Dan Philip : Face-à-face
Après être monté aux barricades pour un monologue d’Yvon Deschamps qu’il ne connaissait visiblement pas, DAN PHILIP est revenu sur terre. Nous l’avons rencontré. Ou plutôt: nous LES avons rencontrés.
C’était à croire que l’ouragan Bonnie ne flottait pas au-dessus de l’Atlantique, mais dans le verre d’eau d’Yvon Deschamps. Une reprise de son monologue Nigger Black, distribuée dans le cadre d’une campagne de levée de fonds, a suffi pour mettre les bonnes consciences aux abois. A tort, bien entendu.
Dan Philip, le président de la Ligue des Noirs du Québec, et candidat vedette du RCM dans le district de Victoria aux prochaines élections municipales, est monté aux barricades pour exiger une révision de l’ouvre de l’humoriste. Lequel, du président ou du candidat veut censurer le pauvre Yvon?
Afin de le savoir, nous les avons rencontrés tous les deux: le président de la Ligue des Noirs du Québec; puis, quelques minutes plus tard, le candidat du RCM.
L’un occupe l’avant-scène dans la défense des droits des minorités au Québec depuis douze ans, ne voit pas d’ambiguïté dans le fait de porter deux chapeaux à la fois, et pratique joyeusement le révisionnisme culturel.
Le second est une recrue en politique, reconnaît qu’il a peut-être créé de la confusion en portant deux chapeaux, et n’exige pas de mettre Yvon Deschamps à l’index.
Que le vrai Dan Philip s’élève! Au-dessus de la mêlée…
L’affaire «Yvon Deschamps» vue par Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec.
Vous semblez excédé d’avoir à vous expliquer au sujet de l’intervention de la Ligue dans cette affaire…
C’est vrai, et je veux y mettre un terme. D’autant plus que, cette semaine, je quitte mes fonctions à la Ligue pour me concentrer uniquement sur mon élection.
Pourquoi voulez-vous rencontrer l’humoriste?
Je crois que son discours, même s’il est très important pour la sensibilisation contre le racisme, pourrait être revu. Il utilise des mots qui, malgré sa bonne volonté, pourraient être mal interprétés par certaines personnes, et pourraient en blesser d’autres. Nigger Black, vous savez, a une connotation très négative.
Vous désirez donc censurer Deschamps, avec son accord?
Je suis sûr que monsieur Deschamps est conscient de sa responsabilité de citoyen. Ce n’est pas de la censure, c’est seulement prendre conscience du fait que le monde a changé, qu’il s’est complexifié. Son monologue a presque trente ans. Nous ne pouvons plus utiliser aujourd’hui les mêmes mots qu’il y a trente ans.
Est-ce que, dans ce débat, la Ligue des Noirs a le droit de parler au nom de tous les Noirs? Il y en a sûrement qui connaissent et comprennent le sens des textes de Deschamps?
Il serait prétentieux d’affirmer que nous représentons l’ensemble de la communauté noire. Mais nous représentons la grande majorité. Cette semaine, j’ai reçu plein de lettres, de coups de fil et de télécopies d’appui. Les Noirs n’ont pas encore leur juste place dans la société. Malgré cinq cents ans de présence en Amérique du Nord, le racisme fait toujours partie de notre quotidien. C’est dans cette optique que nous avons entrepris cette démarche.
Puisque votre position sur le monologue a évolué depuis que vous avez pris connaissance de l’ouvre de Deschamps, reconnaissez-vous avoir fait une erreur en réagissant trop rapidement sur un sujet avec lequel vous n’étiez pas familier?
C’est vrai que ma position a changé depuis la première fois que j’ai entendu parler de cette affaire. Je connais un peu mieux maintenant le travail de monsieur Deschamps. Mais je n’ai pas agi trop vite; malgré des éléments très positifs, il n’en demeure pas moins que ses monologues ne sont pas faits pour toutes les oreilles. Or, la cassette était distribuée à tous, sans restriction d’âge. Quand cela tombe entre les mains d’un enfant de huit ou dix ans, il pourrait ne pas en saisir toutes les nuances, et cela alimente ses préjugés envers les Noirs. Ça, tout le monde le reconnaît.
L’affaire Yvon vue par Dan Philip, candidat du RCM dans Victoria
A l’instar de Jacques Duchesneau et de Conrad Sauvé, qui ont quitté leurs fonctions officielles en annonçant leur candidature. N’aurait-il pas été préférable que vous abandonniez votre poste à la Ligue des Noirs lorsque vous avez fait le saut en
politique?
Ce n’est pas la même chose: Jacques Duchesneau était un chef de police payé par l’État. Qu’un haut fonctionnaire payé par les contribuables demande à ces derniers de l’élire aussi maire d’une ville, c’est inacceptable. Moi, je ne m’occupe qu’à temps partiel des droits des citoyens et des droits des minorités. De toute façon, quand je vais déposer ma candidature, le 4 septembre, je ne serai plus en poste. C’était prévu que, d’ici ce temps-là, je continuais à travailler au sein de la Ligue.
Mais croyez-vous que ce double emploi ait pu causer de la confusion dans la population? Cela pourrait nuire à la campagne de votre parti?
Vu comme ça, vous avez peut-être raison. Il aurait peut-être été mieux que je quitte avant la date obligatoire du 4 septembre. Mais, en bout de ligne, je ne crois pas que j’aie fait du tort au RCM.
En gardez-vous tout de même une leçon, à titre de recrue en politique?
La vie est complexe. La somme de notre expérience comprend toujours un tas d’événements qui nous ont appris quelque chose.
Etes-vous conscient que, pour certaines personnes, cela peut être inquiétant de voir un politicien pressenti intervenir dans le contenu de la création d’un artiste? Dans d’autres circonstances, on appelle ça de la censure…
Ce n’est pas de la censure. Et je ne veux pas intervenir dans la création d’Yvon Deschamps ni même lui demander de récrire ses textes. Ce n’est pas à moi de lui dire quoi écrire. Je l’ai dit et je le répéterai toujours: il peut y avoir une mauvaise interprétation de certaines expressions, malgré les bonnes intentions de celui qui les prononce.