Société

L’homéopathie: du placebo à la réalité : Science dessus dessous

Tout à fait marginale au Québec il y a une vingtaine d’années, l’homéopathie occupe un espace grandissant sur les tablettes des pharmacies. Même si, après des années de recherche, ses promoteurs n’ont toujours pas démontré qu’elle soit plus efficace qu’un simple placebo.

Pas facile d’expliquer l’engouement des dernières années pour les médecines dites douces ou alternatives. Mais qu’il s’agisse d’une réaction à une «déshumanisation» de la médecine traditionnelle ou d’un fait lié au vieillissement de la population ou à la popularité du mouvement Nouvel Age, elles font partie du paysage. Ouvrant dans à peu près tous les domaines imaginables, de l’aimantothérapie à la phytothérapie en passant par l’auriculo-médecine, ces nouveaux artisans de la santé font toutefois face à une certaine résistance.

C’est notamment le cas pour les homéopathes qui, il y a quelques semaines, se réunissaient dans le cadre d’un Congrès international d’homéopathie et des médecines douces. Outre la très légitime ambition de partager leur savoir, les quelque deux cents participants espéraient bien faire avancer une cause qui leur tient à cour: la reconnaissance officielle de l’homéopathie. Parce qu’il faut bien le dire, ses partisans ont beau lui attribuer toutes les vertus possibles, ses détracteurs demeurent nombreux, en particulier du côté des communautés scientifique et médicale.

Pourtant, dans le hall qui tient lieu de centre d’exposition, le jargon en vigueur impose le respect et, pour le non-initié, a des allures tout ce qu’il y a de «scientifique». Ici, un dépliant qui affirme que «Engystol démontre nettement la stimulation de la défense immunitaire par la thérapie antihomotoxique». Là, le titre d’une conférence: «Historique de Lathyrus Sativus, de ses sphères d’action, de la matière médicale comparée, de ses principaux symptômes». Même constatation pendant les conférences, alors qu’on discute allègrement de Barium Carbonicum ou de Tarentula sans qu’aucun spectateur ne sourcille. Derrière tout ce beau savoir se cache cependant ce que d’aucuns considèrent comme une vaste supercherie.

Une goutte dans l’océan
Relativement récente au Québec, l’homéopathie a vu le jour en Allemagne au tout début du siècle dernier sous l’impulsion de Christian-Samuel Hahnemann. Sans trop s’embourber dans les détails, disons que ses recherches l’ont mené à ce qu’on appelle la loi de similitude qui peut se traduire ainsi: si la caféine engendre de l’insomnie chez un individu sain, on guérira les insomnies du même individu en lui injectant de la caféine. En poussant ses études plus à fond, le docteur Hahnemann est ensuite arrivé à la conclusion que plus il diluait le remède, plus celui-ci devenait efficace (voir encadré).

Environ deux siècles plus tard, c’est ce même principe de dilution qui demeure le talon d’Achille de l’homéopathie. Parce que d’un point de vue scientifique, à force de se voir dilué, le remède a tôt fait de ne plus contenir la moindre trace de substance médicamenteuse et en bout de ligne, le patient ne goberait rien d’autre que de l’eau ou du sucre. Les tenants de l’homéopathie n’allaient toutefois pas se laisser abattre pour si peu et, depuis 1988, une nouvelle théorie permettrait d’expliquer pourquoi un remède dépourvu de substance médicamenteuse continuerait d’être efficace: la théorie de la mémoire de l’eau. Ainsi, parce qu’elle aurait précédemment été en contact avec une substance, l’eau pourrait ensuite en transmettre les propriétés. Et qu’importe si les détracteurs en ont encore des crampes au ventre tellement ils se sont bidonnés, Madame Carmen Morrissette, membre en règle du Syndicat professionnel d’homéopathie, ne rejette pas l’hypothèse: «Étant donné que j’ai l’ouverture maintenant de faire de l’hypnose consciente, c’est-à-dire que j’amène les gens dans les mémoires de leur corps, je peux constater qu’il n’y a rien qui s’oublie dans la nature. Votre corps n’oubliera jamais rien, votre conscience non plus. Tout est énergie dans le monde, dans le cosmos et je ne suis pas prête à nier que l’eau ait un souvenir. Je ne peux pas dire que c’est l’eau qui mémorise, c’est peut-être la façon dont on fabrique le remède, la dynamisation, qui va faire qu’il va se passer quelque chose au niveau de l’énergie. C’est impalpable au niveau de la matière, mais le remède homéopathique n’est pas un remède de matière, c’est un remède énergétique, qui est bien au-dessus de ça, qui va travailler dans la conscience.

L’épreuve du contraire
Mémoire de l’eau ou pas, granules de sucre ou pas, il faut quand même jeter un oil sur le terrain pour juger des effets réels de l’homéopathie. Mais ici encore, les preuves tangibles sont hors de portée. Alors que les disciples de Hahnemann se targuent d’obtenir un pourcentage de guérison avoisinant les quatre-vingts pour cent, les études cliniques témoignent de résultats beaucoup moins convaincants. C’est ce qu’a pu constater la docteure Lucie Baillargeon il y a quelques années, alors qu’elle dirigeait une équipe de recherche au CHUL: «On constatait qu’il n’y avait pas beaucoup d’études pour appuyer ce qu’affirment les homéopathes. Un de mes collègues a fait une recherche sur un produit utilisé pour guérir les verrues plantaires, avec des résultats qui équivalaient à l’effet placebo. Et c’est la même chose qui s’est passée dans notre cas, avec une étude qui portait sur l’Arnica Montana, une substance pourtant réputée en homéopathie pour arrêter les saignements.» On a bien, ça et là, des recherches qui témoignent d’une certaine supériorité de l’homéopathie face au placebo. Toutefois, règle générale, elles ne franchissent jamais l’étape cruciale de la reproductibilité qui veut qu’une expérience ne soit valable que si, et seulement si, en la répétant dans des conditions semblables, on obtient des résultats équivalents. Pour M. Gilles Harvey, directeur du module d’éducation physique à l’UQAM et ancien homéopathe, ce problème de reproductibilité est directement lié à la nature même de la thérapie: «Il n’y a pas deux personnes qui sont semblables et qui vont réagir de la même façon au même remède. Si la personne n’est pas sensibilisée à la substance, elle ne réagit pas.» En fait, ce n’est ni plus ni moins qu’un nouveau paradigme, une nouvelle façon de voir les choses, dont on aurait besoin pour évaluer l’homéopathie…

Entre «sensibilisée» et croyante, la marge est bien mince. Et il faut probablement une bonne dose de foi pour admettre qu’un granule de sucre ayant autrefois côtoyé une molécule de caféine vous aide à retrouver le sommeil. «En fait, l’important, c’est de départager tout ça, de voir quelle est la proportion de croyance, de placebo et de réalité», conclut M. Harvey.

Reste à savoir si, une fois la croyance et l’effet placebo évacués, la réalité ne risque pas de voir le royaume homéopathique s’effondrer.