Jamais un autobus n1aura autant fait parler de lui. Depuis sa mise en service par les sociétés de transport en commun du Québec, le fameux autobus à plancher bas de Nova Bus n1en finit plus de faire les manchettes. Malheureusement, parmi ce déluge de commentaires, les compliments sont plutôt rares, pour ne pas dire inexistants. Virulentes, les critiques touchent tous les aspects du véhicule, de sa conception mécanique jusqu1à l1aménagement intérieur. Boulons qui se dévissent, fuites d1huile, différentiels souffrant d1usure prématurée, il n1en fallait pas plus pour qu1on le qualifie de véritable citron.
Ces véhicules, la STCUM en a acheté 252, la STCUQ 35. En tout, 360 ont été acquis par les différentes sociétés de transport de la province, au coût d1environ 350 000 dollars l1unité. De quoi échauder plus d1un acheteur. Pourtant, Montréal s1apprête à intégrer encore 96 de ces autobus, Québec une autre dizaine.
Inconscience? Pas vraiment. Disons plutôt que, jusqu1à tout récemment, les dirigeants n1avaient pas tellement le choix. Parce que leur achat était subventionné à soixante pour cent par le gouvernement provincial, les autobus devaient comporter un minimum de vingt pour cent de contenu québécois. Or, avec son usine de Saint-Eustache, Nova Bus est le seul et unique fabricant à répondre à ce critère. Pour peu, on parlerait d1un monopole. Bref retour en arrière.
Coup d1État
En 1976, le gouvernement Lévesque lançait un appel d1offre pour 1200 autobus destinés à l1ensemble des sociétés de transport québécoises. Repoussant une offre de Bombardier, il accorde alors le contrat à General Motors, exigeant cependant que la compagnie assemble ses véhicules au Québec, condition qu1elle remplira en s1installant à Saint-Eustache. Dix ans plus tard, Motor Coach International (MCI), une filiale de Greyhound, prendra la relève. Davantage intéressée par la fabrication d1autobus interurbains, MCI négligera peu à peu l1usine de Saint-Eustache jusqu1en 1993, alors qu1elle songera tout bonnement à la fermer. Alarmé par une telle éventualité et les perspectives de pertes d1emplois, le gouvernement du Québec appuiera les démarches du président de Nova Quintech qui, à la tête d1un consortium incluant le Fonds de solidarité de la FTQ et la Société de développement industriel, achètera l1usine de MCI pour fonder Nova Bus.
Tout au long de ces années, les règles demeureront les mêmes et, bon an mal an, seule l1entreprise de Saint-Eustache répondra aux critères de contenu québécois. Conseiller au ministère de la Science, de l1Industrie, du Commerce et de la Technologie, Raymond Déry explique la politique d1achat du gouvernement: «Parce que le gouvernement est le client, il magasine sur le produit mais aussi sur d1autres facteurs, socio-économiques. Ce qui fait que pour le matériel de transport en commun, que ce soit ferroviaire ou par autobus, les Français achètent des produits français, les Américains des produits américains et ainsi de suite. Il y a un coût à ça, il ne faut pas se le cacher.» Et quel coût: qu1il s1agisse de GM ou de MCI, les véhicules qui sortiront de cette usine seront régulièrement pointés du doigt, en particulier pour des problèmes de rouille prématurée pour lesquels on tente toujours, en 1998, de trouver une entente avec MCI. Parallèlement, on découvrira aussi que, profitant de sa situation de quasi-monopole, l1entreprise vendait ses autobus plus cher au Québec qu1à l1extérieur.
On peut comprendre l1enthousiasme dont faisaient preuve les sociétés de transport quand l1entreprise est tombée aux mains d1intérêts québécois, en 1993. «A l1époque, tout le monde disait que ça ne pouvait être pire que MCI, rappelle le directeur général de la STCUQ, M. Steeve Cameron. De nombreux éléments suggéraient que Nova connaîtrait un bon départ, il y avait beaucoup d1optimisme avec l1arrivée des nouveaux propriétaires.»
Prenant la relève de MCI avec succès pour l1assemblage du modèle Classic, Nova se lançait ensuite dans un projet beaucoup plus ambitieux, celui des autobus à plancher bas. Décision d1affaires, certes, mais décision qui correspondait à la volonté du gouvernement et des transporteurs urbains qui souhaitaient adapter les flottes de véhicules aux nouvelles réalités: d1ici 2012, on s1attend à ce que près du tiers de la clientèle du transport en commun soit à mobilité réduite. Déjà, en Europe, la majorité des autobus sont de ce type.
Le pied au plancher
C1est ainsi que la petite entreprise québécoise, pour accélérer le processus, a acheté la technologie du Hollandais Den Housten et, en 1995, se lançait dans la fabrication de l1autobus à plancher bas, rebaptisé LFS (Low Floor System) pour les marchés anglophones. Comme il n1était pas question de fonctionner avec deux chaînes de montage, les modèles Classic ont dû être expédiés vers la sortie. «Ce que je trouve triste, c1est que les Classic de 91 à 94 étaient superbes, déplore M. Cameron. Ça leur a pris une dizaine d1années à développer le produit, ils ont vécu trois ou quatre ans avec un véhicule qui avait de l1allure et boum, ils ont décidé de changer de technologie.» Malgré toute sa bonne volonté, Nova ne semblait pas avoir les moyens de ses ambitions et les problèmes n1ont pas tardé à se faire sentir. A la STCUM, où on attendait plus d1une centaine de véhicules qui n1arrivaient pas, on s1impatientait sérieusement, rappelle Odile Paradis, porte-parole de la société: «Quand on les a finalement reçus, il a fallu tout de suite les mettre en service clientèle parce qu1il nous en manquait: on n1a pas pu les tester et les roder autant qu1on aurait voulu le faire parce qu1ils sont arrivés un an plus tard que prévu. On s1est dit que la mise en service constituerait la période de rodage. Sauf qu1on s1est trompé, c1est la clientèle qui tout de suite a vu que le véhicule n1était pas au point.» Et les boulons se sont mis à tomber, les freins à grincer, l1huile à couler.
Raymond Déry a grandement collaboré à la relance de l1usine de Saint-Eustache. Loin de lancer la pierre à Nova Bus, il constate cependant que le défi était peut-être trop grand: «Ils ont fait ce qu1ils ont pu, ils ont très bien fait. Mais ils n1ont jamais eu vraiment les connaissances techniques, ni les moyens financiers, pour redresser l1entreprise comme il se devait. L1État les a soutenus, mais on souhaitait bien qu1il y ait éventuellement des investisseurs plus importants, on souhaitait que ça soit Bombardier.»
Achat échaudé
Depuis le premier janvier dernier, les données ont quelque peu changé: les sociétés de transport peuvent désormais magasiner partout au Canada. Mais les deux concurrents canadiens n1ont pas trop bonne réputation, que ce soit Orion Bus Industries, en Ontario, ou New Flyer, au Manitoba. «Si l1ouverture est plus grande en théorie, je ne suis pas sûr qu1elle le soit en pratique, expose M. Cameron. Orion c1est… pas fameux, ce n1est pas un produit qui est performant. Et le carnet de commandes de New Flyer est plein pour les deux prochaines années.» Ce qui explique qu1à la STCUM, on se prépare pour 1999, alors que le marché américain sera lui aussi accessible: «Une fois les cent derniers véhicules achetés selon notre contrat, nous n1avons plus de lien avec Nova Bus. Là, on va magasiner, on va regarder ce qui se fait aux États-Unis. Ça va être une tout autre dynamique.»
Pour Raymond Déry, même le marché nord-américain est tout simplement trop petit, d1autant plus que six compagnies tentent de se le partager: «A 600 véhicules par année par compagnie, combien peuvent-elles investir de millions en recherche et développement et l1amortir sur leur part du marché?» Quant au pouvoir d1achat, on repassera: «La demande annuelle de Nova équivaut à quatre heures de production chez Détroit Diesel.»
Et c1est ce qui explique toute l1importance de la récente transaction qui a fait passer Nova Bus dans le giron de Volvo. Figurant parmi les leaders mondiaux dans l1industrie du transport en commun, l1entreprise fabrique à elle seule plus de sept mille autobus par an, soit le double de ce qui se vend, en moyenne, en Amérique du Nord. Et comme elle conçoit et fabrique des autobus depuis soixante-dix ans, les problèmes de technologies et de recherche et développement sont peut-être, enfin, chose du passé.
Les premiers LFS construits sous la supervision de Volvo commencent à arriver à Québec et Steeve Cameron, qui était le premier à crier sur tous les toits que Nova fabriquait des citrons, nuance un peu ses propos: «C1est prématuré de tirer des conclusions, mais si le nouveau véhicule qu1on a reçu est une indication de ce qui s1en vient, je suis agréablement surpris et encouragé. Mais, malgré le succès des dernières semaines, je ne suis pas convaincu que tous les problèmes avec les planchers bas soient connus. Quand je parle d1optimisme, je parle de moyen et de long terme.» Et comme il n1a pas l1habitude d1être optimiste, M. Cameron demeure sur ses gardes: «Avec Volvo, c1est comme s1il y avait une lumière au bout du tunnel. J1espère simplement que ce ne soit pas un train.»