Société

formation professionnelle au secondaire : Déformation professionnelle

En 1997, la ministre Pauline Marois mettait en branle un plan de relance de la formation professionnelle au secondaire drôlement ambitieux. Un an plus tard, force est de constater que la ministre avait les yeux plus grands que la panse.

De réformes en réformettes, la formation professionnelle au Québec se cherche sans cesse. Malgré un nouveau train de mesures annoncé l’an dernier pour rendre plus attrayant et efficace ce secteur moribond du réseau scolaire, le ministère de l’Éducation devra encore aller en classe de rattrapage. C’est bien beau de vouloir attirer plus de jeunes vers la formation professionnelle, encore faut-il s’en donner les moyens.

C’est du moins l’avis de René Dudier, qui, de son titre de conseiller pédagogique à la formation professionnelle à la plus grosse commission scolaire du Québec, vit la réforme sur le terrain. Il doit constater que la ministre Pauline Marois a fait une mauvaise lecture de la situation. «La ministre croyait qu’on pouvait dégager plus de places en enseignement professionnel simplement en réaménageant les horaires. Or, à ce moment-là, non seulement cette mesure était-elle déjà appliquée à la Commission scolaire de Montréal (autrefois la CECM), mais on fonctionnait avec trois horaires par jour. L’école commence à 7 h 30 pour certains, et se termine à 22 h 30 pour d’autres. Il y a une limite à ce que le système pouvait absorber en nombre d’élèves, et elle est atteinte depuis longtemps.»

Les yeux plus grands que la panse
En 1997, la ministre de l’Éducation, Pauline Marois, a sonné le réveil lors du Sommet sur l’économie et l’emploi. La formation professionnelle au secondaire ne doit plus être une voie de garage sans issue, disait-elle. Elle a donc ouvert un vaste chantier de rénovation des programmes de formation professionnelle: alternance travail-études et formation en entreprise, en équipe avec la Société québécoise de la main-d’ouvre (SQDM); accessibilité aux études professionnelles dès le IIIe secondaire -; possibilité de poursuivre au cégep sans pénalités; plus de places disponibles…

Pour ceux qui s’inquiétaient de demander à un jeune de IIIe secondaire de se brancher dès lors sur son avenir, la réforme Marois avait une réponse: l’exploration. Pendant cent heures, un jeune peut participer au volet exploratoire, en testant ses affinités avec divers métiers. Si l’exploration s’avère négative, l’élève a le loisir de retourner vers le secteur général.

L’objectif: multiplier par quatre le nombre de jeunes de moins de vingt ans inscrits en formation professionnelle d’ici cinq ans, eux qui ne représentaient en 1996 qu’entre dix et quinze pour cent de la clientèle, selon les régions. A Montréal, les jeunes formaient une quantité négligeable, à peine cinq ou six pour cent. Désormais, l’ambition avait une ministre. «C’était trop ambitieux, estime René Dudier. Le système de l’éducation ne se modifie pas facilement, et aussi rapidement. Un de mes collègues disait qu’un changement rapide en éducation, ça veut dire cinq ans!»

L’objectif de la ministre Marois aurait pour conséquence de faire passer le nombre d’inscrits en formation professionnelle à la CSDM, de sept mille à trente mille, alors que dans le temps et l’espace, la machine n’arrive plus à absorber le flux constant de nouveaux inscrits. «Le ministère modifie le programme en soins infirmiers pour qu’il y ait plus de stages en milieu de travail, mais en même temps, le réseau hospitalier n’accepte plus de nouveaux stagiaires. Alors, on fait quoi?»

Prises de façon absolue, les statistiques montréalaises (cinq pour cent de jeunes dans le secteur professionnel) avaient en effet de quoi inquiéter. Mais il faut savoir lire entre les lignes, avertit le conseiller pédagogique. Selon lui, les adultes présents en formation professionnelle de sa commission scolaire seraient en fait de «faux vieux». «Les parents montréalais ont une mauvaise perception des métiers manuels. Ils orientent plutôt leurs enfants vers un parcours dit plus noble: un DES, puis un DEC, et enfin l’université. Mais à vingt-quatre ou vingt-cinq ans, ces jeunes se rendent compte qu’ils se sont trompés de voie. Alors ils reviennent en formation professionnelle, pour apprendre un métier, partir en affaires dans ce domaine. S’alarmer devant les statistiques, c’est faire fi de l’esprit d’entreprise.»

Mission non accomplie
Des cinq volets de la réforme de 1997, celui qui visait à faire l’arrimage entre la formation professionnelle du secondaire et le secteur technique du collégial obtient la moins bonne note, soit un gros F. Une sorte de tentative de téléportation: scientifiquement possible, mais improbable dans la situation actuelle. «Il aurait fallu attirer un trop grand nombre de jeunes en secondaire III, leur demander de choisir dès lors un métier, et poursuivre leur formation jusqu’à la fin du cégep. Visiblement, c’était trop audacieux de ne pas tenir compte de la crainte des parents de voir leurs enfants choisir si jeunes une carrière.»

D’autres volets, par exemple celui qui visait la clientèle des décrocheurs et des élèves qui n’ont que peu d’aptitudes à l’école, réussissent mieux. C’est à l’intérieur de ce volet que la CSDM, sous la direction de René Dudier, a créé le Centre intégré de formation en environnement et recyclage (CIFER Angus), une école-usine installée dans les anciennes «shoppes» Angus, où des décrocheurs côtoient collégiens et universitaires dans une école où ils apprennent à recycler le vieux matériel informatique de la commission scolaire. «C’est la partie de la réforme, en permettant ce genre d’innovation, qui risque d’offrir les meilleurs résultats», croit Dudier.

Qu’importe la réforme que proposera le gouvernement, René Dudier la condamne à l’échec si le MEQ persiste à appliquer la même solution à tout le monde. Flexibilité, S.V.P.! «Nous avons mis sur pied un programme de formation pour aviseur technique en mécanique automobile, raconte Dudier, parce que l’Association des concessionnaires d’autos de Montréal nous avait signalé leurs besoins en ce sens. Mais comme la demande ne venait pas d’une organisation nationale, où les besoins auraient été partout pareils au Québec, le MEQ nous l’a refusé. Alors, le MEQ va étudier la situation pendant quelques années, se rendre compte qu’il y a un besoin, et va prendre quelques années pour élaborer un programme pour tous. Notre programme, lui, est prêt immédiatement!» Allez savoir…