Pierre Bourque à Côte-des-Neiges : Et Dieu descendit parmi nous
Société

Pierre Bourque à Côte-des-Neiges : Et Dieu descendit parmi nous

Afin d’augmenter son capital de sympathie, et nous prouver qu’il est près du peuple, notre valeureux maire est allé passer une nuit dans un petit logement de Côte-des-Neiges. Ou le bonhomme est d’une naïveté épeurante. Ou il est rongé par le  cynisme.


J’ai bordé le maire Bourque.
Il était près de 23 h 15 quand je l’ai laissé seul avec sa famille d’occasion de Côte-des-Neiges: Mohammad Rehan, sa femme Rowshanara, et le petit Mohammad, six ans. Des Bangladeshis réfugiés au Canada pour des raisons politiques, sans emploi et sur l’aide sociale, qui ne parlent pas français, et un anglais moins qu’approximatif.

C’est le petit Mohammad qui avait interpellé le maire, une semaine plus tôt, en le défiant de venir passer une nuit chez lui. Il paraît que son quartier est le East Los Angeles de Montréal. Des ordures, de la vermine, du crime. Et de la pauvreté.
Évidemment, le petit Mohammad n’avait aucune idée de ce qu’il demandait à Pierre Bourque. Il ne répétait que les mots qu’on lui avait mis dans la bouche. A six ans, quand on a passé la moitié de sa vie au Bangladesh, on rêve à un jeu Nintendo. «Dis donc, Mohammad, t’aurais pas mieux aimé que M. Bourque donne trois gallons de peinture à ton père, ça en a crissement besoin chez vous, plutôt que le Gameboy qu’il t’a offert?»

Coudonc, il est où ton sens des priorités? pouvais-je lire dans ses grands yeux interrogatifs.

Évidemment, le petit garçon était inconscient de la machination orchestrée autour de lui par les résidants de Côte-des-Neiges: Mohammad défie le maire devant les caméras; le maire ne peut se défiler sans passer pour un sans-cour; il accepte, et les médias le suivent dans sa tournée du quartier. L’affaire est dans le sac! Un one-night stand de monsieur le maire illustrant pour le public les misères d’un quartier.

A son arrivée dans Côte-des-Neiges, vendredi, Bourque a été accueilli comme un père blanc débarquant au Ghana. Les pelouses avaient été tondues, les ordures, ramassées. «Regarde, ils ont même planté des fleurs sur les parterres pour l’occasion», de faire remarquer Bourque, l’horticulteur.

Puis, en soirée, on avait organisé une fête de rue, au coin de Decelles et Barclay, presque en son honneur. L’atmosphère était conviviale; les rues, propres et sûres, malgré l’heure tardive. Pas l’ombre d’une menace. C’est comme si les résidants avaient désiré cacher au maire ce qu’ils voulaient pourtant lui dénoncer.

Preuve que les attentes sont grandes envers Pierre Bourque: la chanteuse gospel Jennifer Mead claironnait: «You don’t need an appointment with God. Just ask him, and he’ll be there», en pointant la main en direction du maire! Un peu plus, et le lac des Castors se séparait en deux…

Et effectivement, c’était comme si Dieu avait répondu à l’appel. Ce soir-là, sans que Pierre Bourque n’ait eu à lever le petit doigt, une partie des misères du quartier s’est envolée. Pour un soir seulement. Et grâce aux résidants de Côte-des-Neiges eux-mêmes.

Une aubaine
Le lendemain matin, en route vers sa «nouvelle famille» à partir du dépanneur, on a demandé à Pierre Bourque s’il paierait quatre cents dollars pour vivre dans l’appartement des Rehan. Hésitant, il a cherché la façon d’éviter de mettre les pieds dans les plats. «Si, comme eux, j’avais choisi de vivre ici, euh… oui.»

Voyons, pas de bullshit, monsieur le maire! A quatre cents dollars par mois pour ce lamentable trois et demie, les Rehan se font avoir, vous le savez!

L’intérieur de l’immeuble n’a pas été peint depuis, disons, 1837. Les châssis de fenêtres sont dans un état de décomposition avancée. Les corridors et les escaliers de l’immeuble, tachés de graffitis (notamment nazis), n’ont pas reçu la visite de nettoyeurs depuis, là aussi, 1837. Certaines portes d’appartement sont défoncées. Tout ça pour quatre cents tomates – un chèque de B.S. au complet.

Dans d’autres quartiers, plus recherchés, les Rehan pourraient habiter un palace, comparé à leur logement actuel. Leur propriétaire est un crosseur, qui profite du fait que les immigrants connaissent mal la vie à Montréal pour mieux les escroquer.

A la fin du petit-déjeuner offert par les Rehan, Bourque admet: «Il faudrait une bonne couche de peinture. Et la fenestration doit être absolument refaite.» Qu’est-ce qu’on fait? «On intervient auprès du propriétaire.» Et si le proprio est une compagnie à numéro? «Ah, là, il y a un problème…»

The Truman Show
Côte-des-Neiges n’est pas East L.A., mais ce n’est pas Hampstead non plus. Côte-des-Neiges souffre d’exclusion. Les solutions, malgré toute la bonne volonté de Bourque, Duchesneau et compagnie, ne peuvent venir de l’hôtel de ville.
Les immeubles sont mal entretenus? La Ville ne peut intervenir qu’en cas d’insalubrité. Les loyers trop chers? C’est la Régie du logement qui s’en occupe. Les gangs de rue? La CUM. Les chèques de B.S. faméliques? Québec. Le manque de places dans les cours de français offerts aux immigrants? Québec. La pauvreté? Québec et Ottawa. Le manque d’emplois? Québec, Ottawa, les entreprises, les actionnaires, vous, moi, les Américains, le marché global.

Tout ce qui reste au maire comme espace de pouvoir direct à occuper, c’est celui des ordures jetées à la rue, n’importe quel jour de la semaine. Et encore, le problème est imputable aux résidants eux-mêmes. La solution leur incombe.
Il était facile de tourner au ridicule la visite officielle de Bourque. Après tout, le programme élaboré par son cabinet tenait à la fois du Truman Show et d’un épisode des Simpsons. «Lieu de l’hospitalité, 22 h: le maire rencontre sa nouvelle famille. Dépanneur de la rue Darlington, 7 h 30: le maire quitte le foyer pour aller au dépanneur acheter les journaux, les oufs, le jus…»

Sauf que les problèmes du quartier ne se résument pas qu’au logement, comme l’a évoqué Jacques Duchesneau: «Faut juste donner plus de contraventions aux propriétaires délinquants.» On reconnaît la police en lui.

Une odeur de shisha
Reste que Côte-des-Neiges n’est pas East Los Angeles. Dans les médias, on a dépeint le quartier comme un horrible cauchemar. Quand j’ai souhaité bonne nuit à Bourque et à Mohammad, j’ai cherché un taxi, et je me suis égaré dans le quartier. A minuit, il y avait encore des gens dans les rues. Les mères appelaient les enfants, les vieilles rouspétaient contre le boucan du Gospel Choir. Ça sentait le gazon frais coupé, et un peu le shisha.
A pareille heure, à East L.A., ça sentait le roussi.