Les émeutes de la Saint-Jean : Les enfants d'un Québec flou
Société

Les émeutes de la Saint-Jean : Les enfants d’un Québec flou

Après le «No Future» des années 70, la jeunesse actuelle scande désormais «Fight The Future». Au lendemain des émeutes de l’avenue du Mont-Royal, notre journaliste s’interroge sur le désespoir des enfants des baby-boomers. Chronique d’un temps  flou.

On les a vus hurlants, violents, tonitruants, projeter des bancs de parc et fracasser des vitrines lors des fêtes de la Saint-Jean. Encore les jeunes! Dépenaillés, "piercés" avec des regards hallucinés. De quoi irriter et inquiéter le bon peuple. Commentaires scandalisés entendus aux vox pop des bulletins de nouvelles: «Y sont rendus fous. Y savent pas comment s’amuser.» Comme si ce déferlement de rage primaire avait à voir avec la moindre fête. Y en avait pas de party là. Juste une réunion de jeunes exilés de la société, autour d’un feu de camp, en marge de la cité. Et qui ont pris le bord de la rue parce que les fins stratèges du SPCUM n’ont pas eu la présence d’esprit de les contenir en dehors des artères commerciales. De jeunes drop-outs qui ne ressentent rien en détériorant le matériel urbain, en brisant les vitrines de boutiques où ils ne mettent pas les pieds, en lançant des briques dans les fenêtres de citoyens ordinaires. Probablement parce qu’ils n’ont pas l’impression que tout cela leur appartient. Les coûts sociaux, ils n’en ont rien à foutre. Ils ont déjà donné. Ils n’en font pas partie de cette société-là. Ont-ils vraiment tort?

«Ces jeunes-là ne représentent pas toute la jeunesse», dit-on pour rassurer les populations. C’est justement pour cela qu’ils nous touchent. Comme des icônes vivants de tout ce qui ne fonctionne pas. Leur révolte est chaotique, anarchique, sans queue ni tête, mais, finalement, elle est plus porteuse que le conformisme de la majorité, qui tente désespérément de s’intégrer, de fonctionner tant bien que mal dans un système scolaire médiocre d’abord; puis dans le système tout court. Ces jeunes, par leur nombre, maintiennent les Jurassic Park gouvernementaux en état de marche: polyvalentes, cégeps, universités délivrant des diplômes de pacotille, ministères et haut fonctionnariat qui entretiennent à bon salaires une gang d’élus des seventies bardés de protection sociale, et qui piétinent en donnant une illusion de mouvement.
Tout cela donc, sans questionner les valeurs de la société néolibérale. Une attitude, un esprit critique qu’ils n’ont surtout pas appris à développer dans leurs cours de philo obligatoires dédiés aux discussions en équipe sur l’existence des phénomènes paranormaux. Des drop-ins à petit salaire qui rêvent de devenir d’autres consommateurs sub-atomiques. Sans faire de vagues.

De leur côté, les psys prédisent le pire. Nous serions, selon eux, assis sur une poudrière. Peut-être bien. Mais ce qui étonne, c’est que jamais LA question essentielle n’ait surgi à la vue de ces hordes de misérables aux mines patibulaires. Parce qu’il faut bien le dire, le désespoir visible de ces jeunes dépasse de loin la révolte et le spleen inhérents à l’état d’adolescence. Disons qu’ils n’ont pas l’air de tellement la «triper» leur vie. On peut se le demander: qui sont les parents de ces enfants-là. De la petite tatouée ben gelée aux cheveux rouges? Du grand blond à dreads locks qui hurle à la mort en décâlissant une vitrine? En vlà du bon matériel pour psys en mal d’interprétation. Qui sont les parents des jeunes de 15 à 20 ans? Sans être démographe, on peut facilement avancer que ce devrait être des adultes de 35 ans et plus. Inutile de reprendre les sempiternelles accusations anti-baby-boomers… Mais on peut tout de même se demander ce qu’il est advenu de l’état de parents au Québec, de la notion même de parentalité. Parent: celui qui aime, éduque, guide, élève, subvient aux besoins de ses enfants. Nul besoin d’en rajouter. Devant notre incapacité à assumer nos tâches parentales, nous nous sommes dotés d’une grosse machine plus dysfonctionnelle, si cela se peut, que nos propres familles: la Protection de la jeunesse dont les déboires, gaffes et méfaits ne cessent de faire la manchette. Un organisme au bord de l’implosion. Question connexe, pertinente, mais qui ne se pose plus dans nos sociétés moumounes où l’individu n’est plus guère tenu responsable de la teneur de ses actes: pourquoi faire des enfants (dans un monde contraceptisé de surcroît) si c’est pour les abandonner à eux-mêmes, ou pire encore, pour leur massacrer l’avenir par nos comportements?
Entre-temps, qu’on ne s’étonne pas que le «No Future» passif ait cédé la place au «Fight the Future» plus pro-actif. Si le présent est garant de l’avenir…