Le départ de Lise Bissonnette : Tournée, la page
Société

Le départ de Lise Bissonnette : Tournée, la page

Après avoir analysé la culture de nos institutions dans Le Devoir, LISE BISSONNETTE va maintenant diriger une institution culturelle: la Grande Bibliothèque du Québec. Petit bilan de son règne, par notre chroniqueuse Médias.

On se remet à peine du départ de Tina Brown à la tête du New Yorker qu’une autre nouvelle vient secouer les cloisons amovibles du merveilleux monde des médias: Lise Bissonnette quitte Le Devoir pour aller diriger les destinées de la Grande Bibliothèque.

Surprenant? Pas tant que ça. Il suffit de relire ses éditoriaux des deux dernières années pour constater à quel point le projet d’une Grande Bibliothèque lui tenait à cour. Depuis le 10 février 1996, date où elle affirmait qu’il était encore temps pour le gouvernement péquiste de laisser sa marque sur le plan culturel en donnant son aval au projet de construction d’une très grande bibliothèque du Québec (TGBQ), Bissonnette n’a jamais cessé de suivre le dossier: commentant le choix de son emplacement, critiquant sévèrement les conclusions du rapport Richard, répondant à l’éditeur Jacques Lanctôt qui n’approuvait pas l’idée, plaidant en faveur du site du Quartier latin… Bref, la TGBQ était SON projet et le gouvernement péquiste n’a fait qu’officialiser un état de fait en lui cédant les rênes du pouvoir. Cadeau empoisonné? Seul l’avenir le dira.

Dans le paysage journalistique, le départ de Lise Bissonnette ne laisse personne indifférent. Au Québec, aucun autre quotidien n’est autant associé à la personnalité de son directeur que l’est Le Devoir. Dans le cas de Mme B., ce culte de la personnalité avait ses bons et ses mauvais côtés.

Sur le plan de l’image corporative, Mme Bisonnette a fait beaucoup pour le journal: nouveaux locaux, redressement financier, refonte graphique et, surtout, resserrement des liens avec les milieux institutionnels. Mme B. était de tous les cocktails et soirées-bénéfice (à la fin de son règne, elle était plus souvent photographiée dans les pages de son journal que l’a été Roger D. Landry dans les pages de La Presse). Pas de doute, les comptables de l’endroit la pleureront.

Comme éditorialiste, encore une fois, Mme Bissonnette n’avait pas son égal. Que ses éditoriaux s’étendent sur plusieurs pages et sur plusieurs jours, ou qu’ils se déclinent en un seul mot (comment oublier son NON retentissant lors de l’entente de Charlottetown), ils étaient presque toujours un exemple de rigueur intellectuelle et d’érudition.

De glace
Malgré toutes ces qualités, la plupart des journalistes du Devoir n’ont pu réprimer un sourire à l’annonce de son départ. Disons-le, Mme B. n’était pas très populaire dans la salle de rédaction de la rue de Bleury. Respectée, oui, mais pas aimée. Ses rapports avec les journalistes ont souvent été conflictuels (qu’on pense aux négociations syndicales-patronales ou, encore, au douloureux épisode du concours Hydro-Québec), et elle était reconnue pour mettre son nez dans les sections qui lui tenaient à cour (travailler en arts visuels était, dit-on, impossible si on ne partageait pas ses vues. Elle s’était d’ailleurs attribué la chronique culturelle hebdomadaire comme si personne, à part elle, n’était à la hauteur de la tâche). Bref, ses relations avec les journalistes étaient en général plutôt froides, pour ne pas dire inexistantes.

Cette froideur transpirait d’ailleurs dans les pages du journal (on se pince aujourd’hui quand on entend Mme Bissonnette déclarer qu’elle rapprochera la Grande Bibliothèque du peuple).

Résultat: Le Devoir est un beau journal qui demeure coincé dans un carcan, incapable de rejoindre le lectorat qui lui fait tant défaut. Or, à quoi sert un journal si personne ne le lit? Le défi du successeur de Lise Bissonnette est là: faire en sorte que ce quotidien soit lu ailleurs que dans les officines du pouvoir et les bureaux des profs d’université.
Lise Bissonnette avait à peine terminé de s’adresser à ses employés que la machine à rumeurs s’emballait. Tous les noms possibles ont circulé, de Michel Nadeau à Michel C. Auger, en passant par Jean-François Lisée, Denise Bombardier et Jean-Robert Sansfaçon.

Le processus de nomination est complexe mais on s’entend pour dire que Lise Bissonnette aura probablement son mot à dire. Les mauvaises langues affirment même qu’elle veillera à ce que sa succession ait moins de panache qu’elle. Du genre: «Après moi, le déluge…»

Reste que Le Devoir est à la croisée des chemins. A l’heure actuelle, il y a un trou béant dans le paysage journalistique montréalais, trou que La Presse semble bien déterminée à NE PAS combler.

Le défi: produire un quotidien intelligent et moderne, où l’on parlera aussi bien de tendances que d’affaires internationales, d’idées, de politique nationale, d’environnement, de sports et de culture. Un quotidien branché (contrairement à ce que les vieux mononcles de La Presse pensent, Internet n’est PAS une mode), capable d’intégrer les nouvelles technologies sans perdre de profondeur. Bref, un quotidien dynamique et ouvert d’esprit. Presque tous les ingrédients semblent être en place; reste à trouver celui ou celle qui saura leur donner du piquant.
Cette personne existe-t-elle?