Force Jeunesse : Un premier Front commun pour les jeunes
Le 23 août, une nouvelle organisation verra le jour: Force Jeunesse. Pour la première fois, des jeunes de dix-huit à trente-cinq ans provenant de tous les secteurs (étudiant, syndical, patronal, communautaire, féministe, etc.) et de toutes les allégeances politiques (indépendantistes et fédéralistes) uniront leurs forces pour défendre les droits des jeunes travailleurs. Et lutter contre les clauses orphelin. L’union fait la force…
On a souvent dit que le mouvement jeunesse traînait de la patte au Québec parce qu’il était trop divisé. Les assos étudiantes d’un côté, les jeunes syndiqués de l’autre, les ailes jeunesse des partis politiques, le Conseil permanent de la jeunesse… Tout le monde tirait la couverture de son bord, et personne ne parlait pour l’ensemble des jeunes.
Or, le 23 août prochain, un premier Front commun défendant les jeunes travailleurs verra le jour: Force Jeunesse.
Regroupant des jeunes de tous les secteurs et de toutes les allégeances politiques, Force Jeunesse veut défendre un seul dossier, celui l’emploi chez les jeunes. La question nationale ne les intéresse pas. «On a d’autres chats à fouetter.» Leur priorité: rendre les clauses orphelin, ces dispositions qui prévoient une baisse salariale pour les nouveaux employés, illégales.
Vivre en attendant
Actuellement, Force Jeunesse (qui «campe» au département de Théologie de l’Université de Montréal) est constitué d’une demi-douzaine de bénévoles, surtout de jeunes employés et des travailleurs autonomes qui connaissent bien la précarité. Plusieurs d’entre eux sont issus du groupe de réflexion Un pont entre les générations (voir texte page 12). Ils ont voulu passer à l’action, en fondant un regroupement «par les jeunes, pour les jeunes».
L’instigateur du projet, François Rebello (voir texte page 15), ex-président de la FEUQ (1994-1995), complète actuellement une maîtrise en sciences économiques à l’Université McGill. Autour de lui, on retrouve Geneviève Shields, ex-syndicaliste à l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre et de cinéma (A.I.E.S.T), et Rock Beaudet, qui termine sa maîtrise en relations industrielles à l’Université de Montréal.
Le but premier de Force Jeunesse est d’aider les jeunes à percer le marché du travail, et à se faire une place au soleil. «Les jeunes sont sur-diplômés, mais ils se heurtent partout à des portes fermées, déplore Geneviève Shields. Ils endurent leur situation, en espérant qu’elle se règle…» En attendant, les années passent. «La société nous dit: >Mets ta vie sur le hold! Attends pour fonder une famille!÷>»
Les jeunes qui ont la chance d’avoir un travail syndiqué sont souvent maintenus dans la précarité. La sécurité d’emploi est en voie de disparition dans l’univers syndical québécois. Que ce soit à la CSN, à la CEQ ou à la FTQ, environ 40 % du membreship est à statut «temporaire». Ces employés n’ont pas les mêmes droits que les autres, et pas assez de poids pour faire pencher la balance en leur faveur quand viennent les négociations.
Les appels à la solidarité lancés par les têtes dirigeantes des centrales n’y font rien. Dans les milieux de travail, les «permanents» adoptent de plus en plus souvent des clauses dites «orphelin» dans leurs conventions collectives. «C’est devenu monnaie courante», déplore Shields. L’an dernier, les employés des municipalités les ont largement adoptées pour réaliser leur objectif de compressions budgétaires. Tous les secteurs, publics et privés, sont touchés. Toujours discriminatoires en vertu de la date d’embauche, les clauses orphelin portent surtout préjudice aux jeunes, aux femmes et aux nouveaux arrivants.
Les clauses orphelin
Les clauses orphelin sont une «iniquité inter-générationnelle», plaide-t-on à Force Jeunesse. Il est vrai que les travailleurs syndiqués ne sont pas tous exploités. Un ouvrier spécialisé au journal The Gazette peut gagner jusqu’à 34,43 $ de l’heure. Sauf… s’il a été embauché après le 6 novembre 1994. Pour effectuer la même tâche, il devra alors se contenter d’un maximum de 29,27 $.
Des permanents obligés de faire des «choix difficiles» trouvent parfois le moyen de s’octroyer quand même une petite augmentation. Ainsi, les employés d’Emballage Victoriaville Ltée ont diminué le salaire de base des nouveaux travailleurs de 0,75 $ de l’heure, tout en s’accordant une hausse de 0,25 $ de l’heure!
«Comment une génération peut-elle faire ça à une autre? s’insurge Shields. Ces mesures sont discriminatoires. Elles contreviennent à la Charte des droits et des libertés canadienne.» Elle croit qu’il est possible d’amener le gouvernement à modifier les lois. «Sur le plan politique, les groupes de jeunes sont respectés. Ils constituent une force majeure auprès des décideurs. La clause orphelin est devenue un enjeu électoral lorsque les jeunes l’ont critiquée dans les médias.» «Force Jeunesse veut promouvoir des valeurs d’équité et de solidarité. Nous voulons une meilleure répartition du travail. Il y a une minorité plus âgée qui concentre tout. Pourquoi les plus vieux ne font-ils pas de place aux plus jeunes?»
A son avis, l’opinion publique sera de leur côté. «Un sondage d’opinion diffusé à l’émission Droit de parole révélait que la majorité de la population réprouve les clauses orphelin», raconte Shields.
«Le gouvernement nous parle de Pacte social. Mais les syndicats l’ont prouvé, les bonnes intentions ne suffisent pas. L’État doit légiférer pour interdire les clauses orphelin. Sinon, la tendance à la baisse des conditions de travail chez les jeunes, les femmes et les nouveaux arrivants va empirer.»
L’organisation déposera un mémoire sur les clauses orphelin lors de la Commission parlementaire consacrée à cette question, le 25 août prochain. Mais ce n’est pas la première fois que des représentants jeunesse s’adressent au gouvernement à ce propos. Jusqu’ici, ce dernier a fait la sourde oreille. On peut imaginer la réaction des syndiqués permanents actuels advenant un renversement de la situation. A coup sûr, certains ne manqueraient pas d’accuser les jeunes d’engendrer une «guerre entre les générations»…
Force Jeunesse
Les membres de Force Jeunesse se défendent de vouloir fonder un parti politique. «Nous ne sommes ni des révolutionnaires, ni de jeunes libéraux trop réfractaires au changement. Nous sommes apolitiques, affirme Geneviève Shields. Certains vont nous accuser de faire seulement du lobbying. Effectivement, s’occuper en priorité des syndiqués peut sembler élitiste. Mais quand les universitaires se rabattent sur les emplois de serveurs, de vendeurs ou de caissiers, que reste-t-il aux sans-diplôme, de plus en plus nombreux?»
«Nous voulons défendre tout le monde. J’ai voulu amener une dimension communautaire à ce projet. Le défi, c’est de s’asseoir tous ensemble. Certains de nos membres étaient réfractaires au fait d’appuyer les employés des McDonald’s en voie de syndicalisation, parce que c’était cautionner une centrale syndicale… Mais nous sommes prêts à composer avec les différences.»
«Nous voulons être un groupe d’experts. Nous pourrions, par exemple, défendre les apprentis qui travaillent au-dessous du salaire minimum dans le cadre de leurs stages travail-études. Cette mesure récente est passée sans opposition!» déplore-t-elle.
Geneviève Shields, ex-préposée à l’accueil dans un cinéma, a joué un rôle important dans la syndicalisation des employés de la chaîne Odéon, dont la rémunération avoisine le salaire minimum. «Avec l’A.I.E.S.T., nous avons réinventé le syndicalisme. Nous ne luttons pas seulement pour de meilleures conditions de travail, mais aussi pour être partie prenante de la gestion de l’institution.»
Et les non-syndiqués, eux?
Mais les jeunes exclus n’auront sans doute que faire d’un énième mémoire déposé en leur défense devant des audiences publiques où tout est joué d’avance. La pluie de documents qui a inondé les assistés sociaux de dix-huit à vingt-quatre ans n’a pas empêché l’adoption du parcours obligatoire vers la précarité et l’exploitation… Les groupes de jeunes plus radicaux, comme la Coalition Y, le Mouvement pour le droit à l’éducation (MDE) et le Collectif d’actions non violentes autonomes (CANEVAS), davantage portés sur la désobéissance civile que sur les représentations devant des instances consultatives, brillent d’ailleurs par leur absence au sein de Force Jeunesse.
«Nous pouvons mener une action complémentaire. Nous pouvons négocier pendant que ces groupes maintiennent la pression dans la rue», croit Shields. Peut-être. Mais les membres de Force Jeunesse devront éviter de faire ce qu’ils reprochent justement à la génération précédente, c’est-à-dire abandonner les non-syndiqués, les sans-emploi et les sans-chèque sur le trottoir, lorsque les premières concessions seront arrachées.
L’assemblée générale de fondation de Force Jeunesse aura lieu le dimanche 23 août, à midi, au Café Campus, situé au 57, rue Prince-Arthur Est (métro Sherbrooke). Tous les jeunes et les moins jeunes sont invités. Des syndicalistes de la première heure, comme Marcel Pépin et Madeleine Parent, les appuient.
«Ce sera l’occasion de rencontrer les groupes de jeunes que l’on ne connaît pas encore», conclut Shields.