A en croire la rumeur, les artistes country québécois vendent beaucoup d’albums. Certains de ces cow-boys engrangeraient même un foin pas possible. On dit qu1ils font carrière en région et remplissent leurs salles. On dit que la chanson western prospère sans l1appui des médias et d’une industrie qui observeraient le phénomène avec snobisme, voire même avec mépris. Le mythe du «cow-boy maudit qui réussit envers et contre tous» a beau être bien sympathique, le sceptique en nous s’interroge: qui sont-ils et où se cachent-ils?
Il y a quatre ou cinq ans, il aurait été facile de répondre à ces questions. A cette époque, le country connaissait un certain regain de popularité. Suite à la présentation de la série Quand le soleil dit bonjour au country, à la télévision de Radio-Canada, il était devenu socialement acceptable d’aimer les disques de Gildor Roy et Bourbon Gauthier, et même de se souvenir de Willie Lamothe. C’est d’ailleurs suite à l’important succès populaire de cette fameuse série D Quand le soleil… a rejoint plus d’un million de téléspectateurs, en novembre 1992 D que Radio-Canada a créé Country centre-ville. A chaque semaine pendant trois ans, Renée Martel y présentait des cow-boys tricotés serré comme Gilles Gosselin ou Georges Hamel, mais aussi les cow-boys urbains que sont Bourbon Gauthier et Gildor Roy.
Comme on le sait aujourd’hui, la musique country n’est pas revenue à l’avant-scène. Même qu’elle semble en sérieuse perte de vitesse. Dans un passé pas si lointain, les amateurs de country de la Beauce ou de la région de Québec pouvaient syntoniser C.I.R.O. ou C.F.L.S. sur la bande FM. Entre une chanson de Garth Brooks et une de Vince Gill, ces stations de radio faisaient tourner les plus grands succès de Willie Lamothe, Marcel Martel ou du populaire Georges Hamel. Mais voilà: C.F.L.S. s’est tue définitivement en 1995 et, un an plus tard, C.I.R.O. devenait C.H.G.L. et ouvrait ses ondes au rock.
Pourquoi C.I.R.O.-FM a-t-elle abandonné le country? Pour des raisons très pratiques, répond Marcel Rancourt, discothécaire de C.I.R.O. et maintenant de C.H.G.L. «Il ne se faisait plus assez de nouveau stock francophone, raconte-t-il. Le nouveau country en français était extrêmement rare et, au niveau de la qualité, c’était en chute libre. Une radio doit se renouveler et on n’était plus capable de le faire.»
Un circuit parallèle
Boudés par les radios commerciales et la plupart des médias, les artistes country et western du Québec n’ont d’autre choix que de fonctionner dans un circuit parallèle. «Tu ne peux pas avoir plus underground que les westerners», analyse Marcel Rancourt. Leur public a beau être intéressé et fidèle, reste que ces artistes se produisent dans des festivals de petite ou moyenne envergure et vendent leurs disques lors des concerts, par la poste, ou dans les marchés aux puces. Seules les vedettes comme Georges Hamel et La famille Daraîche trouvent une place sur les tablettes des disquaires.
Est-il possible de vendre 50 000 albums dans de telles conditions? Oui, mais la chose est rare: Julie Daraîche et André Breton figurent parmi ceux qui ont atteint ce seuil et se sont mérités un disque d’or. Alors, l’histoire du cow-boy millionnaire, ce serait de la frime? Pas tout à fait. Toutes proportions gardées, le Québec a lui aussi son Garth Brooks: il s’appelle Georges Hamel.
Une question de culture?
Même si l’Adisq décerne chaque année un félix à l’auteur du meilleur album country/folk, même si le foin entre en masse chez Georges Hamel, même si Gildor Roy a effectué une percée importante et même si Les Fabuleux Élégants ont fait paraître un foutu bon disque, il reste que le country n’a pas vraiment la cote au Québec. «Je pense que les gens d’ici ne se reconnaissent pas dans cette image du pick-up et du chapeau de cow-boy, avance Bourbon Gauthier. L’autre problème c’est que, lorsque tu parles de country, la référence est américaine. C’est un peu comme le jazz: il y a quelques jazzmen québécois dont on achète les disques, mais en général on choisit Miles Davis ou John Scofield. Ça c’est the real thing…»
Pourtant, souligne Bourbon Gauthier, le répertoire québécois est plein de chansons foncièrement country. De Jean-Pierre Ferland aux Frères à Cheval, en passant par Diane Dufresne, tout le monde a fait au moins une toune country. Tout cela ne serait-il qu’un problème d’appellation contrôlée? « A la minute que tu prononces le mot country, il y a un blocage, concède Bourbon Gauthier. Les gens disent qu’ils n’aiment pas ça.» Mais parfois, ces même gens n’hésitent pas à faire tourner les chansons de Garth Brooks…
«Ça fait sept ans que j’ai sorti mon premier album et je n’ai pas encore compris, avoue Bourbon Gauthier. Ça fait sept ans qu’il est supposé arriver une vague des États-Unis, mais elle reste pognée à la douane. Il doit y avoir quelque chose de pas trop catholique dans cette vague-là…»
Le «cas» Hamel
De l’avis de tous, Georges Hamel est un cas à part. Il est «le sommet de la pyramide western», selon Marcel Rancourt; «l’exception qui confirme la règle», selon Bourbon Gauthier, musicien country qui anime l1émission hebdomadaire Country Max au réseau MusiMax. Bref, Georges Hamel n’est rien de moins que le king du western au Québec. Il peut remplir des salles de trois mille personnes, donne des concerts de St-Tite à Windsor en Ontario et vend des disques à la pelletée…Au cours des vingt-cinq dernières années, Georges Hamel a enregistré plus de vingt-cinq albums. Depuis 1990, chacun de ses nouveaux disques se vend à environ 30 000 exemplaires. L’estimation est conservatrice, selon Denis Champoux, qui écrit pour Georges Hamel et réalise ses disques. Si on tient compte du fait que le Beauceron a vingt-huit albums en circulation, il doit en vendre jusqu’à 100 000 exemplaires par année. Ces chiffres non-officiels mais raisonnables, Marcel Rancourt dit les tenir d’une source très fiable. «Même Patrick Norman aurait des raisons d’être jaloux», lance M. Rancourt.