Rufus Wainwright : Nouvel air
Société

Rufus Wainwright : Nouvel air

Si 1997 fut l’année d’Ellen DeGeneres, 1998 est celle de RUFUS WAINWRIGHT. En plus d’un début de carrière fort prometteur en Amérique et en Europe, le chanteur de 24 ans n’a pas attendu que le scandale éclate pour sortir du placard. Un role model est né.

Rufus Wainwright est sorti du placard à 14 ans!!! Accidentellement… Un soir, il est rentré chez lui et a trouvé sa mère dans le salon. Nerveuse, cigarette au bec, verre de whisky à la main et… un exemplaire de Fugues sur la table à café, elle lui a lancé en pointant du doigt le torse velu sur la couverture du magazine gai: «Dis-moi pas quelque chose que je ne veux pas entendre!»
On a beau s’appeler Kate McGarrigle, une mère réagit toujours drôlement en découvrant l’homosexualité de son fils. «Il faut se remettre dans le contexte», dit le chanteur, joint en tournée dans sa chambre d’hôtel à Detroit, Michigan. «C’était il y a dix ans; au plus fort de la crise du sida. Ma mère avait peur pour ma santé.»

Depuis, l’homosexualité de Rufus Wainwright ne dérange plus sa famille. Ni le reste du monde, d’ailleurs. Le jeune auteur parle de ses amours homosexuelles dans ses chansons et dans les entrevues qu’il donne aux médias (gais ou straights). Il s’affirme comme tel auprès des gens du milieu de la musique rock – assez macho et hétéro, merci – qu’il rencontre professionnellement. «Contrairement à bien des chanteurs populaires qui cachent leur homosexualité jusqu’au jour où ils n’ont plus le choix (comme George Michael ou Boy George), j’ai décidé de mettre les cartes sur table dès le début de ma carrière.»

Un geste pour lui anodin, sauf qu’il a changé la vie de certains gais et lesbiennes. «Beaucoup de jeunes gars et filles m’ont remercié de parler publiquement de mon orientation sexuelle, dit Wainwright, en me confiant que cela les avait fait progresser dans leur cheminement. Tant mieux si je peux aider des adolescents homos à s’accepter. Mais j’espère que dans dix ans plus personne ne considérera comme un "phénomène" le fait qu’un acteur, ou un chanteur populaire, s’affiche gai. Il faut le faire puis passer à autre chose. Ma sexualité est importante. Mais je ne veux pas être seulement perçu comme un "artiste gai" ou une "personnalité gaie".»

Si Rufus Wainwright aime et fréquente le Village quand il est à Montréal, il prend ses distances envers une certaine culture gaie. «Le milieu gai, spécialement celui des hommes, est un monde difficile et souvent superficiel. Ce n’est pas évident pour un jeune gai qui commence à sortir. Tout semble tourner autour de la beauté, de la drague, de la drogue et du sexe. Je trouve que les gais sont assez cyniques et très individualistes. Je ne perçois pas cela du côté des lesbiennes. Je me trompe peut-être, mais les femmes gaies semblent davantage s’entraider.

«Par contre, j’aime le côté marginal, extravagant et funky de bien des hommes gais. La marginalité est une bonne chose: il ne faut pas en avoir honte. On ne doit pas essayer de ressembler à tout prix à la majorité hétérosexuelle sous prétexte que la société va mieux nous accepter. Ce qui différencie les gais des hétéros les rend uniques. Je crois qu’une partie de mon succès, de mon talent musical ou de mes aptitudes artistiques vient justement du fait que je suis gai. Donc pas comme les autres.»
D’accord. Pour un artiste, cela est facile à avancer. Alors que pour un homme ou une femme qui travaillent dans un milieu très homophobe, la marginalité demeure suspecte. «Si tu es bien dans ta peau, confiant et honnête avec tout le monde, les gens vont généralement te respecter, rétorque le chanteur. Même un homophobe va finir par te respecter comme individu. Tu ne pourras peut-être pas l’amener dans un bar gai (rires)! Mais, au moins, il va t’accepter tel que tu es.»

Le week-end prochain, Rufus Wainwright ne marchera pas dans les rues de Montréal à l’occasion du défilé de Divers/Cité. Tournée musicale aux États-Unis oblige. «J’ai aussi un problème avec la "Fierté gaie", ajoute-t-il. C’est bien d’avoir une journée pour célébrer notre différence et revendiquer nos droits. Mais je suis fier d’être Rufus; pas d’être homosexuel. De toute façon, les sentiments pour un être, les aventures amoureuses (gaies ou straights), ce sont des choses qui, plus souvent qu’autrement, se vivent dans la douleur et la souffrance. J’ai aimé des hommes qui m’ont blessé dans ma vie. Et réciproquement. Les hommes sont tous des porcs! Mais je les aime quand même. Il n’y a pas de quoi en être fier…»

Rufus Wainwright
Dreamworks / Universal