Enfants, technologies et apprentissage : Les règles du jeu
Société

Enfants, technologies et apprentissage : Les règles du jeu

Pédagogues et parents inquiets, rassurez-vous: vos enfants ne sont pas en danger devant leur Nintendo ou leur ordinateur. En fait, ce serait peut-être même la clé vers le succès académique…

«Ça ne sert à rien de résister, les jeux vidéo sont là pour rester, qu’on le veuille ou non. Alors pourquoi ne pas essayer de les comprendre, de tirer profit de leurs qualités et d’accompagner les jeunes là-dedans?» lançait en entrevue Jacques de Lorimier, spécialiste au Conseil national de l’éducation, à la sortie de son livre Ils jouent au Nintendo, en 1991. Le constat de ce routier de l’éducation (maintenant retraité) a eu l’effet d’une bombe dans un milieu plutôt habitué à rechigner devant Mario Bros et compagnie. Tandis que les parents et les éducateurs jetaient le blâme sur les jeux vidéo pour la perte de concentration ou le manque d’intérêt scolaire de leurs enfants, Jacques de Lorimier soutenait que, au contraire, cela stimulait leur imaginaire et les aidait à devenir plus débouillards et plus éveillés.

Les années ont passé, mais l’opinion de Jacques de Lorimier n’a pas bougé d’un iota. Au contraire, elle s’est renforcée. Pour faire valoir son point de vue, il s’est promené un peu partout pour donner des conférences à des pédagogues, à des spécialistes ou à des parents. Et les vertigineuses avancées technologiques des dernières années ont apporté de l’eau au moulin de sa réflexion.

Nintendo et Internet: même combat? Selon Jacques de Lorimier, les éducateurs sont placés devant un énorme défi. «Il faut surmonter les
craintes, explique-t-il, et surtout ne pas nier l’existence de ces nouvelles technologies. Il faut essayer de faire des rapports avec l’imaginaire des enfants qui les utilisent.»

Mais comment intéresser à la grammaire des gamins qui s’abreuvent des aventures en 3D de Lara Croft? Pour Jacques de Lorimier, il faut prendre en considération l’univers construit en mosaïque et en «flashs» par l’enfant, mais sans oublier la mission première de l’école: enseigner des matières un peu plus linéaires. «Les plus jeunes doivent quand même apprendre à réfléchir, à écrire et à structurer leur pensée, spécifie-t-il. L’école doit se rendre compte qu’elle travaille pour ces jeunes-là qui, dorénavant, ne pensent pas nécessairement par le biais d’un univers écrit. Les mots deviennent un appoint à l’image, au son et au mouvement.»

Parents, à vos consoles!
Pour mener à bien sa réflexion, Jacques de Lorimier n’a pas eu de peur de s’asseoir devant une console de jeux et un ordinateur pendant de nombreuses heures. Il conseille d’ailleurs aux parents et aux pédagogues de ne pas rester à l’extérieur de ce phénomène. «Il faut regarder l’enfant et lui poser des questions: "Qu’est-ce que tu vois?" ou "Qu’est-ce que tu fais?" Quand on a compris cela, on peut ensuite se dire: c’est beau, mais il y a autre chose.»

Diriger, surveiller le gamin serait le rôle du parent, sans toutefois faire la «police». De Lorimier est clair: il est primordial d’orienter le bambin dans sa démarche, de le surveiller. «Le Nintendo ou l’ordinateur ne sont pas des gardiennes d’enfants. Si on les accompagne, les enfants réussiront à faire de vrais apprentissages. Et c’est aux parents et aux éducateurs d’ajouter d’autres pans à leur réalité», indique-t-il.

Un autre grand défi des éducateurs est de tenter de responsabiliser les jeunes. Qu’ils ne soient pas passifs devant le flot d’informations transmises par ces nouvelles technologies. «Les jeunes ne doivent pas être esclaves de la machine, ils ne doivent pas oublier que ce sont eux qui la dirigent, croit Jacques de Lorimier. Il faut donc donner une éducation aux médias pour qu’ils comprennent vraiment ce qui se passe.»

Jouer pour réussir?
Malgré tout, Jacques de Lorimier juge qu’Internet ou les jeux vidéo apportent quelque chose de positif aux enfants. Pour une rare fois, ils peuvent être les maîtres du jeu. «Ils font des essais et des erreurs et font face à des difficultés. S’ils n’atteignent pas leurs buts, ils vont "foirer". C’est comme ça qu’ils vont apprendre la débrouillardise et la réussite.» Mais pourquoi les parents et les éducateurs ont-ils encore peur? C’est quand il s’est retrouvé devant une console que Jacques de Lorimier a eu la réponse à cette question: les enfants vivent différemment leur imaginaire, point à la ligne. «Ils se voient comme les héros qui vont délivrer la princesse», laisse tomber le spécialiste. Et puisque leurs parents ont tous, un jour, fantasmé en lisant des contes, la confrontation est inévitable.

Pour ce qui est de la perte d’intérêt ou du manque de concentration devant les études, Jacques de Lorimier ne semble pas s’inquiéter outre mesure de ces épouvantails qu’agitent les éducateurs. Selon lui, c’est partout pareil. «On blâme souvent les jeux pour les difficultés des enfants en français écrit. Mais en anglais ou en allemand, c’est la même chose.» En ne minimisant pas les lacunes des jeunes élèves en français écrit, le spécialiste se veut toutefois rassurant, la montée d’Internet lui donnant quelque peu raison. «Il n’y a pas que des images sur le Web, ça nous remet dans un monde d’écriture!»