Société

Montréal en campagne : Ah! l’Albanie!

Un cinquième coq s’envoie au combat pour le poste de maire, après Pierre, Jean, Jacques, et un autre gars. Michel Bédard, fondateur du parti Montréal 2000, a déjà été un candidat éconduit du GAM et du RCM dans des élections précédentes. Il est aussi un ancien Rhinocéros, ce qui n’est pas pour redonner un peu de sérieux à cette campagne déjà au bord de la débilité. Mais Bédard jure qu’il ne se lance pas sur l’échiquier pour faire le fou.

En effet, Michel Bédard ne fait plus le clown. Il joue plutôt au Bonhomme Sept Heures. Vivre à Montréal, après avoir regardé le portrait de la ville qu’il esquisse, c’est un peu regretter l’Albanie. «Capitale canadienne des affamés, de l’itinérance, et de la pauvreté. Bonne candidate pour ravir la palme du plus haut taux de chômage. Bronxification de Montréal. Dix pour cent de la faune aquatique du fleuve a des malformations physiques. Les jeunes sont poussés vers le commerce illicite, le travail au noir et la criminalité de subsistance. Porte d’entrée pour toutes les drogues d’Amérique…»
Montréalais, l’Armagedon est à nos portes, et comme Bruce Willis est déjà reparti, fuyons vers l’Albanie! Les abris nucléaires construits par l’ex-président Hoxha pendant la guerre froide peuvent d’ailleurs loger le tout-Montréal.

Laissons tomber l’Albanie
Il y a pire qu’un politicien mal intentionné: un politicien mal informé. Commençons par le taux de chômage. A 9,8 %, le chômage à Montréal s’inscrit dans la bonne moyenne canadienne, et est de loin inférieur au reste du Québec, qui se situe à près de 12 %. L’emploi progresse de 6 % par année dans la grande région de Montréal depuis 1994, un taux similaire à celui des États-Unis.

Bronxification de Montréal? La criminalité est en baisse de 39 % depuis 1991. Avec trois meurtres pour cent mille habitants, contre douze pour New York, et mille quatre cents pour San Salvador, c’est à se demander si ce n’est pas le Bronx qui se montréalise.

Vingt-deux pour cent de la population montréalaise vit sous le seuil de bas revenu. C’est affolant, mais ce n’est pas montréalais. La tendance est continentale. Le fleuve est pollué? Il l’est aussi à Cornwall, à Trois-Rivières, et comme ça jusqu’au pays des bélugas. (Quel est le rapport avec la politique municipale?)

Remettre le citoyen à sa place
Pour endiguer cette débâcle de Montréal, Michel Bédard propose de «mettre le citoyen au haut de la pyramide du pouvoir». Comme ça, au faîte de l’édifice démocratique, le citoyen évitera d’être emporté par les flots de la misère.
Sans blague, les politiciens de tous les niveaux déplacent sans cesse le citoyen: tantôt vers le centre, plus tard vers le haut, quand ce n’est pas vers la base, en passant par le cour et le sein des communautés. Avec son programme, Montréal 2000 ne fait pas exception.

Ainsi, après les petits maires de Jacques Duchesneau et de Jean Doré, voici les «animateurs municipaux» de Michel Bédard. «De façon honnête et exhaustive, ils conseilleront les groupes de citoyens pour que ces derniers puissent prendre des décisions éclairées», avance-t-il.

Du populisme travesti en communautarisme vertueux. Réal Caouette converti au tofu et infusé à la tisane. Cette idéologie du citoyen avant tout laisse supposer que le politicien est au-dessus de la citoyenneté, comme s’il n’en était pas issu et avait une filiation avec l’au-delà. Or, le politicien est un citoyen. C’est lui, parmi nous, qui a été délégué pour gérer les affaires de la Cité, dans l’intérêt supérieur de tous. Quand ce dernier suggère de remettre le pouvoir entre les mains des citoyens, par le biais de conseils d’arrondissement, de quartier ou quelque autre gadget électoral, il annonce sa démission face aux responsabilités qui lui incombent. Des décisions à prendre, des gestes à poser? Dorénavant, il s’en lave les mains, ce sont des groupes de citoyens qui le feront à sa place.

A quoi bon les élire, les élus, si c’est pour qu’ils nous refilent leurs tâches et leurs responsabilités, tout en récoltant salaire et fonds de pension?

Une suggestion: et si on remettait l’élu au centre des décisions? Au sommet de l’imputabilité de ses gestes?

Les lobbys au pouvoir
Michel Bédard demande aux Montréalais de s’inquiéter de la présence, dans les rangs de ses adversaires, de gens d’affaires qui ont intérêt à passer par la politique pour vendre leurs projets aux contribuables, comme la privatisation de l’eau ou la construction d’un stade de baseball. D’accord: allez, on se fait tous du sang de punaise.

Mais son concept d’animateurs municipaux mérite aussi qu’on se fasse de la bile. En effet, ces groupes de citoyens dont il parle, ils représenteront qui, au juste? Souvent l’intérêt d’un petit nombre, et rarement celui de la majorité. La place des lobbys est dans la salle de presse, pas dans l’antichambre du pouvoir. Ils monopolisent déjà suffisamment les consultations et commissions de toutes sortes.

Mort au journaliste
La chronique de la semaine dernière, dans laquelle il était question du Bourque Tour 98 en arrêt dans le quartier Côte-des-Neiges, a fait beaucoup réagir. Plusieurs messages dans ma boîte vocale. Une partie de ces appels était une invitation à me faire foutre; d’autres, des menaces de mort en bonne et due forme. Comme celle-ci: «On va vous tuer.» De grâce, lorsque vous avez des commentaires, soyez plus explicite, afin que je sache ce qui ne vous a pas plu. Ou du moins, laissez-moi vos coordonnées, afin qu’on en discute. Merci à l’avance.