Débat du 24 juin : L'indépendance est-elle encore pertinente?
Société

Débat du 24 juin : L’indépendance est-elle encore pertinente?

Mercredi, le Québec sortira ses drapeaux et fera la fête. Comme toujours, cette journée sera l’occasion pour les tenants du Oui et ceux du Non de continuer leur combat. Mais la fameuse question mérite-t-elle encore que l’on y consacre autant d’énergie? L’indépendance est-elle une idée dépassée, ou une cause toujours actuelle?

Ça va faire, calv.! Avec trois petits points pour la rime afin de ménager les susceptibilités de ceux qui ont encore des soutanes dans les oreilles. Qu’on me comprenne aussi parmi ceux qui ont le populo chic: y en a marre! Marre des peddlers d’indépendance! Marre d’entendre les éminences grisonnantes du mouvement nous seriner toujours les mêmes rengaines.

Il y a ceux qui nourrissent le vieux joual de bataille de la dégénérescence du français en faisant tout un plat d’opuscules qui s’affichent ouvertement être du frère Untel réchauffé. D’autres dégainent la plus émoussée des scies souverainistes: celle du poids de l’histoire (pour ne pas parler de son fardeau, ou même du Falardeau de l’histoire – le père d’Elvis Gratton étant de ceux qui ressassent le plus souvent l’argument), qui devrait à lui seul suffire à faire pencher tous les Québécois du «bon» côté.

La raison de l’indépendance serait de réparer l’affront de la Conquête de 1760. On nous sert du même souffle, la voix nouée d’émotion, la tragédie de la Rébellion, les Patriotes pendus à la prison du Pied-du-Courant, et les trois ou quatre malheureuses phrases de lord Durham qu’il faudrait finir par faire ravaler à tous les anglos. Aussi bien dire que la souveraineté servirait seulement à tourner une mauvaise page d’histoire.

Nous avons certes à régler quelques vieux comptes que le passé a laissés en suspens. Mais s’il est éventuellement explicable de trouver un semblable fond de sève revancharde chez ceux qui peuvent se revendiquer de vieille souche, elle ne saurait nourrir les aspirations de nos greffons. Les nouveaux arrivants ne sont pas ici pour faire l’histoire à la place de nos ancêtres: tout ce qu’ils veulent, c’est se refaire une vie – ce qui est déjà un sapré contrat!

Quant aux «maudits Anglais» qui nous entourent de nos jours, souvent ils ne sont même pas d’origine britannique, et, pour la plupart, leurs aïeux n’étaient pas encore arrivés au pays à l’époque de la Conquête, ni même au temps de la Rébellion! Il est tout à fait absurde de prendre prétexte qu’un des leurs n’a pas été tendre avec nous aux environs de 1837 pour prétendre que les anglophones d’aujourd’hui continuent à nous mépriser; et si les anglos se justifiaient, afin de soutenir l’idée que les francos veulent tous leur faire la peau, du fait que Frontenac a refusé de négocier avec les Britanniques autrement que par la bouche de ses canons.

On a vu, l’an passé, certains de nos béni-oui-oui de la francophonie se réclamer de leurs ancêtres les gaullistes! Il faudrait faire l’indépendance afin de donner raison au Général d’avoir laissé échapper son «Vive le Québec libre!» du haut du balcon de l’hôtel de ville. Par fidélité à ce qui ne sera jamais rien de plus qu’un court paragraphe, voire une note en bas de page dans les biographies du personnage. En fin de compte, on s’accroche à la souveraineté non pas parce qu’elle demeure nécessaire, mais comme pour s’excuser de ne pas l’avoir fait quand c’était le temps!

Depuis les années soixante, nous avons fini par prendre concrètement le contrôle de notre appareil gouvernemental, et d’une partie des forces économiques: par réaliser bon nombre des objectifs liés à l’accession à la souveraineté sans avoir besoin de la réaliser. Tout ce qu’on trouve de nouveau à nous dire, c’est que la situation ne serait malgré tout pas aussi bonne qu’elle en a l’air. Chaque fois que j’entends quelqu’un en appeler de la domination socioéconomique des anglophones, il me semble suffisant de lui pointer du doigt le nombre grandissant de petits boss pure laine empressés de manger celle qu’ils trouvent sur le dos de leurs employés.

La lutte n’est certainement pas finie, et le fractionnement politique des dernières élections fédérales démontre que le Québec n’est pas le seul à avoir des relations problématiques avec le pouvoir central. Peut-être aurons-nous simplement été les premiers à être sensibles à la nécessité d’une refonte majeure de l’État canadien. Chose certaine, on ne peut plus poser la question de l’autonomie gouvernementale et culturelle dans les mêmes termes que par les décennies passées.

Avant de se demander pour une troisième fois si le Québec doit ou non se constituer en État plus ou moins indépendant, ou même s’il est en droit ou pas de le faire, il est nettement plus urgent de répondre à une tout autre question: acceptons-nous de participer à un débat qui se réduit désormais à un choix entre l’armateur Martin et le liquidateur Landry, entre des William Johnson et des Gilles Rhéaume, des Guy Bertrand et des Guy Bouthillier, entre les partitionnistes et la Société Saint-Jean-Baptiste – d’avoir pour seule alternative ou bien des mémés avec des unifoliés de papier plantés dans la perruque, ou bien des mononcles avec un fleurdelisé noué autour de la bedaine?
Au Québec, on ne discute plus d’options politiques: on se chicane proprement pour un oui ou pour un non. Quel que soit le libellé du prochain référendum, il reviendra parfaitement au même de pencher d’un côté ou de l’autre: on grossira les rangs du même parti, celui de l’étroitesse d’esprit.

Tous les drapeaux sont des torchons, sauf lorsqu’ils sont rouges, ou noirs.
Ce n’est pas en maintenant active la flamme souverainiste qu’on pourra éteindre les feux que la pauvreté allume au sein de notre société. Les squeegees sont les nouveaux porteurs d’eau.