L’Énigme Charest : L’anguille dans une botte de foin

Il était une fois un jeune ambitieux qui tomba éperdument amoureux de la politique dans un Dairy Queen de la rue King, en plein centre-ville de Sherbrooke. Jusque-là, personne ne lui connaissait de talents ou d’idéaux particuliers. Tout cela allait changer, au moment précis où notre homme glissa sur le parquet graisseux et renversa son milk-shake aux bananes sur la robe à crinoline de sa nouvelle conquête. Séduite, celle-ci s’acharnera à faire de cet homme ordinaire le politicien le plus populaire du Québec. Sonnez hautbois, résonnez musettes: la suite ressemble à une charge de cavalerie irrésistible. Député à 26 ans. Ministre à vingt-huit. Chef de parti à trente-cinq et peut-être, au rythme où vont les choses, premier ministre du Québec doublé de sauveur du Canada à 40 ans.

Le parcours politique de Jean Charest ressemble à s’y méprendre à un conte de fées. Hélas, il en faudrait davantage pour alimenter une biographie de 350 pages. D’ordinaire, ce genre d’ouvrage se nourrit de traits d’esprit fulgurants, de l’importance du sujet et d’éclairages nouveaux portés sur l’histoire. Rien de tel avec Jean Charest. Secret, le nouveau chef libéral apparaît plutôt avare de réflexions. Acteur de soutien plutôt que premier rôle, du moins jusqu’à tout récemment, il n’a guère influé sur les grands événements des dernières décennies. La plume incisive et le travail méticuleux du journaliste André Pratte n’y peuvent rien changer. Quelques centaines de pages plus tard, le mystère demeure entier, ou presque. «(…) A l’exception de quelques intimes, Jean Charest demeure pour tous ceux qui l’ont cotoyé ce qu’il reste encore pour moi: une énigme», prévient l’auteur dès les premières pages.

Il faut pourtant lire ce livre, traversé par quelques descriptions aiguisées comme des scalpels. Jean Charest, résume ainsi André Pratte, «c’est cet homme si chaleureux que chacun voudrait avoir pour frère, mais qui est aussi politicien et dont chaque pas et chaque émotion sont mis en scène et minutés. Ce formidable orateur qui prêche la modération, mais ne dédaigne pas la démagogie. Ce ministre efficace et intègre, mais banal. Cette intelligence puissante, mais superficielle. Cet être fier sûr de lui, également sympathique et généreux. Ce leader charismatique, mais distant. Cet extraordinaire communicateur, mais profondément secret. Ce chef hésitant, mais d’une détermination à toute épreuve. Cet ambitieux qui, cependant, a fini par trouver un idéal».

Chez Jean Charest, comme chez beaucoup de politiciens, le verbe précéderait souvent l’idée. De l’avis quasi général, le nouveau chef libéral serait avant tout un formidable plaideur, un avocat redoutable qui ne choisit pas ses causes «en vertu d’une idéologie ou de ses convictions». Défenseur fervent de l’environnement lorsqu’il était ministre du cabinet Mulroney, fédéraliste centralisateur lorsqu’il siégeait à Ottawa, le nouveau chef libéral pourrait en surprendre plusieurs en devenant le représentant farouche des intérêts du Québec. «Nationaliste à son arrivée à Ottawa – il avait accroché une photo de René Lévesque sur un mur de son bureau -, il a ensuite absorbé la vision du Canada véhiculée dans la Capitale, écrit Pratte. Défenseur de "la veuve et de l’orphelin", il s’est plus tard porté à la rescousse du contribuable de classe moyenne. Après avoir plaidé pour que l’État dépense des milliards en faveur des jeunes et de l’environnement, il s’est transformé en chantre de la lutte au déficit. Pour finalement estimer peu après son entrée en politique provinciale que l’atteinte d’un budget équilibré n’était pas si urgente.»

On l’aura deviné. Malgré le travail considérable accompli par l’auteur, le lecteur referme L’Énigme Charest avec le sentiment confus que ce livre est prématuré, que la véritable histoire du chef libéral vient tout juste de commencer. D’ici là, il faudra se contenter de cet ouvrage, même s’il distille une étrange sensation d’ennui et qu’il nous amène à poser une question lancinante, cruelle: «Et si c’était finalement cela, la politique québécoise?»