Industrie de la mode : Linge sale
Pendant que des vedettes empochent des millions de dollars pour vendre des vêtements à la mode, ceux et celles qui les fabriquent travaillent souvent dans des conditions épouvantables, pour un salaire de crève-faim. Vive la mondialisation…
Savez-vous que l’étiquette Made in Indonesia de votre t-shirt préféré cache peut-être le drame d’une travailleuse mal nourrie, rudoyée et sous-payée?
Que le pyjama Pocahontas offert à votre petite nièce l’hiver dernier a probablement été assemblé à Haïti, dans une usine où certains travailleurs sont payés aussi peu que sept cents l’heure?
Que des grands noms de l’industrie du vêtement nord-américain tel Liz Claiborne font assembler leurs vêtements dans des usines où les travailleuses sont pratiquement retenues prisonnières sur des sites entourés de barbelés, forcées de vivre à huit ou dix dans des chambres exiguës et mal aérées?
Bienvenue dans l’univers peu reluisant des sweatshops. Utilisée depuis le 19e siècle, l’expression sweatshop décrit ces usines où les travailleurs peinent (et suent) de longues heures dans des conditions sanitaires douteuses en échange d’un salaire minime qui permet à un sous-contractant de s’en mettre plein les poches.
Ces sweatshops existent principalement dans les pays en voie de développement, là où les salaires ridiculement bas et la docilité des travailleurs attirent nos belles grandes entreprises occidentales. Ce n’est pas pour rien qu’au Canada, la proportion des travailleurs syndiqués dans l’industrie du textile est passée de 80 % à 20 % au cours des vingt dernières années. Plusieurs grands manufacturiers ont préféré déplacer leurs opérations dans des pays où le respect des droits humains ne pèse pas lourd. C’est bon pour les affaires et ça paraît bien dans le rapport annuel…
Le phénomène des sweatshops n’est pas nouveau. Déjà, au début du siècle, on s’est mobilisé pour défendre les droits des travailleurs du textile, surtout des immigrants, des femmes et des enfants, sans ressources et donc, vulnérables. Le phénomène ressurgit aujourd’hui dans un contexte de globalisation et de libre-échange qui permet aux grands noms de la mode (et aux manufacturiers en général) de confier l’étape de la fabrication à des sous-contractants peu scrupuleux, et surtout pas chers, pour nous revendre ensuite leurs vêtements avec une marge de profit digne du plus crapuleux des shylocks.
Vous avez dit responsable?
Avril 1996. Aux États-Unis, le visage grimaçant de la célèbre animatrice Kathie Lee Gifford, celle qui se veut l’incarnation même des valeurs familiales américaines, se retrouve à la une de la plupart des quotidiens. On apprend que la ligne de vêtements portant son nom (et dont les droits lui rapportent environ neuf millions de dollars US par année) est fabriquée par une compagnie, Global Fashion, qui emploie des enfants, et ce, dans des conditions inacceptables. L’Amérique est sous le choc. C’est comme si, au Québec, on découvrait des enfants esclaves enchaînés dans le sous-sol de Marguerite Blais.
Au cours des semaines qui suivent, les Américains s’émeuvent des conditions de travail inhumaines en vigueur dans la plupart des usines d’Amérique latine. Une jeune travailleuse de quinze ans, Wendy Diaz, vient témoigner aux audiences du Congressionnal Democratic Policy Committee. L’adolescente explique que Global Fashion emploie une centaine de mineurs qui gagnent en moyenne 31 cents l’heure et qui doivent parfois travailler toute la nuit pour terminer une commande à temps.
Le scandale force Wal-Mart à revoir ses pratiques et à instaurer un mécanisme de surveillance afin que les droits de la personne soient respectés. Quant aux stars hollywoodiennes, elles y pensent désormais à deux fois avant d’imprimer leur nom sur un t-shirt.
ienvenue chez Gap…
Dans son édition du 3 août dernier, le magazine Fortune vante les mérites de Mickey Drexler, le gestionnaire responsable du succès de la célèbre chaîne de vêtements Gap, connue à travers le monde pour ses khakis, ses t-shirts et le sourire gaga de ses vendeurs.
L’article, assez dithyrambique, brosse un portrait de l’entreprise en omettant de mentionner un épisode douloureux de son histoire: en 1995, le National Labor Committee (une organisation qui milite entre autres pour la reconnaissance des droits humains en Amérique latine) découvre que Mandarin International, une entreprise thaïlandaise installée au Salvador et responsable d’une partie de la production des vêtements Gap, emploie des adolescents dans son usine. Les travailleurs, qui sont payés 56 cents l’heure et qui travaillent en moyenne 18 heures par jour, doivent avoir une permission pour aller aux toilettes et sont punis s’ils y restent trop longtemps. Quant à leurs tentatives de syndicalisation, elles se soldent toujours par des mises à pied massives.
La réaction de Gap? Cesser toute relation d’affaires avec Mandarin International. «Trop facile et, surtout, irresponsable», rétorquent les membres de LCN qui pressent les compagnies américaines de se comporter en citoyens responsables.
Au terme de plusieurs mois de négociation, Gap accepte finalement que des observateurs indépendants issus d’organisations humanitaires puissent inspecter les usines de ses sous-contractants en Amérique latine. En signant cette entente, Gap devient la première compagnie américaine à accepter le principe d’inspection indépendante. Toutefois, l’entente ne touche pas les sous-contractants de Gap ailleurs dans le monde. Une bataille est gagnée, mais pas la guerre.
Mickey le rat
Chaque fois que Walt Disney sort un film, son grand patron s’enrichit. En 1996, Michael Eisner était p.-d. g. des entreprises Disney. Son salaire et ses dividendes, évalués à 200 millions de dollars US, provenaient du profit généré par les ventes des t-shirts à l’effigie de Pocahontas, du Bossu de Notre-Dame ou du Roi lion.
Des t-shirts fabriqués à Haïti par des ados payés parfois moins de dix dollars par semaine. Dans ces usines, qui existent encore aujourd’hui, les filles ont même droit à un bonus: on les oblige à prendre la pilule contraceptive. Après tout, Disney a une réputation d’entreprise familiale à protéger. Pas question que ses petites travailleuses tombent enceintes après avoir été violées par un superviseur. (Une étude menée par une anthropologue de l’Université Columbia dans un quartier pauvre de Port-au-Prince a révélé qu’environ 17 % des employées avaient été forcées à avoir des relations sexuelles avec leur employeur.) Imaginez le scandale!
Aux États-Unis, un t-shirt Pocahontas est vendu autour de onze dollars US, soit l’équivalent de cinq jours de travail dans une usine haïtienne.
Chaque jour, dans une de ces usines, un travailleur assemble cinquante t-shirts dont la vente rapportera 548, 50 dollars US. Le travailleur est payé 2, 22 $ par jour. Or, il lui en coûte environ 62 cents pour son petit-déjeuner (il doit quitter la maison à 5 heures du matin), 62 cents pour son lunch et 37 cents pour son transport. Au total, le travailleur dépense 1, 61 $ pour gagner 2, 22 $!!!
Quant au salaire du grand patron de Disney, il a déjà été évalué à près de 100 000 dollars US l’heure! Mickey Mouse peut bien avoir un sourire fendu jusqu’aux oreilles…
Fais ce que dois
Aux États-Unis, Michael Jordan est un symbole de réussite pour les ados, particulièrement les jeunes Afro-Américains qui grandissent dans les ghettos. Basketteur de talent, il est devenu le porte-parole de plusieurs grands noms dont Nike, le célèbre fabricant d’espadrilles et de matériel sportif.
Nike travaille fort pour convaincre sa clientèle qu’elle est une entreprise modèle. En 1992, le fabricant adoptait un code de conduite qui garantissait le respect de la santé et de la sécurité de ses travailleurs et qui reconnaissait leur droit d’association. Ce code s’appliquait également aux sous-contractants de Nike à travers le monde.
Or, l’année suivante, en Indonésie, des travailleurs à l’emploi d’un sous-contractant de Nike perdaient leur job après avoir exigé de meilleures conditions de travail.
Quatre ans plus tard, le scandale se déplaçait au Pakistan où on apprenait que des enfants âgés de sept ans cousaient des ballons Nike pour aussi peu que 60 cents par jour.
En novembre 1996, un reportage de l’émission 48 Hours révélait qu’au Viêt Nam, des travailleurs étaient forcés de se mettre à genoux, les bras dans les airs, pendant 25 minutes en guise de punition.
Ces faits troublants ne semblent pas empêcher Michael Jordan de dormir. En conférence de presse, il s’est déjà dit confiant que Nike allait régler la situation, puis il a encaissé son chèque de plusieurs millions de dollars, soit un montant SUPÉRIEUR au salaire annuel des 30 000 travailleurs indonésiens qui fabriquent les fameuses espadrilles.
Just do it, dit le slogan…
La vérité, toute la vérité
Aujourd’hui, quand vous faites votre épicerie, vous pouvez lire les ingrédients et la valeur nutritionnelle des aliments que vous achetez. Imaginez que vous puissiez faire la même chose en choisissant vos vêtements?
A côté des détails de fabrication et des instructions d’entretien, on vous décrirait les conditions dans lesquelles le vêtement a été fabriqué. «Cette robe a été assemblée dans une usine climatisée située en Chine par une travailleuse de 25 ans payée 8,90 $ l’heure et qui bénéficie d’une formation post-secondaire après ses heures de travail». Ou encore: «Ce pantalon a nécessité 2 heures de travail dans une usine surchauffée par une fille de 16 ans enceinte de huit mois». Impensable?
C’est pourtant l’objectif de la plupart des groupes qui militent en faveur des droits des travailleurs de l’industrie du vêtement.
«C’est une des grandes victoires des groupes environnementaux d’avoir forcé les fabricants à rendre publics les ingrédients qui composent les aliments, explique Nikki Fortunato Bas, coordonnatrice des programmes chez Sweatshop Watch, une coalition basée à Oakland, en Californie (voir entrevue ci-contre). Le public a le droit de savoir ce qui se cache derrière chaque vêtement.»
«En Europe, poursuit-elle, la campagne Clean Clothes (dont l’objectif était d’imposer un code de conduite aux entreprises et de responsabiliser les producteurs et les manufacturiers) a connu beaucoup de succès. On veut implanter un programme semblable en Amérique du Nord.»
Mais les consommateurs sont-ils prêts à payer davantage pour s’assurer que les vêtements qu’ils portent sont propres?
«Plusieurs études démontrent que oui, affirme Fortunato Bas. Mais nous croyons que ce n’est pas aux consommateurs de payer. C’est avant tout aux compagnies d’accepter de réduire un peu leur marge de profit.»
Tout un programme…