Oui, il y a des anglophones qui partent… et qui reviennent. J’en ai rencontré trois: l’un, montréalais de souche; les autres, immigrés depuis au moins vingt ans. Comme plusieurs de leurs semblables, ils ont décidé un jour de quitter le Québec. Trop étroit, trop provincial, selon l’un; trop d’absurdités, de nationalisme, de clause nonobstant, de lac Meech ou d’Office de la langue française, selon l’autre… Bref, ils avaient tous une raison de fuir.
Après quelques années à l’étranger, toutefois, ils ont rebroussé chemin. Timidement, sur la pointe des pieds, soucieux à l’idée de devoir affronter une autre bataille référendaire; ou le pied léger, le cour battant, certains de vouloir finir leurs jours entre le fleuve et le mont Royal. Une troisième consultation populaire? «Who cares!» répondent ceux-là.
Leur âme est ici, et ils sont là pour le prouver. Incroyable mais vrai, certains, au loin, se sont ennuyés du débat national. «Enfin, pas du contenu comme tel, précise avec un sourire en coin Jacob Richler, fils du célèbre Mordecai, mais des occasions qu’on a ici de pouvoir discuter politique avec n’importe qui, dans un bar. Quand on parle à un inconnu, à Toronto, on passe pour un fou.»
«Certains Anglos souffrent, comme moi, de ce que j’appellerais le syndrome de Stockholm, affirme Josh Freed, l’impayable columnist de la Gazette. Ils sont prisonniers du débat politique et ils sont tombés amoureux de leur bourreau. Le seul remède qu’ils ont trouvé pour se guérir, c’est de revenir à leur geôlier!»
«We’re addicts», affirme Janet Torge, recherchiste et documentaliste pour le cinéma, de retour chez nous après six ans d’absence. «Nulle part ailleurs on ne trouve la vie et le politique aussi étroitement liés. J’ai des conversations au bureau de poste, chez mon boucher, dans l’autobus sur la question nationale ou le coût du paquet de cigarettes. Pour quelqu’un, comme moi, qui est politisé et qui aime donner son opinion sur tout, Montréal est une ville extraordinaire.»
Vive Parizeau!
Portrait craché de son père, Jacob Richler a déménagé à Toronto, en février 1995, pour travailler au magazine Saturday Night. Après trois années sans baguette, sans smoked meat, à bouffer du Lemon Grass et autres trucs hip, il en a eu assez. «Durant et après le dernier référendum, Montréal n’était pas très agréable à vivre, et je ne m’en ennuyais pas beaucoup. Après un an, deux ans, si. C’est pourquoi je suis revenu. Comme journaliste, j’admets que la ville est plus intéressante à couvrir que Toronto. Aussi absurde que le débat politique puisse être à bien des niveaux, les politiciens québécois sont plus intéressants que ceux de l’Ontario. Je n’aime pas Jacques Parizeau ni Mike Harris, mais entre les deux, je préfère écrire sur Parizeau. Je connais des gens, c’est vrai, qui, la première année qu’ils vivent à Toronto, sont soulagés parce que personne n’a encore prononcé devant eux le mot "constitution". Et puis les mois passent, les médias parlent de la commission scolaire, les gens manifestent dans la rue à propos des taxes municipales, et là, ils font: "Qu’est-ce qu’on s’en fout!"»
Vous vous souvenez peut-être de la Québécoise d’origine américaine Janet Torge. En 1991, elle avait annoncé dans une lettre publiée dans La Presse qu’après dix-huit Fêtes nationales en notre compagnie, elle nous quittait.
«A l’époque, un sondage Crop annonçait un autre exode des anglophones, et je tenais à dire que ceux qui désiraient partir, comme moi, ne ressemblaient en rien à ceux qui avaient quitté la province en 1976. Moi, par exemple, je parlais français, j’avais voté pour le PQ, voté Oui au référendum, et, malgré tout, je me sentais exclue. Parce que j’étais une "anglophone", je n’avais aucun droit de critiquer, par exemple, l’attitude du gouvernement à propos du lac Meech ou de la crise d’Oka. Et j’en avais ras le bol.»
Janet a donc plié bagage et s’en est allée dans sa ville natale, en Ohio. Mais très vite son existence est devenue un cauchemar. «D’abord, ça m’a pris un temps fou à me trouver un job. Ensuite, pour bénéficier d’une assurance-santé, j’ai dû accepter un travail à temps plein, à une heure de route de la maison. Quand j’en ai eu assez de voir l’asphalte, j’ai décidé d’accepter un emploi près de chez moi, à huit dollars de l’heure. J’ai une grande admiration pour l’Américain pauvre ou moyen. On n’a pas idée, ici, de ce que signifie avoir peur de tout perdre.
Finalement, après quatre années à jongler avec mes reçus de médicaments et mes cartes de crédit, j’ai décidé de revenir ici. Les taxes sont une formidable invention. Je paye les miennes… and I love it! (rires) N’importe quoi pour retrouver ma tranquillité d’esprit.»
Janet s’est d’abord installée à Ottawa, avant d’admettre qu’elle n’en pinçait que pour Montréal. «Avant de franchir la frontière ontarienne, je me suis souvenue de l’article que Foglia avait écrit à mon sujet. Il y disait: "Au Québec ou ailleurs, Madame, on reste toujours un immigrant aux yeux des pure laine. La seule chose qu’il vous faut dire, c’est: Fuck it! Moi, je me sens québécoise et je veux vivre ici. C’est exactement ce que j’ai fait et je n’ai pas une once de regret.»
Montréal, capitale du plaisir
D’origine grecque, Byron Ayanoglu est dramaturge et chroniqueur culinaire à la Gazette. Il est né à Istanbul et il est arrivé au Québec avec ses parents, à la fin des années 50, à l’âge de douze ans. Issue de la haute bourgeoisie, sa famille parlait français; elle s’est toutefois installée à NDG, au cour de la population anglophone. «C’est là que vivaient les bourgeois, à ce moment-là», se défend M. Ayanoglu.
De religion orthodoxe, il a étudié à l’école anglaise, qui accueillait tous les immigrants. Il est allé à McGill, puis il a déménagé à Londres, à l’âge de vingt et un ans. «C’était obligatoire pour moi d’aller vivre ailleurs, car je voulais faire carrière dans l’écriture, et la communauté anglophone ici m’apparaissait bien petite, bien provinciale, même avant que surgisse l’idée d’indépendance et que tous s’en aillent.»
Le très sympathique monsieur, qui a cinquante ans et qui parle toujours le français, a aussi vécu à New York, et dix ans à Toronto. «Là-bas, j’étais critique culinaire pour le magazine Now. Je venais à Montréal au moins une fois par année, car la ville me manquait. Ça fait déjà trois ans que je suis de retour. J’écris mes pièces, mes livres de cuisine… La vie est chouette. Moi, je suis grec, et les Grecs vivent pour s’amuser. Et je trouve que les Québécois sont les seuls en Amérique du Nord à être aussi comme ça. A Toronto, les gens se sentent coupables s’ils ont trop de plaisir. Et puis, ce n’est pas une ville, c’est une usine. Beuark! Londres est la ville la plus civilisée sur le plan théâtral, littéraire. Tout ce que les Anglais font, c’est écrire, parce qu’il pleut tout le temps. C’était donc l’endroit idéal pour moi. (rires) Mais il y a beaucoup de lois et de règles là-bas qu’il faut suivre. A New York, il n’y a pas de lois, sauf celle de la rue. Et le loyer coûte trois mille dollars par mois.»
Pour M. Ayanoglu, cela ne fait aucun doute: «Moi, je vais mourir ici! La seule chose qui m’intéresse, c’est l’internationalisme, pas en tant que communiste, mais en tant que voyageur. Montréal a la possibilité, selon moi, de devenir une grande ville internationale. Il suffirait qu’elle contienne deux millions d’habitants de plus. Pour l’instant, elle fonctionne à 15 % de son potentiel. Peut-être serait-elle encore plus internationale si le Québec devenait indépendant. Mais peut-être aussi que tout serait détruit: la politique, l’économie… Le débat est intéressant, mais je regarde ça d’un oil académique; je ne me sens pas menacé.»
Les Anglos qui restent ou qui reviennent sont intoxiqués par Montréal, affirme Josh Freed. Ce sont d’anciens guerriers, habitués aux tensions politiques, ou encore des êtres extrêmement optimistes. Je dirais aussi des amoureux…