétisé. Ç’a plutôt été une grande improvisation de quatre ans.»
Jim Olwell compte beaucoup sur ses assemblées de quartier – «peut-être naïvement» – pour remettre la démocratie sur ses rails. «Il est temps que les élus sachent qui ils représentent vraiment. Il ne faut pas qu’ils fassent comme Jean Charest: un jour, il a dénoncé l’objectif du déficit zéro sur le dos de la santé. Et le lendemain, il a changé son fusil d’épaule.»
Prochaines assemblées populaires:
Le 8 juin (Milton Parc/Mile-End) au YMCA Du Parc, angle Saint-Viateur, à 19 h. Info: Clément Schreiber, 282-8378.
Le 10 juin (Côte-des-Neiges/Snowdon), Centre de la Peltrie, au 5820, chemin de la Côte-des-Neiges, à 19 h. Info: Denise Lasalle, 738-2835.