Société

L’affichage public à Québec : La colle buissonnière

Véhicule promotionnel traditionnel pour l’annonce d’activités en tout genre, l’affichage public constitue aussi bien souvent le seul moyen de faire connaître les activités de groupes aux budgets plus modestes. A condition, bien sûr, de le faire en cachette.

Que ce soit sur les poteaux de téléphone ou les palissades de chantiers de construction, la ville est parsemée d’affiches de toutes sortes annonçant spectacles, expositions ou manifestations. Utilisée tout autant à Paris, New York ou Venise qu’à Québec, la pratique remonte presque aussi loin que l’imprimerie elle-même. Pourtant, même si une grande partie des murs et poteaux disponibles sont entièrement recouverts, l’affichage public sur le territoire de la capitale demeure une activité à risque puisque, selon le règlement 884, il est tout bonnement interdit et rend passible d’une amende de la rondelette somme de 135 dollars. But avoué du règlement: empêcher l’affichage dit «sauvage».

Affiche-Tout est la seule compagnie de la région à se spécialiser dans l’affichage public. Parce qu’ils ont probablement autre chose à faire que déambuler dans la ville avec un pot de colle et une pile de posters, la plupart des producteurs de spectacles, musées et autres institutions font appel à ses services pour répartir leurs affiches aux quatre coins de la ville. Créée il y a seize ans, la petite entreprise continue de croître et atteint, aujourd’hui, un chiffre d’affaires avoisinant les 200 000 dollars. Seule ombre au tableau: malgré sa constitution en toute légalité, la majorité de ses activités demeurent, elles, toujours aussi illégales. Après avoir lutté pendant des années pour faire modifier le fameux règlement, le fondateur de l’entreprise, M. Roger Dugas, semble résigné: «On a tout essayé pour tenter de faire changer le règlement, mais ça n’a jamais rien donné, ils ne veulent pas le changer.» Choisissant judicieusement les moments les plus propices, employant un troisième homme chargé de surveiller, ils évitent soigneusement le regard des policiers. Écopant malgré tout de quelques inévitables contraventions, l’entreprise les acquitte sans broncher, comme un mal nécessaire.

Toutefois, pour arriver à distribuer la totalité des affiches qui lui sont confiées, Affiche-Tout occupe presque tous les espaces disponibles et, surtout, les plus visibles, y compris les poteaux des plus grandes artères. Ce qui ne laisse plus tellement de place pour la compétition ou, plus simplement, pour les petits groupes ou organismes sans grands moyens. C’est pour dénoncer cette situation qu’il considère absurde qu’un poète du centre-ville, André Marceau, a récemment créé le Front de réappropriation locale des poteaux: «On veut avoir la possibilité d’afficher des informations locales, pour viser la clientèle dans son milieu naturel. Comme l’affichage local est souvent un dernier recours pour ceux qui n’ont pas les moyens de se payer d’autres formes de publicité, on souhaite qu’il soit exonéré du règlement en question. Pour la vitalité du centre-ville, il faut permettre l’affichage des activités de petits groupes.»

M. Marceau s’interroge aussi sur l’intransigeance des policiers à l’égard des poseurs d’affiches des petits organismes locaux, les soupçonnant de favoritisme en faveur d’Affiche-Tout: «Des policiers sont venus me voir pour me demander d’enlever des affiches que j’avais posées, parce qu’elles en cachaient d’autres qui étaient, elles aussi, illégales.» Le capitaine Gaétan Labbé, du service de police de la Ville de Québec, nie toutefois toute forme de favoritisme: «On essaie d’intercepter celui qui les a posées. Que ce soit Affiche-Tout ou que ce soit une autre compagnie, ça nous laisse complètement indifférents. On a un règlement à faire respecter et je pense que ces gens-là n’ont pas plus de privilège que les autres. Je ne connaissais pas le nom de ce commerce, c’est la première fois que je l’entends et je suis convaincu que les patrouilleurs vont vous donner sensiblement les mêmes informations que je vous donne. Je ne vois pas pourquoi on favoriserait un plus que l’autre, c’est illégal dans les deux cas.»

Quand la Ville dort
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Ville agit assez étrangement dans ce dossier. Car, bien qu’étant l’instigatrice du règlement qui interdit l’affichage, elle collabore indirectement à sa prolifération en s’associant régulièrement à des organismes qui utilisent les services d’Affiche-Tout, comme les Fêtes de la Nouvelle-France, Plein Art ou le Palais Montcalm. Et, aussi absurde que cela puisse paraître, le logo de la Ville trône fièrement sur des affiches couvrant les murs et poteaux frappés d’interdit. André Savard, du service des communications de la Ville de Québec, explique toutefois que la Ville n’est pas directement impliquée: «Le Palais Montcalm ou la Ville elle-même n’ont jamais donné de contrat à Affiche-Tout. Que ce soit légal ou illégal, ce sont toujours les producteurs de l’événement qui s’occupent de ça. Vous allez me dire que ça n’excuse rien mais.»

Comme pour se faire pardonner de l’obliger à vivre avec des contraventions qui lui pendent au bout du nez, la Ville a confié à l’entreprise, en 1992, la gestion des colonnes Morris (colonnes réservées à l’affichage) lui accordant un monopole de fait sur les seuls espaces autorisés sur le territoire de Québec. Un «cadeau» qui aura nécessité huit ans de pourparlers, mais qui demeure insuffisant pour répondre à des contrats qui, régulièrement, exigent la pose de 400 ou 500 posters. Pour survivre, l’entreprise n’a donc pas d’autre choix que de continuer à tapisser à tous vents.

Le message qui provient de Québec est loin d’être clair. Après tout, si on souhaitait réellement éradiquer l’affichage, peut-être serait-il plus efficace de distribuer les contraventions à ceux qui s’annoncent plutôt qu’à ceux qui posent les affiches? A moins, évidemment, qu’on hésite à faire payer des institutions comme le Musée de la civilisation, le Musée du Québec ou la Commission de la capitale nationale? Et si, comme tout l’indique, la Ville considère l’affichage public comme une réalité de la vie urbaine, peut-être devrait-elle modifier sa réglementation qui, il ne faut pas l’oublier, date de près de cinquante ans?

Bien qu’il insiste pour préciser que son rôle consiste strictement à faire appliquer la loi selon le souhait du législateur, le capitaine Labbé y va tout de même d’une suggestion: «Il faudrait intervenir auprès des élus municipaux et essayer de voir à installer, peut-être, plus de colonnes Morris ou encore à planifier des lieux d’affichage plus importants dans des endroits stratégiques. On avait des problèmes avec des graffitis sur différents murs à travers la ville de Québec et on a réglé ça en leur donnant des endroits où ils pouvaient faire des graffitis. Depuis ce temps, les graffitis ont diminué de quatre-vingts pour cent sur le territoire.»

Au moment de mettre sous presse, M. Savard nous annonçait officieusement que la Ville s’apprêterait à modifier le règlement en question. Il n’était toutefois pas en mesure de préciser dans quel sens iraient les modifications, ni la date de leur entrée en vigueur.

En attendant, si vous voyez un poseur d’affiche ouvrer près de chez-vous pendant la nuit, rappelez-vous qu’il s’agit d’un débutant. Les spécialistes, eux, savent très bien qu’ils risquent moins de se faire prendre en plein jour!