Société

Coup de griffe : Saint-Joseph-de-la-dérive

On n’arrête pas le progrès, mais il mériterait parfois qu’on lui passe les menottes.
Comme à un vulgaire malfrat.

Dès l’été prochain, si tout se déroule comme prévu, la côte des Éboulements, théâtre de deux effroyables tragédies routières, cédera la place à une sorte de tronçon d’autoroute taillée à même la montagne. Un petit bout de Manhattan au cour d’un territoire classé réserve de la biosphère par l’UNESCO.

Que voulez-vous faire contre cela?

Les touristes avaient peur. La population avait peur. Alors, on a pris les grands moyens. Tant pis pour le paysage. Tant pis pour la nature. Tant pis pour la beauté. Tant pis pour le patrimoine. Tant pis aussi pour le village de Saint-Joseph-de-la-Rive, qu’on défigurera probablement en y faisant aboutir la nouvelle route.

«Ils ont chassé le naturel, et il n’est pas revenu au galop. En fait, il n’est jamais revenu», ironisait un célèbre écrivain français.

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– C’est une piste d’atterrissage pour les extra-terrestres?, demanderont les touristes ébahis.

– Dans Charlevoix, l’effroi déplace les montagnes, rétorqueront les notables gonflés d’orgueil.

Tassez-vous, les nostalgiques et les amoureux des petits oiseaux. Vous irez manger vos pâtés de millet, vos croûtons aux sept céréales et votre porridge ailleurs! On ne va pas commencer à s’exciter pour quelques vieilles pierres! Vous ne comprenez donc rien?

Des tonnes de garnotte.

Des murets de béton.

Un nouveau pont.

Des bulldozers qui s’activent comme des faux-bourdons.

Une vraie bénédiction pour un gouvernement à la veille d’élections.

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En principe, la construction d’une route de cette envergure devrait faire l’objet de consultations publiques. Je dis «en principe», parce que ce ne sera vraisemblablement pas le cas cette fois-ci.
Comme pour la mise en place de la ligne de 735 Kv entre les postes d’Hertel et Des Cantons, en Montérégie, le gouvernement du Québec évoque l’urgence de la situation pour agir vite. Quitte à contourner ou à violer l’esprit de ses propres lois environnementales.

Oui, je sais, un gouvernement qui ne respecte pas ses lois, ça ne devrait pas exister. «Absurde, me direz-vous, c’est comme un pompier pyromane».

Oui, comme une truite qui adhérerait à un club de pêche.

Ou un poulet qui voterait pour le colonel Sanders.

Et pourtant, c’est ainsi.

Je dirais même plus, c’est ici.

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Était-ce donc cela, l’autre façon de gouverner que promettaient les péquistes? Ce gouvernement autoritaire qui gouverne par décrets? Cette brochette de ministres arrogants et sûrs de détenir la vérité?

Était-ce cela, le Québec dont rêvaient les péquistes? Un État qui vote des lois environnementales fort progressistes, mais qui se comporte dans les faits comme une vulgaire république de bananes?
Quatre ans plus tard, pour obtenir la tenue d’audiences publiques sur le tracé de la côte des Éboulements ou le passage d’une ligne à haute-tension, voilà que des groupes de citoyens doivent avoir recours aux tribunaux.
Qui aurait dit ça?

Qui aurait deviné, surtout, que ceux-là même qui prétendaient avoir de grands projets pour le Québec deviendraient les complices enthousiastes du saccage de son patrimoine naturel?

«J’peux pas croire que tu sois si rat. J’peux pas croire que tu sois si bas. Faudrait qu’tu sois… si bête», chantait Gilles Vigneault.

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Quelques semaines avant les prochaines élections, des groupes environnementaux ne manqueront pas de dresser le triste bilan de l’administration péquiste en matière d’aménagement du territoire.
Je suggère de tenir l’activité au coucher du soleil, dans le Parc des Chutes-de-la-Chaudière, sur la rive-sud de Québec, devenu le symbole de l’inconscience environnementale de tout un peuple.
Pourquoi aux Chutes-de-la-Chaudière, au coucher du soleil?

C’est que, voyez-vous, pour les besoins de la reconstruction d’une petite centrale hydro-électrique, on rendra la chute entièrement artificielle.
Au crépuscule, quand les travaux seront complétés, on pourra l’éteindre en actionnant un interrupteur. Tout ça pour permettre au réservoir du barrage de se remplir.

Un jour ou l’autre, à ce rythme, un illuminé achèvera de déguiser la chute en colorant l’eau rose nanane ou en y déversant des tonnes de bain moussant. Après tout, cela pourrait difficilement être pire.