Société

Le pont entre les générations : Passer le flambeau

Mis sur pied en 1997, le groupe de réflexion Le pont entre les générations regroupe des gens de différents âges et de différents milieux. Son but: réfléchir sur l’avenir du Québec, et en finir une bonne fois pour toutes avec la guerre des générations. Toutes couleurs de cheveux unies!

Groupe de réflexion et de travail mis sur pied au printemps 1997 par le sociologue et théologien Jacques Grand’Maison, Le pont entre les générations réunit chaque mois près d’une vingtaine de jeunes adultes et d’aînés issus de différents milieux. L’hiver dernier, sa lutte contre les clauses orphelin, qui défavorisent les nouveaux employés dans les conventions collectives, le mettait sur la carte. Mais ses membres n’entendent pas se limiter à ce créneau.

«Les clauses orphelin ont été un détonateur, un premier point d’ancrage. Mais nous nous attaquerons à d’autres terrains», assure Solange Lefebvre, anthropologue, théologienne et coordonnatrice du groupe.

Comme son nom l’indique, l’association lutte contre l’exclusion et les ghettos. C’est ainsi qu’elle refuse d’être cataloguée comme une unité de défense des jeunes, principale catégorie touchée par les clauses orphelin. «Nous voulons dépasser les groupes d’intérêt fermés: les jeunes, les aînés, les femmes…», affirme la coordonnatrice.

Idem pour l’appartenance sociale. «On retrouve autant des gens d’affaires que des gens qui ouvrent dans des syndicats ou dans le milieu hospitalier, commente Rock Beaudet, secrétaire général et agent de recherche. Chez les jeunes, il y a une diversité de disciplines, notamment le droit, les relations industrielles, les sciences politiques et la sociologie.»

Le poids de la diversité
Selon Solange Lefebvre, cette variété donne plus d’impact aux positions du groupe. «Le génie de cette alliance est de permettre à chacun d’être plus crédible, parce qu’une autre génération ou un autre milieu endossent les mêmes positions qu’eux», soutient-elle.

Par exemple, mises dans la bouche d’aînés comme de jeunes, de syndicalistes comme de gens d’affaires, les protestations contre les clauses orphelin ont eu beaucoup plus d’impact que si elles n’avaient été émises que par les groupes d’intérêt traditionnels.

La méthode de travail de l’équipe contribue également à sa crédibilité. En effet, chaque fois que le groupe désire aborder un sujet, des membres commencent par réaliser une recherche. «A partir de ce travail, nous nous réunissons pour discuter des résultats et décider de la position à adopter, explique Rock Beaudet. Nous lançons ensuite une stratégie pour promouvoir l’idée sur laquelle nous nous sommes entendus, et nous la mettons en pratique.»

Pour bien asseoir le combat contre les clauses orphelin, Rock Beaudet a réalisé en février dernier une recherche sur la présence de ce type d’entente dans le secteur municipal. Les résultats ont détruit le mythe selon lequel de telles manouvres syndicales étaient en voie de disparition. Au contraire: au début de l’hiver dernier, les négociations visant à réduire la masse salariale du secteur public de 6 % ont amené près des deux tiers des municipalités étudiées à signer au moins une clause orphelin. «Nous avons mis le doigt sur une tentation énorme pour les milieux de travail de trancher en faveur de leurs membres permanents, qui ont le gros du pouvoir», s’indigne Solange Lefebvre.

Le groupe a donc tout mis en ouvre pour renverser la vapeur. Certains membres ont sauté dans l’arène politique pour rencontrer les ministres du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité, et de la Citoyenneté et de l’Immigration ainsi qu’un représentant du ministère de l’Éducation. «Il faut dire que les médias aident beaucoup, ajoute Rock Beaudet, en évoquant les articles et reportages consacrés au dossier, puisqu’ils influencent les décideurs.» Résultat: une commission parlementaire se penchera sur la question dès le 24 août.

La transmission du savoir
Néanmoins, Le pont entre les générations ne se perçoit pas comme un regroupement politique. «Nous sommes un groupe de réflexion sérieux qui va jusqu’au plan politique lorsqu’il le faut, nuance Solange Lefebvre. Nous avons décidé de sortir de la sacro-sainte objectivité parce qu’il y avait urgence. Les jeunes n’osent pas dénoncer les iniquités parce qu’ils ont trop souvent un statut précaire. Nous, nous pouvons parler haut et fort, études en main.»

Le dossier des clauses orphelin a évidemment pris beaucoup de place ces derniers temps. Mais ce n’est pas le seul sujet qui anime les membres du groupe. Le forum organisé par ceux-ci, qui se tiendra les 3 et 4 octobre à l’Université de Montréal, illustre bien leurs deux principaux axes de préoccupation: l’équité, dans laquelle s’inscrit la lutte contre les clauses orphelin, mais aussi la transmission du savoir d’une génération à l’autre. «Tous les jeunes du groupe s’entendent pour reconnaître que malgré les progrès technologiques immenses, ils ont beaucoup à recevoir des seniors expérimentés», souligne Solange Lefebvre.

Dans cette optique, l’association déplore les mises à la retraite massives, qui privent les nouveaux arrivants de l’expérience des anciens. «Nous proposons plutôt une retraite progressive, qui favorise les échanges entre les générations», fait valoir la coordonnatrice.

Même si le public démontre de plus en plus d’intérêt pour le groupe, ce dernier affiche néanmoins complet pour l’instant. «Nous avons reçu beaucoup de demandes, reconnaît Solange Lefebvre. Mais si nous voulons continuer à poser des actions communes bien ciblées, nous ne pouvons être deux cents! Peut-être allons-nous créer une autre instance, une assemblée plus large qui se réunirait moins souvent.»

En attendant, le groupe s’ouvre au public en organisant des activités collectives comme le forum d’octobre prochain.