Coup de griffe : Le vilain petit canard
Société

Coup de griffe : Le vilain petit canard

Que diraient les catholiques si le pape Jean-Paul II décidait soudainement que le paradis n’existe pas, que les mollusques ont une âme et que Jésus n’était qu’une marque de limonade très en vogue dans les quartiers pauvres de Jérusalem sous le règne de César Auguste?
Inutile de répondre ou même d’y songer. La chose apparaît tout bonnement inconcevable. Une véritable hérésie.

J’en vois déjà qui s’offusquent. «Ce genre d’hypothèses stupides ne mène nulle part. A quoi bon envisager l’impossible?»

Ah oui? On voit bien que ceux-là ne s’intéressent guère à la politique monétaire canadienne…
Depuis quelques semaines, à mesure que le huard canadien perd des plumes, une partie de la classe politique canadienne est devenue méconnaissable. Les dogmes d’hier sont foulés du pied. Les certitudes s’envolent. On jurerait une bande de végétariens qui se mettent soudain à vendre du salami. A moins que ce ne soit l’inverse: une bande de salamis qui vendraient soudain des végétariens. Comprenne qui pourra.

En attendant, on a parfois envie de paraphraser une boutade un peu discutable du magazine Time, selon laquelle l’enfer est un endroit où le cuisinier est anglais, le policier allemand, le fonctionnaire français, le pape polonais et le politicien canadien.

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Depuis 30 ans, bon nombre de politiciens et d’économistes canadiens ne cessaient de prédire un sombre avenir à une éventuelle monnaie québécoise. Lors du référendum de 1980, par exemple, on avait ainsi brandi le spectre d’une piastre québécoise ne valant plus que 70 cents américains. Les partisans du Canada, parmi lesquels on retrouvait un ministre de la Justice du nom de Jean Chrétien, n’en finissaient plus d’énumérer les calamités qui attendaient le Québec indépendant.

Attention, on ne rigolait pas avec ce genre de choses. Avec sa devise «minable», le nouvel état ferait face à une montée en flèche du prix des équipements industriels et des biens de consommation. Les emprunts contractés en monnaie étrangère saigneraient à blanc le nouvel état. Criblé de dettes, miné par l’inflation, rongé par le chômage, le Québec serait moins libre que jamais.
La conclusion s’imposait d’elle-même: l’indépendance monétaire était un luxe que les Québécois ne pouvaient se payer.

Or que se passe-t-il, aujourd’hui, alors que le dollar tombe sous les 66 cents américains?

Le premier ministre Jean Chrétien se gratte l’occiput, ajuste sa bouée en forme de canard et lance candidement:

– C’est bon pour le tourisme.

L’apocalypse monétaire est passée de mode. Imperturbable, le premier ministre invite ses électeurs à visiter la Mauricie plutôt que la Floride.

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Trève de plaisanteries. Je vous l’accorde. Le gouvernement canadien n’a pas la partie facile. Il n’y a qu’à écouter s’exciter les économistes pour comprendre. De quoi se remémorer la phrase célèbre d’André Gide: «Quand un économiste vous répond, on ne comprend plus ce qu’on lui avait demandé».

– Baissez les impôts, ça presse, disent les uns.

– Demandez à la Banque du Canada d’intervenir sur les taux d’intérêt, disent les autres.

– Faites attention, la croissance économique se ralentit.

– Gardez un oil sur l’inflation!

– Formidable, l’écrou cr-24 fabriqué à Saskatoon va devenir extrêmement compétitif sur le marché américain!

– Mince, la salade de Californie va être hors de prix!

Au milieu de cette cacophonie, l’économiste en chef du mouvement Desjardins, Gilles Soucy, a même pu suggérer que le Canada finirait par adopter la monnaie américaine sans soulever beaucoup d’émoi.

«Depuis plusieurs années les Américains ont une politique monétaire et économique qui a été bien meilleure que la nôtre, a-t-il déclaré. Et puis, notre marge de manouvre en matière de politique monétaire est déjà mince. Regardez actuellement. La devise tombe et on ne peut pas relever nos taux d’intérêt pour la défendre parce que notre économie tourne déjà au ralenti.»

Ouille! Le loup est dans la bergerie. Si ce M. Soucy dit vrai, la conclusion s’impose d’elle-même: l’indépendance monétaire serait devenue un luxe que les Canadiens ne pourraient plus se payer.

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Bon. Avant de terminer, revenons à notre question du début. Ne me dites pas que vous avez déjà oublié?

Que diraient les catholiques si le pape Jean-Paul II décidait soudainement que le paradis n’existe pas, que les mollusques ont une âme et que Jésus n’était qu’une marque de limonade très en vogue dans les quartiers pauvres de Jérusalem?

Les paris sont ouverts. Adressez vos réponses ainsi que vos mises à notre nouvelle adresse, sise au 470, rue de la Couronne, à Québec.

Ah oui, une dernière précision. Les paris se font en dollars américains, évidemment.