Société

Claude Brochu : Broche à foin

CLAUDE BROCHU veut devenir un grand homme d’affaires. Il demande donc l’aide de l’État pour garnir ses coffres et lui payer un stade. Rien dans les mains, tout dans les poches. Bienvenue dans l’univers des crypto-financiers.

Il tend la main à la sortie des restaurants. Il fait la file à la soupe populaire. Il se tient là, ce petit homme brun, avec son air de cocker et ses lamentations de rocker. Lead singer d’un blues band de crypto-financiers, il réclame un stade au centre-ville et, pourquoi pas, pendant qu’on y est? un bureau dans le building d’Hydro.

A première vue, on peut penser que Claude Brochu n’a pas de chance. Qu’avant lui, il y a eu Marcel Aubut. Qu’en matière de «qui perd gagne», les Québécois en ont vu d’autres. C’est sous-estimer grandement les ressources de ce type d’homme – ou plutôt, de cet archétype d’homme d’affaires. Le Québec a mis au monde des gens d’argent avec, un beau matin, rien dans les mains; et, le lendemain, tout dans les poches. On commence à connaître le truc. Suffit de faire travailler l’argent des autres et de s’octroyer, à titre de gestionnaire, un pourcentage élémentaire.

Comment devenir millionnaire les doigts dans le nez
Première étape de la stratégie dite de la «broche à foin$»: identifier une entreprise en difficultés financières, de préférence dans le domaine sportif ou culturel, mais dont la valeur de revente est excellente. Deuxième étape: stimuler l’intérêt médiatique en culpabilisant le peuple, en titillant son impression d’être un ramassis de ploucs et en lui faisant croire que la reconnaissance universelle dépend de la survie de ladite entreprise. Qu’une fois partis les baseballeurs, le pays sera aussi intéressant que le village fantôme de Val-Jalbert.

Troisième étape: chercher des investisseurs privés prêts à jouer les mécènes. Leur pomper du fric en parlant plus-value, en leur faisant miroiter le payback éventuel et la pub sociétale en attendant. Quatrième étape: passer go et réclamer son pourcentage à titre d’entremetteur. Cinquième étape: ne rien risquer, entretenir les difficultés, jouer les comptables pour sauver la concession. Sixième étape: forcer la main du gouvernement en crédits de taxes, aller chercher du financement, voire de l’investissement. Septième étape: demander la lune. Faire tout foirer. Vendre et encaisser.

Les Expos stimulent l’économie montréalaise? Fuddle Duddle! Ah oui, bien sûr, comparé à l’Accueil Bonneau, peut-être. Mais le raisonnement tordu de la «broche à foin$» omet tout le temps de placer les idées dans les bonnes cases. Comparer les pommes aux pommes, les oranges aux oranges.

Un: si on parle de stimuler l’économie brute, le capital pur et dur, utilisons les fonds publics pour des centres de recherche de pointe, des écoles techniques, des structures d’investissement. Deux: si on parle de spectacles, ouvrons Montréal à la culture internationale et stimulons l’intérêt de nos voisins du sud au lieu de prétendre les attirer avec un sous-produit de ce qu’ils ont chez eux. Trois: si on parle sport, cessons de prendre les Québécois pour des crétins. Ils sont parfaitement capables de voir quand on leur passe un Québec.

Regardez-le chialer, madame, monsieur, ce petit homme brun aux visées d’homme d’affaires, au raisonnement de fonctionnaire. Regardez-le quêter à la tête d’une meute de pourfendeurs de programmes sociaux. Ceux-la mêmes qui prétendent vouloir redonner des jobs aux assistés sociaux lorsqu’ils seront plus riches avec l’argent des taxes. On n’est jamais allé si loin dans le cynisme qu’en prétendant faire de l’entreprise privée un prolongement de la charité.

Assistés sociaux de luxe
Mettons les choses au clair. Claude Brochu est un homme d’affaires. Comme tous ceux de son métier, il a un objectif: faire de l’argent, beaucoup d’argent, au moindre investissement. Ce n’est ni sale ni illégal. Business is business. Mais ce qui choque, dans l’histoire du stade, au point de mettre mal à l’aise même les pharmaciens vendeurs de cigarettes, c’est la prétention de bons sentiments. Frotti-frotta sur le clitoris du rayonnement international. Coup de langue sur le manchon de la création d’emplois. Enfoncement du majeur dans la raie de la fierté nationale.

Tout comme Aubut avant lui, Brochu s’est pris au jeu de la popularité. Rien n’est plus triste qu’un homme riche qui n’a plus d’amis. Ça engraisse. Ça cherche un sens à sa vie en comptant ses millions. Ça pleure sur les projecteurs éteints. Mais il faut reconnaître une intelligence à la manouvre. Ce type d’homme ne peut pas perdre. Ou bien il fait financer ses revenus par la population. Ou bien il encaisse tout de suite le salaire de son labeur qui aura consisté à se trouver à la bonne place au bon moment.

Au-delà de l’affaire du stade des Expos, la stratégie visant à faire payer ses rentes par l’État met en lumière une réalité fondamentale de la société québécoise. Alors que des artistes, des créateurs et de plus en plus de jeunes inventeurs se lancent à corps perdu dans l’aventure du risque financier, l’arrière-garde parasitaire de la finance continue à s’entretenir au soluté public. Il n’y a pas au monde de conjoncture plus favorable au vampirisme comptable.

La logique des festivals
Depuis plus de trente ans, le climat de protectionnisme culturel prévalant au Québec a ouvert les vannes du financement à risque zéro pour tous les génies du «passe-passe». Si la chose a permis de mettre au monde une industrie culturelle forte en faisant proliférer les festivals, elle a aussi engendré moult effets pervers. Si on dit d’un avocat qu’il sait jouer avec la loi, on peut dire du comptable qu’il sait se faufiler dans les trous d’un filet d’argent. Tirer profit d’un habile maillage entre les entreprises à but non lucratif et les holdings financiers. Transformer le déficit du Festival des Pots aux
Roses en argent sonnant dans une société apparentée.

On peut tirer sur le pianiste. Ou le trouver pathétique. Claude Brochu arrive bien tard. Il tire de l’arrière dans la stratégie. Il a vendu son Cy Young à Baltimore, son meilleur frappeur aux Rockies du Colorado. Il a beau nous endormir avec les pirouettes de son Youppi intérieur, il a du pain sur la planche pour polir son image.

Malgré tout, il ricane, parce qu’il estime qu’il ne peut pas perdre – à moins que le gouvernement ne rachète ses partenaires et qu’il le nomme fonctionnaire en chef de la Société des Expos; qu’il confine le club au Stade olympique parce que, de toute façon, cette équipe a trouvé son public et son marché. Un bon p’tit club de jeunes qui ne coûte pas cher. Auquel cas Brochu aura joué le mauvais cheval.
Mais pour cela, faudrait que Bouchard en ait des grosses.

La vérité, la triste vérité, la terrible vérité, c’est que si Montréal n’a pas suffisamment de financiers capables de se payer un stade «de leur poche», elle n’a pas non plus la richesse collective pour le faire vivre.

advertisement