Le 29 mai dernier, le ministre de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario, David Johnson, annonçait la création de milliers de nouvelles places dans les programmes d’informatique et les cours de génie. Le gouvernement ontarien versera donc près de cent cinquante millions de dollars, en trois ans, dans les programmes de formation des collèges et universités de l’Ontario. «Les entreprises du secteur de la haute technologie créent des emplois si rapidement que les universités et collèges ontariens ne produisent pas assez de diplômés pour répondre à la demande»ª, a déclaré M. Johnson lors d’un point de presse, expliquant ainsi l’application des nouvelles mesures.
Autre province, autre histoire. Un mois plus tard, le président du Conseil de la science et de la technologie, Camille Limoges, rendait public un avis sur la formation et l’emploi en science et technologie au Québec. Le haut fonctionnaire dressait un tableau plutôt sombre de la situation. «Les entreprises reprochent au système d’éducation sa difficulté à fournir, en nombre suffisant, les spécialistes dont elles ont besoin, son manque d’ouverture à la réalité des entreprises, et sa lenteur d’adaptation à l’évolution des besoins de l’économie. Le Conseil de la science et de la technologie observe par ailleurs la faiblesse des investissements en formation continue dans les entreprises, un facteur qui aggrave les problèmes reliés à la main-d’ouvre scientifique et technique.»
Pour savoir s’il y a véritablement pénurie de travailleurs spécialisés en informatique au Québec, nous avons fait appel à l’expertise de Sylvie Gagnon, directrice du Comité sectoriel de main-d’ouvre en technologie de l’information et des communications, et à Didier Clerc, directeur général de Technologia, une école spécialisée en formation.
Sylvie Gagnon: «*Il y a effectivement une pénurie de spécialistes en informatique. Quel secteur est affecté par cette pénurie, c’est un peu difficile à dire. Le problème, à l’heure actuelle, se situe au niveau des finissants des écoles spécialisées en informatique. C’est plus facile pour un informaticien qui a un diplôme d’études collégiales, ou un bac en télécommunications, de se trouver un emploi, alors qu’un finissant d’une école spécialisée, qui n’a pas suivi un cours de français, aura beaucoup de difficulté à se faire embaucher.
On peut définir les pénuries de main-d’ouvre comme correspondant à des difficultés de recrutement persistantes, relativement au salaire en vigueur sur le marché et à l’intérieur d’un territoire donné. Il faut donc éviter de confondre postes vacants et pénuries persistantes de main-d’ouvre, ce qui est loin d’être évident. De beaux débats ont lieu aux États-Unis quant aux chiffres démesurés que certains spécialistes avancent.»
Voir: Monsieur Clerc vous êtes confronté à ce genre de problèmes quotidiennement. Est-ce que les maisons de formation comme la vôtre éprouvent des problèmes de recrutement?
Didier Clerc: «Ça fait dix ans que je m’occupe de formation et oui, il y a bel et bien une pénurie de spécialistes en informatique. Chez Technologia, on offre un programme de formation de haut niveau en informatique dans les domaines suivants: Internet, Windows NT, Visual Basic, Réseaux, etc. Il nous arrive d’avoir de la difficulté à recruter de bons professeurs, et nous nous retrouvons dans l’obligation de faire appel à des spécialistes provenant de l’extérieur. C’est très difficile d’être compétent dans un domaine, et d’avoir des talents de pédagogue en plus. Il y a quelques semaines, j’ai perdu un de mes meilleurs profs: une compagnie californienne lui a offert un job avec un gros salaire. La compétition entre les écoles et les entreprises privées est féroce.»
Voir: Madame Gagnon, au chapitre des spécialistes en réseaux, est-ce qu’il y a suffisamment de jeunes formés pour combler les postes vacants?
Sylvie Gagnon: «Selon une étude de Québec, les compagnies s’arrachent les administrateurs de réseaux et les programmeurs-analystes. Mais ceux qui ont le plus de chance sur le marché du travail, ce sont les diplômés en génie électrique. Dans certain cas, on a tellement besoin d’eux qu’ils n’ont même pas le temps de compléter leur programme d’études. C’est la raison pour laquelle on exige, à l’École polytechnique de Montréal, que les jeunes stagiaires reviennent à l’université pour terminer leur bac.»
Voir: Justement, le taux d’abandon des étudiants inscrits dans les programmes de génie et d’informatique est extrêmement élevé. Comment peut-on expliquer ce phénomène?
Sylvie Gagnon: «Les jeunes sont démobilisés. Ils voient qu’il y a une différence entre ce que l’on enseigne à l’école et ce qu’ils constatent en faisant un stage en entreprise.»
Didier Clerc: «Ce n’est pas tout de suivre un cours! Il faut énormément de travail et de pratique pour arriver à bien maîtriser la matière. Et, lorsqu’on veut avancer dans le milieu, l’expérience de travail compte pour beaucoup. Exemple: François Normand, un ingénieur en maths, qui dirige le volet conseil de Technologia, a réussi tous les examens Microsoft du premier coup, avec une moyenne de 92 %, sans avoir suivi un seul cours! C’est un cas exceptionnel, mais ça prouve tout de même quelque chose.»
Voir: Quelles sont donc les solutions, en cas de pénurie?
Sylvie Gagnon: «Plus nos ressources humaines posséderont une formation solide en science et technologie, plus l’économie nationale aura en main un atout à la fois fort et flexible sur le plan international. La compétence la plus recherchée par les entreprises, c’est l’expérience. C’est pour cela que plus de 70 % des jeunes qui s’inscrivent dans un programme de formation informatique abandonnent en cours de route pour s’en aller sur le marché du travail. Ce 70 %, c’est un indice de changements importants qu’il faut apporter dans ce secteur! Il faut faire savoir aux jeunes qu’il y a des jobs pour les diplômés; il faut stimuler et motiver les professeurs en leur offrant une formation et des moyens adéquats, et il faut aussi intéresser les entreprises à investir dans le marché, à soutenir la formation, et à trouver des solutions innovatrices aux problèmes que nous rencontrons présentement.»