Coup de griffe : Le trop sage goujon
Jean Charest, c’est le vieux pote qui promet toujours de réparer votre robinet, mais qui oublie ses outils à chacune de ses visites.
Lucien Bouchard, c’est le vieux pote qui casse votre robinet, inonde la maison en essayant de le réparer et s’enfuit en jurant de faire mieux la prochaine fois.
Des deux, si vous voulez mon avis, Charest est sans doute le plus sympathique.
Sympathique comme ce type d’encre incolore et inodore qui demeure invisible jusqu’à ce qu’on la soumette à la chaleur.
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Sérieusement, il est presque parfait, l’ami Jean. Juste un peu ennuyeux. Comme un champ de tournesols dodelinant doucement de la tête dans une morne plaine.
Jean Charest est pour la vertu. Pour la santé. Pour la prospérité. Pour le bonheur. Pour la sécurité. Pour la jeunesse. Pour l’amour. Pour la glace à la pistache.
Comment peut-on chercher noise à un homme pareil?
Par moments, on jurerait qu’il a fait siennes deux des maximes fétiches de Robert Bourassa:
– Il n’existe pas de problèmes que l’absence de solutions ne finisse par résoudre;
– Il faut bien parler de temps à autre, mais il importe alors de ne rien dire.
Une seule fois, M. Charest s’est fait prendre à essayer de jouer les grands théoriciens politiques. Devant un auditoire médusé, il avait alors déclaré que le fédéralisme, c’est la souveraineté-association.
Depuis que Guy Lafleur avait comparé le droit de veto et le droit de vote, personne n’était parvenu à déclencher une hilarité aussi générale.
Ce soir-là, l’actuel chef libéral a probablement juré qu’on ne l’y prendrait plus. Mais ne présumons pas.
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Tout le monde sait qu’une image vaut mille mots, alors pourquoi Jean Charest gaspillerait-il sa salive?
Ne lui demandez surtout pas de vous parler de choses aussi embêtantes que la partition d’un Québec indépendant. Il se contentera de répondre, en écarquillant les yeux comme un poisson-lune, que l’indépendance est un «trou noir» dont on ne peut prévoir les conséquences.
Il est comme cela, Jean Charest. Toujours une métaphore ou un calembour dans sa poche pour s’en sortir ou pour clore le débat. Ce n’est pas lui que l’on surprendra à trop parler ou même à avoir l’air de réfléchir.
Qui osera le lui reprocher? On n’est jamais trop prudent. Après tout, la presse politique peut se révéler tellement cruelle, à l’occasion. Ainsi, durant les années 70, les journalistes américains s’amusaient à dire que le président Gérald Ford ne parvenait pas à marcher et à mâcher de la gomme en même temps.
Heureusement, avec M. Charest, il apparaît fort peu probable qu’on en vienne à de pareilles méchancetés. Personne ne sait battre des cils et sourire d’une façon aussi charismatique que lui devant une caméra.
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Blague à part, s’il ne faisait pas carrière en politique, le chef libéral ferait indiscutablement un bon assureur. Même lorsqu’il semble s’aventurer en terrain glissant, M. Charest prend des risques savamment calculés.
Ce fut le cas lors du congrès de la commission jeunesse de son parti, la fin de semaine dernière, à Sherbrooke. Devant un parterre de militants en délire, M. Charest s’est ainsi engagé à faire des jeunes le thème central de sa campagne électorale, en plus de multiplier les promesses.
Certains commentateurs s’en sont étonnés: «Quoi? M. Charest veut limiter une éventuelle hausse des frais de scolarité au taux d’inflation? Il veut que le remboursement des prêts étudiants soit proportionnel au revenu? Mais, ma parole, où est passé le politicien calculateur et conservateur?»
Ceux-là oublient un peu vite que tous les partis d’opposition promettent immanquablement la lune à la jeunesse du Québec à l’approche des échéances électorales.
Comme s’il s’agissait d’une malédiction, le scénario est à peu près le même depuis quinze ans.
Dans l’opposition vous desserrez votre cravate, vous faites semblant d’écouter du rap et vous soulevez la jeunesse en répétant des clichés du genre «l’avenir est dans le futur».
Sitôt arrivés au pouvoir, vous vous inquiétez de la cote de crédit de la province, vous parlez de stabilité politique et vous renvoyez illico les jeunes à leurs devoirs.
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Prenons l’exemple des frais de scolarité.
En 1985, alors que le PQ était au pouvoir, Robert Bourassa avait promis de geler les frais de scolarité s’il remportait les élections.
Au cours des deux années électorales subséquentes, soit 1989 et 1994, alors que le Parti libéral était au pouvoir, c’était au tour de Jacques Parizeau de promettre le gel des frais de scolarité.
Monsieur Charest serait-il différent des autres? Nul ne le sait. Interrogé sur les coûts de ses engagements et sur leurs modalités d’application, il est soudain devenu beaucoup plus vague.
En tous cas, si les choses tournent mal, il pourra toujours citer la phrase de Jules Renard: «C’est une question de propreté, il faut changer d’avis comme de chemise.