Démente volatilité
La crevette de l’estuaire du Saint-Laurent a des mours sexuelles pour le moins surprenantes: elle peut changer de sexe des dizaines de fois au cours de sa vie, au rythme des besoins de reproduction, afin d’assurer la survie de l’espèce.
Il semble que la vie politique municipale de la métropole évolue selon le même système. Tels les célèbres crustacés de Matane, les conseillers municipaux troquent, à la première occasion, leurs partis respectifs contre la nouvelle saveur du mois, histoire d’assurer leur pérennité.
C’est déroutant pour le citoyen, habitué de vivre dans un monde politique bipolaire, séparé par une frontière quasi infranchissable: souverainistes et fédéralistes, libéraux et péquistes, où seule la démence subite peut expliquer le choix des vire-capots.
C’est vrai qu’ils ont l’allégeance ambiguë, les animaux politiques municipaux. Ça «défecte» d’un peu partout, dirait Mike Bossy. Cela s’explique: la démocratie montréalaise est encore toute jeune. Pendant trente ans, Montréal a vécu sous le régime unipartiste de Jean Drapeau et de son Parti civique (PCM). Qualifier de parti la machine de Jean Drapeau, était au départ une erreur de sémantique. On avait affaire plutôt à une organisation aux frontières de la franc-maçonnerie: un noyau d’une trentaine de personnes, parmi les plus influentes en ville, qui faisaient la pluie et le beau temps.
La démocratie est née le jour où le régime du PCM a connu sa crise indonésienne avec le fiasco olympique. Si Drapeau a permis une modernisation rapide du patelin, son départ devenait toutefois essentiel pour la suite du monde. La démocratisation était alors en marche, mais le Parti civique n’a pas survécu à sa transformation en vrai parti politique, avec des membres, des délégués, et des congrès d’orientation. Le successeur de Drapeau, Claude Dupras, a échoué lamentablement. En 86, on se retrouvait donc encore une fois dans un système à un seul parti, avec le RCM de Jean Doré au pouvoir.
Depuis, la rémission est longue, avec ses progrès retentissants, comme ses rechutes inquiétantes. Aux Méchins ou à Saint-Agricole, cette absence de partis bien enracinés dans la communauté se tolère; la mission du conseil municipal des petites localités consiste, en gros, à offrir la meilleure collecte des ordures au moindre coût, et à fonctionner comme un club de danse en ligne. Et ce n’est pas parce que c’est en ligne que c’est nécessairement branché.
A Montréal, c’est différent: la municipalité de Montréal compte plus d’habitants, possède plus de pouvoir économique, social et culturel que six provinces canadiennes sur dix. Pour le bien du Québec, la vitalité de la démocratie montréalaise est indispensable, ne serait-ce que pour faire contrepoids au pouvoir centralisateur du gouvernement du Québec.
Petite semaine
Semaine tranquille sur le plan de la cabale, qui a permis à Pierre Bourque de se montrer, à deux reprises, sous son meilleur jour. D’abord, inauguration de la nouvelle place Jacques-Cartier, soulagée du stationnement surélevé (en face de l’hôtel de ville) qui tuméfiait le paysage, et émasculée de son amiral Nelson, bientôt de retour d’une cure de jouvence.
Puis, lancement de la Cité du multimédia, une enclave dans l’Ouest du Vieux-Montréal, où plusieurs entreprises dans ce domaine ont manifesté l’intérêt de s’y installer. «C’est un nouveau Silicon Valley», de commenter le vice-premier ministre Bernard Landry. Comme La Presse a sa chronique hebdomadaire «Silicon Valley», dans la section Technologie, le San José Mercury aura peut-être, un jour, sa rubrique «Faubourg des Récollets». Porteur d’avenir.
Quel est le pointage, Vermicelle?
Deux morceaux de robot bien mérités au maire Bourque et au comité exécutif, qui, dans deux événements distincts, ont résisté à l’intolérance des commerçants de la ville. En année électorale, c’est beaucoup.
D’abord, le maire n’a pas bronché d’une coche lorsque les commerçants du Marché Bonsecours, au lendemain de l’annonce du déménagement temporaire de l’Accueil Bonneau au Marché, ont crié un indécent: «Les clochards vont faire fuir les touristes…» Il a même réussi à convaincre ces mécréants de les accueillir à bras ouverts!
De plus, le maire continue de résister aux pressions des commerçants du Quartier latin, qui exigent que l’on «nettoie» le secteur des jeunes marginaux. De dire leur représentant: «La plupart viennent de l’extérieur, faudrait leur payer des billets d’autocar ou d’avion aller-seulement, pour les retourner à leur lieu d’origine, sinon, des "contrats" vont se donner.»
On se croirait dans les favelas de Sao Paolo, où les pauvres sont abattus par des tueurs à gages pour cause de nuisance publique!