Société

Le rapport 98 d’Amnistie internationale : Le livre et la torture

Comme une vieille habitude dont on n’arrive plus à se débarrasser, chaque année voit débarquer une nouvelle mouture du rapport d’activités d’Amnistie internationale. Si on ne peut que féliciter l’organisme pour son travail remarquable, il demeure que l’on souhaiterait bien voir cette pratique disparaître un jour: pour une planète qui célèbre le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la parution d’un tel ouvrage révèle la bêtise humaine dans toute sa splendeur. Massacres, incarcérations non justifiées, tortures, exécutions, détentions dans des conditions exécrables, la liste des atrocités n’en finit plus. On ne parle pas ici d’une poignée de nations «attardées»: en tout, cent quarante et un pays figurent dans ce rapport, contrevenant aux droits de l’homme chacun à leur manière.

Le «meilleur pays du monde», cette année, ne figure pas au palmarès. Ça ne signifie pas qu’il soit exonéré de tout blâme, précise-t-on dans le rapport, mais on peut probablement en déduire que le Canada est relativement respectueux envers ses citoyens. On ne peut pas en dire autant de ses grands partenaires commerciaux, à commencer par les deux autres membres de l’ALENA.

Dernier participant à se joindre au groupe, le Mexique semblait beaucoup plus empressé de commercer avec ses voisins du nord que de régulariser les relations avec ses propres citoyens. Entre autres entorses aux droits humains, la torture y demeure une méthode privilégiée d’obtenir des aveux de prisonniers et de nombreuses personnes y sont incarcérées, agressées ou menacées de mort en raison de leurs opinions politiques. A cela, il faut aussi ajouter de multiples «disparitions» et assassinats manifestement liés aux forces policières, militaires ou paramilitaires.

De l’autre côté, les Américains continuent à prononcer des condamnations à mort à un rythme fou: ils sont plus de 3 300 prisonniers à attendre leur exécution dans les couloirs de la mort. Pendant la dernière année, soixante-quatorze détenus ont été exécutés, parfois dans des conditions abominables, comme le laisse voir cet exemple: «Le masque de cuir noir recouvrant le visage du condamné a pris feu pendant l’exécution en raison du mauvais fonctionnement de la chaise électrique, en service depuis soixante-quatorze ans.» Fait troublant, 44 % des 432 prisonniers victimes de la peine capitale étaient issus de minorités ethniques. Le rêve américain est aussi bousillé par d’innombrables violences policières et de flagrantes erreurs judiciaires.

Liberté, égalité, vos papiers
Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Chrétien avait bien précisé que sa politique étrangère ne serait plus liée à la question des droits de l’homme. «Si on refuse de faire des affaires avec tous les pays ayant des régimes politiques que l’on n’aime pas, on ne fera pas affaire avec beaucoup de monde», déclarait le premier ministre. On n’allait donc pas se priver de ces marchés en émergence que sont la Chine, l’Indonésie, la Thaïlande ou les Philippines. Même si, année après année, on y dénombre tout autant de violations des droits humains: emprisonnements politiques ou exécutions sommaires, tortures ou procès inéquitables, qu’importe puisque «les affaires sont les affaires». Tout récemment, on envoyait une importante mission commerciale en Algérie même si le pays est en pleine guerre civile.

Cette nouvelle façon de voir les choses, bien qu’elle se révèle fort profitable pour le commerce, inquiète Amnistie internationale, qui rappelle que «la croissance économique ne garantit nullement la jouissance des droits économiques ou sociaux. De surcroît, non seulement on continue de violer la Déclaration impunément, mais de nombreux pays vont jusqu’à remettre en cause son principe d’universalité. En Asie, «plusieurs gouvernements affirment que les normes internationales en matière de droits humains s’inspirent essentiellement d’idées occidentales et sont incompatibles avec les sociétés asiatiques». Certains gouvernements africains, pour leur part, prétendent que «les droits humains existent pour le bien de l’ensemble de la société et que seule la protection de la communauté permet de garantir les libertés individuelles». Ailleurs, encore, on tente de justifier par la religion la discrimination systématique envers les femmes ou les amputations punitives.

Selon le tout premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme, «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.» Cinquante ans plus tard, il semble que bien des êtres humains naissent toujours «un peu moins égaux» que leurs semblables.