Société

Les syndicats et les homosexuels : Les unions, quossa fait?

Progressiste, le syndicalisme? Pas si vite… Les syndicats, comme le reste de la population, sont souvent mal à l’aise face à la réalité homosexuelle. Quand ils négocient avec les patrons, les clauses de reconnaissance des conjoints de même sexe sont toujours les premières à sauter.

Le syndicalisme, berceau de l’égalité et de la justice, de l’ouverture et du progrès social. Au Québec, les syndicats sont perçus souvent comme les défenseurs des droits collectifs.

Mais dans la communauté gaie et lesbienne, on a un autre point de vue sur le sujet. Si les discours officiels des dirigeants syndicaux expriment une belle rhétorique égalitaire, dans l’exercice quotidien du syndicalisme, c’est une autre histoire. Progressiste, le syndicalisme? «Disons que les syndicats ne sont pas différents du reste de la société», critique André Patry, porte-parole du Forum des gais et lesbiennes syndiqués du Québec.

Bien qu’ils bénéficient du privilège d’être syndiqués, avec des conditions de travail et des avantages sociaux supérieurs à plus de la moitié de la population active, des gais et des lesbiennes syndiqués ont senti le besoin de se réunir. Si être membre a ses avantages, ce qu’André Patry reconnaît, reste que, face à ses collègues syndiqués, il se sent moins égal.
Depuis mai dernier, le Forum des gais et lesbiennes syndiqués du Québec regroupe des membres de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), de l’Alliance des professeurs de Montréal, du Syndicat québécois des employés de service (FTQ) et du Syndicat canadien de la fonction publique.
Car tout n’est pas rose dans le monde du travail. «Jusqu’à tout récemment, rappelle Patry. les conventions collectives ne reconnaissaient pas les familles homosexuelles; et au quotidien, nous sommes toujours victimes de discrimination.» Pourtant, les syndicats n’ont-ils pas comme raison d’être de protéger les travailleurs contre les abus? «Oui, mais les dirigeants syndicaux commencent à peine à être sensibilisés à ce qu’on vit», poursuit-il.
Or, par crainte de représailles, fondées ou non, plusieurs gais et lesbiennes n’osent toujours pas s’afficher comme tels au travail. Difficile, dans ce contexte, de faire valoir ses droits. Difficile aussi de démontrer aux syndicats qu’ils doivent participer à la lutte contre la discrimination. «Quand il y a de la discrimination au travail, ou de l’homophobie, les gais n’osent même pas porter plainte au syndicat. Les griefs dans ces cas sont presque inexistants. Pour que les dirigeants syndicaux comprennent notre cause, il leur faut des exemples. Or, si personne ne porte plainte, c’est difficile de leur montrer que la discrimination existe, et la forme qu’elle prend.»

En fait, pour les gais, le combat des femmes pour l’égalité est l’exemple à suivre. Plutôt qu’attendre passivement qu’on vous accorde vos droits, réclamez-les en lieu et place. «Pour nous, il était indispensable d’investir les instances syndicales pour faire valoir nos droits, explique André Patry. Et de démontrer, à la face de nos collègues syndiqués, l’importance de notre cause, voire le sérieux de notre démarche.»

Pour une reconnaissance
Première cible: la reconnaissance des couples homosexuels. Par le passé, les conventions collectives n’attribuaient les avantages sociaux qu’aux conjoints de sexe différent.
«Je ne crois pas que les dirigeants des syndicats soient homophobes. Loin de là. Ils sont juste mal informés», dit Patry.

Au cours des quinze dernières années, les syndicats ont perdu des plumes. Moins puissants, ils n’ont plus le gros bout du bâton, comme jadis. A la table des négociations, les sacrifiés de la bonne entente patrons-syndiqués sont choisis d’avance. «Depuis une quinzaine d’années, les clauses de reconnaissance des conjoints de même sexe sont toujours les premières à sauter pendant la négociation. Après, ce sont les conditions de travail des jeunes!», constate André Patry.

Sans crier à l’homophobie, il est vrai que les clauses de reconnaissance des conjoints de même sexe ont pris du temps à s’installer. Mais, depuis quelques années, c’est l’effet domino dans le monde du travail – du moins, celui du secteur privé. En effet, Air Transat, Bell, Banque de Montréal, Vidéotron, Sears, Shell Canada, Ikea, Hôtels des Gouverneurs… plusieurs grandes entreprises ont inclus les fameuses clauses dans leurs conventions collectives. Toutefois, dans le secteur public, on traîne de la patte: «Mais ça s’en vient… Les dirigeants syndicaux nous ont promis qu’ils ne nous laisseraient plus tomber.»

La bataille est donc gagnée? «Pas si vite! rétorque Patry. Disons seulement que la conjoncture n’a jamais été aussi favorable. Ce qui se produit, c’est que les employeurs et les syndicats se rendent compte que ça ne leur coûte presque rien, cette reconnaissance.»
La conjoncture est tellement favorable que le Forum veut ouvrir un second front, plus difficile à cerner: celui de la vie quotidienne au travail. «Il y a encore beaucoup de discrimination. Les gais et lesbiennes ont peur de s’afficher comme tels dans leur milieu de travail. Ils sont souvent l’objet de blagues désobligeantes. Ils peuvent perdre une promotion à cause de leur orientation sexuelle. La prochaine bataille, elle est là, et elle sera longue. Car, ici, on ne parle pas de quémander un droit juridique, mais de changer les mentalités.»
Le milieu du travail est-il encore homophobe? «Ça dépend du milieu. Il ne faut pas se le cacher, certains domaines sont plus machos – donc plus homophobes – que d’autres. On peut penser à la construction, par exemple. Mais d’autres secteurs, comme l’enseignement, le sont aussi parce que très conservateurs. A la CEQ, on est à l’ère du politically correct. Les gens sont publiquement très ouverts. Mais une fois les micros fermés, l’ouverture n’est plus là. Il y a quelque temps dans une assemblée du syndicat, quand est venu le temps de voter en faveur de mesures visant à reconnaître les conjoints de même sexe, on n’a rencontré aucune opposition. Tout le monde semblait d’accord. Mais une fois l’assemblée terminée, dans les corridors, on a entendu un tout autre son de cloche…»