Société

Terrorisme bactériologique : Destruction in vitro

Terminée, la belle époque des bombes atomiques. Aujourd’hui, la terreur est bactériologique, et n’importe quel fou peut menacer la planète. Qui sait? Dans deux ans, on vendra peut-être des masques à gaz dans les Club Price…

«Le terrorisme bactériologique est à nos portes. La question n’est pas de savoir SI ça va se produire, mais QUAND ça va se produire…»

– Robert Blitzer, chef de la division Terrorisme du FBI, dans le U. S. News and World Report du 17 novembre 1997

Ça y est, on recommence.
Sept ans après la guerre du Golfe, des terroristes islamistes font sauter des ambassades américaines, les États-Unis répliquent en bombardant des usines dans le désert, et une poignée de barbus disjonctés promettent de se venger en faisant disparaître une partie de l’Amérique du Nord. Ça devient vachement routinier. Bientôt, si ça continue, il y aura des prédictions terroristes dans les bulletins d’infos, juste après la météo, les indices boursiers et les tableaux sur l’engorgement dans les urgences.

«Ce soir, on prédit une tempête de gaz sarin au-dessus de Washington. N’oubliez pas vos masques! Quant à New York, si on se fie à la pression sanguine des talibans, il y a 60 % de risques d’attaques dans le métro. Prenez un taxi, ou restez chez vous. Ce bulletin est une présentation de Tylenol.»

Le pire, c’est que le terrorisme du vingt et unième siècle sera bactériologique ou ne sera pas. Pendant que vous lisez ces lignes, des fous se montent des labos hyper sophistiqués aux quatre coins du monde, dans leur ferme ou dans leur sous-sol. Ce n’est pas à coups de bombes que les fanas de Dieu créeront le paradis sur terre, mais à coups de fioles.

En Afrique du Sud, des agents de l’apartheid ont mis sur pied une usine de la mort dans laquelle ils stockaient des bouteilles de thallium (un poison contenant du mercure), des fioles de choléra, du venin de mamba (un serpent à la morsure mortelle) et de l’anthrax, une bactérie d’origine animale particulièrement virulente, qui tue dès qu’on l’inhale. A Portland, des adeptes d’un culte religieux de l’Oregon ont empoisonné un bar à salade à la salmonelle. A Long Island, un groupe d’extrémistes ont tenté d’injecter des substances radioactives dans des tubes de dentifrice.

En février 1998, deux hommes qui voulaient relâcher des bactéries d’anthrax dans le métro de New York ont été arrêtés à Las Vegas. En 1997, des agents du FBI ont saisi des fioles de peste bubonique dans la maison d’un suprématiste blanc de l’Ohio. En 1995, des membres de la secte japonaise Aoum ont tué une douzaine de personnes et blessé des milliers d’autres avec du gaz sarin. En février 1995, les autorités américaines ont arrêté des miliciens d’extrême droite qui avaient fabriqué des armes chimiques capables de tuer des centaines de personnes. En 1993, des agents de la GRC ont coffré un suprématiste blanc de l’Arkansas qui se préparait à traverser la frontière de l’Alaska avec un quart de livre de ricine dans ses poches, un poison mortel six mille fois plus puissant que le cyanure. Etc., etc. (Sources: ABC News, The New Terrorism.)

Oubliez la bonne vieille dynamite, facilement détectable dans les aéroports. Aujourd’hui, les armes qui menacent la sécurité mondiale s’appellent botulinum, mycotoxine, aflatoxine, clostridium, VX. Ces «bombes H des pauvres», comme on les appelle affectueusement, causent la gangrène et la paralysie, bloquent les voies respiratoires, empoisonnent l’air, détruisent le système immunitaire, engourdissent les muscles, brûlent la peau et vous sabotent la vue en moins de deux. Du joli. Et on ne parle pas des armes nucléaires qui font le tour de la planète, grâce aux ventes de garage et aux encans de plutonium de l’ex-URSS.

«Les armes chimiques se produisent facilement et ne coûtent pas cher», de dire Amy Smithson, experte en terrorisme international au Henry L. Stimson Center, à Washington. On peut acheter des fioles de poison sur Internet, et se les faire livrer par la poste. Certains groupes de «survivalistes» réalisent même des vidéos «éducatifs» enseignant l’ABC de la production d’armes chimiques. «Il se peut fort bien qu’un terroriste décide un jour de verser du sarin dans le système d’aération d’un stade bondé», d’ajouter Smithson. Ou dans un 747, au-dessus de l’Atlantique.

Comme l’a dit récemment le secrétaire de la Défense William Cohen: «Le pouvoir des groupuscules terroristes et des sectes religieuses a décuplé.» Ce ne sont plus seulement les grosses armées officielles qui peuvent tuer des dizaines de milliers de personnes, mais des fanatiques religieux, des militants anti-avortement et des extrémistes racistes. «On peut monter un arsenal chimique capable de tuer la population entière des États-Unis avec dix mille dollars d’équipement, dans une cuisine de quinze pieds sur quinze pieds», d’expliquer Kathleen C. Bailey, assistante directrice du United States Arms Control.
Bref, c’est la démocratisation de la terreur.

La fin du monde est à cette heure
Aux États-Unis, on ne lésine pas avec les microbes. Le gouvernement fédéral subventionne plus de quarante programmes destinés à défendre les citoyens en cas d’une attaque aux armes chimiques. Coût de l’opération: plusieurs milliards de dollars. A New York, les flics qui patrouillent le métro suivent un entraînement appelé NBC (pour Nucléaire, Biologique, Chimique), et l’hôtel de Ville a acheté quinze mille kits d’antidotes.

Il faut dire qu’on a toutes les raisons de s’énerver. Une étude du gouvernement américain produite en 1993 est arrivée à la conclusion qu’un avion relâchant cent kilos de spores d’anthrax au-dessus de la ville de Washington, par exemple, pourrait causer entre… un et trois millions de morts.

Heureusement, pour chaque poison, il y a un antidote. Prenez Internet, par exemple. On peut se procurer du gaz sarin sur le Net, mais on peut aussi y acheter des masques à gaz. Gas Masks Inc., un des plus gros fabricants de masques à gaz au monde, utilise Internet pour écouler son stock. Son site (http://www.gas-mask.com), qui sera bientôt traduit en coréen, en hébreu, en japonais et en langue arabe, permet aux pères et aux mères de famille d’acheter des kits antiterroristes en toute tranquillité, sans quitter le confort de leur foyer.

Parmi les modèles de masques disponibles, notons le Little Ranger, pour les enfants de deux à huit ans; le Champion Jr., pour les huit à treize ans; le Turbo Shield 505, équipé d’une batterie au lithium qui dure quatorze heures, et le Biopack 240, qui vient avec une bouteille d’oxygène. La compagnie vend aussi des bottes protectrices, du liquide désinfectant, et des uniformes hyper résistants; sans oublier un kit spécial vous permettant de boire tout en gardant votre masque.
C’est bien beau, s’acheter un masque à gaz, mais comment saura-t-on quand il faut le porter? Simple: vous n’aurez qu’à regarder par la fenêtre. «Au moindre signe d’attaque bactériologique, écrivent les patrons de Gas Masks Inc. sur leur site Web, les oiseaux tomberont du ciel, les animaux s’écraseront, et les gens s’étoufferont dans leur vomi. Voilà pourquoi nous vous conseillons d’acheter plusieurs masques à gaz: pour la maison, pour l’auto et pour le bureau. Comme ça, si des terroristes décident de relâcher des agents bactériologiques pendant que vous êtes coincé dans un embouteillage, vous ne serez pas pris au dépourvu…»
Bonne journée et, surtout, dormez bien.