Le pasteur gay et ses fidèles : Le sexe de l'ange
Société

Le pasteur gay et ses fidèles : Le sexe de l’ange

Deux cents fidèles aux cheveux gris, d’une communauté peinarde et aisée de Lachine, sont à l’avant-scène d’un débat pour le droits des gais au sein de L’Église presbytérienne du Canada. Histoire de fidèles dont la foi et l’amour peuvent déplacer les préjugés.

Il y a de l’orage dans le ciel des presbytériens de Montréal. Une bagarre entre simples croyants et pouvoir religieux, autour d’une question qui pourrait être celle du sexe des anges: un homosexuel peut-il célébrer la messe à titre de pasteur?
Pour avoir répondu sans hésitation par l’affirmative, les deux cents fidèles de la petite église Saint-Andrews, de Lachine, ont subi les foudres de l’Église presbytérienne du Canada.

Darryl MacDonald est leur pasteur depuis trois ans. Jeune, bon vivant, bon sens de l’humour, son travail est apprécié. «C’est un extraordinaire prêcheur, et il a une très jolie voix…», confesse Margaret Bland, qui a en a pourtant vu des pasteurs dans sa vie. «Oh! more than you think!», ajoute-t-elle, par coquetterie.

Mais Darryl MacDonald ne répond pas aux critères pour être pasteur. Du moins à ceux interprétés dans la Bible par certains dirigeants et presbytériens et fidèles (surtout de l’extérieur du Québec): il est homosexuel.
Il est gai, vit avec un gars, et l’affiche ouvertement. «Selon certaines interprétations des paroles de saint Paul, on n’aurait pas le droit de manger du homard, non plus. C’est ridicule», réplique Darryl MacDonald.

Mais chez les délégués from coast to coast, à l’Assemblée annuelle de l’Église presbytérienne du Canada – la National Church, comme ils l’appellent- on ne lit pas la Bible de la même façon. Il y a deux semaines, la direction a envoyé par missive aux deux cents pèlerins un ultimatum: trouvez-vous un pasteur conventionnel, ou cherchez-vous une nouvelle foi, et, éventuellement, un nouveau lieu de culte. Dans l’Église presbytérienne du Canada, on ne saurait tolérer l’homosexualité, et ceux qui l’acceptent.

Comme réponse, les presbytériens de Lachine ont prêché par le courage de leurs convictions. Ces gens, dont la plupart ont voté sous Maurice Duplessis, voire Adélard Godbout, ont plébiscité leur pasteur gai, par un vote secret aux résultats voisins de l’unanimité. C’est notre pasteur, on l’aime, on le garde.

Pour Darryl MacDonald, ils ont été excommuniés en quelque sorte pour avoir posé un geste de générosité, d’ouverture et de compassion envers leur prochain. Bref, pour avoir pratiqué les enseignements chrétiens les plus élémentaires. «Une telle décision (de l’Église), ce n’est pas chrétien, ce n’est pas canadien; et ce n’est pas acceptable.»
Saint-Andrews a interjeté appel. «Notre Église fonctionne comme un gouvernement, de façon démocratique, mais je dois vous avouer que la procédure est lente», indique Moira Barclay-Feinie, administratrice du Consistoire de Montréal, l’archevêché presbytérien.

Unis devant Dieu
Dimanche dernier, les sans-église de Saint-Andrews étaient les invités de la communauté de la Summerlea United Church, à Lachine.
Rien à voir avec le schisme survenu. C’était prévu au programme depuis belle lurette. Le pasteur presbytérien remplacerait le pasteur de la United Church, Dean Moffat, le temps de ses vacances de juillet, et les membres de Saint-Andrews cédaient leur église à une autre communauté durant cette même période.

S’il y a de l’orage dans le ciel des presbytériens, chez leurs frères protestants de l’Église Unie, le soleil irradiait, dimanche midi. Malgré les «événements» de la semaine précédente, les fidèles de la United Church ont reçu, sans rechigner, les presbytériens honnis.
A la fin de la messe, ils ont même été conviés à un petit cocktail de bienvenue en plein air, dans le calme du jardin de l’église. Jus de fruits, pâtisseries et causeries. «C’est sa vie privée (au pasteur MacDonald) et elle ne regarde que lui-même», juge Marion Golden, de l’Église unie de Summerlea. «Je ne peux répondre au nom des autres membres de la communauté, mais ça n’a pas l’air de poser problème ici. Il n’y a aucune tension.»

Pas de problèmes? C’est que chez les protestants, l’Église Unie du Canada fait figure de révolutionnaire. Depuis quelques années déjà, ils acceptent l’homosexualité chez leurs ministres du culte. Choix qui s’est cependant fait dans la division.
Mais ce dimanche, de division, et de hauts cris, il n’y en a point eu. «Y a-t-il une demande spéciale pour une prière?», demande le pasteur MacDonald à l’auditoire. «Oui, l’épître 6.7.0», répond une dame, membre de l’Église Unie. «Heureusement qu’il y a un index dans ce livre!», ajoute du tac au tac le pasteur, peu habitué à célébrer une messe de l’Église Unie, ce qui a bien amusé les croyants.

La souveraineté du peuple
Officiellement, l’Église presbytérienne du Canada s’appuie sur la décision de l’Assemblée annuelle des membres, où une majorité de délégués s’était opposée à la reconnaissance des ministres gais. Une décision basée sur une interprétation des Saintes Écritures, la sociologie, la psychologie et l’anthropologie.

Un verdict que Darryl MacDonald conteste. «Pendant que les presbytériens progressent, très lentement mais progressent tout de même, les dirigeants de la Grande Église, eux, régressent», dit-il.

Entre-temps, la National Church a entrepris une vaste consultation de quatre ans à l’échelle du pays sur l’homosexualité en général, et chez ses pasteurs, en particulier. Des audiences sur lesquelles Mme Barclay-Feinie compte beaucoup pour apaiser la crise. «Avec le temps, les opinions changent. Peut-être qu’à la fin de cette consultation, les membres de l’Église épouseront le choix des fidèles de Saint-Andrews. Mais il faut se donner le temps de réfléchir. Ça ne saurait être un bon changement si les gens n’ont pas appris à vivre l’homosexualité.»

«Dans ce cas, rétorque Darryl MacDonald, mettons un moratoire sur toute décision quant à mon avenir et à celui des membres de Saint-Andrews. Après, on verra s’il y a de la place pour nous dans cette Église, ou si celle-ci est disposée à nous en faire une.»
Dans l’immédiat, l’Assemblée presbytérienne n’est pas pressée de chasser les presbytériens de Saint-Andrews de leur lieu de culte, rue Sherbrooke, à Lachine. Ils pourraient même la garder s’il n’en tenait qu’à Moira Barclay-Feinie. «Ils pourraient continuer à nous louer les locaux, comme c’est le cas en ce moment. L’important, c’est que la transition se fasse dans le calme et le respect.»
Pour le moment, Darryl MacDonald et ses fidèles n’envisagent aucune action pour faire valoir leur point. Mais, d’ici la fin des vacances, ils se préparent à un automne chaud.

L’une des avenues envisagées pourrait être celle des tribunaux. Toutefois, cette voie sera pavée d’embûches. «Il n’y a aucune jurisprudence là-dessus», informe Danielle Robichaud, de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec. «Il y a déjà eu des plaintes au sujet d’individus victimes de discrimination à l’extérieur de leur Église. Mais à l’intérieur, jamais.»
S’il n’y a jamais eu de cause semblable devant la Commission, c’est que la Charte québécoise des droits de la personne permet la discrimination. L’article 3 de la Charte garantit la liberté de religion, le 10, interdit la discrimination; mais l’article 20 assure une série de dérogations à l’article 10. Dans cette liste, figurent les institutions religieuses dûment reconnues, comme l’Église presbytérienne. C’est de cette façon que le législateur a trouvé le moyen d’articuler deux droits fondamentaux, mais contradictoires: la liberté de religion et de ses convictions religieuses, contre l’interdiction de discriminer.

C’est grâce à cette façon de procéder qu’une association gaie avait eu gain de cause contre la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) dans les années 80. La CECM avait refusé de leur louer une salle pour une fête, sous prétexte que leur «style de vie» contrevenait aux principes religieux de l’Église catholique. «A partir du moment où la CECM loue des locaux, dit Danielle Robichaud, ses activités deviennent à but lucratif, donc la CECM n’était plus protégée par l’article 20.»

Pour la communauté de Saint-Andrews, la solution pourrait être de se constituer en Église avec un grand E, créer une nouvelle confession similaire au presbytarisme, à la seule différence qu’un homosexuel pourrait devenir pasteur. «Nous avons voté en faveur de notre pasteur, dit l’une des paroissiennes de Darryl MacDonald, dans les jardins de la Summerlea United Church. Maintenant, nous pourrions voter pour nos propres convictions.»