Le programme du dix-huitième parti politique à être reconnu par le directeur général des élections du Québec tient en quatre pages. Et encore, avec moins de retours de chariot, il aurait tenu en deux.
Adoptée dimanche dernier, à l’unanimité, par la soixantaine de membres présents en assemblée générale, cette plate-forme électorale n’est pas une brique. Pour cause: le Bloc Pot est le parti d’une seule revendication: la décriminalisation de la marijuana. «Le sujet a été suffisamment étudié. Ce n’est plus le temps de se pencher dessus, mais plutôt de passer à l’action», insiste Marc St-Maurice, le tout premier chef de l’elliptique histoire du parti Bloc Pot.
On fait dans la circonspection, au Bloc Pot. Le programme est bref; le choix du chef s’est déroulé en un temps record dans les annales politiques: onze secondes très exactement, de l’ouverture de la période des candidatures jusqu’à l’ovation de l’heureux élu, inclusivement.
L’objectif du Bloc Pot est d’obtenir suffisamment d’appuis lors du prochain scrutin québécois pour forcer le gouvernement du Québec à ne plus appliquer les articles du code criminel canadien relatifs à la possession et à la culture personnelle du chanvre. Un pouvoir que détient l’Assemblée nationale, en vertu de sa compétence constitutionnelle en matière d’administration de la justice.
«Si on ne passe pas directement par une réforme du code criminel en se présentant sur la scène fédérale, c’est que notre réseau de contacts se limite au Québec, concède Marc St-Maurice. On sait qu’il existe aussi un mouvement en faveur de la décriminalisation dans la région de Vancouver. Mais entre les deux, c’est le vide.»
Gruger des votes
C’est l’esprit clair qu’une soixantaine de membres du Bloc Pot ont adopté leur programme politique. «Avant les réunions, on s’abstient de fumer», confie Guillaume Blouin-Blondin, étudiant en sciences humaines, candidat du Bloc Pot dans la circonscription de Viau… et à peine assez vieux pour voter.
Les discussions politiques seront animées chez les Blouin-Blondin. En effet, la tante de Guillaume sera candidate péquiste dans Argenteuil, un comté qui a déjà son candidat Bloc Pot, Pierre Audette. «Quand je lui ai annoncé ma candidature, confie Guillaume, elle n’était pas très contente. Dans l’ancien comté de Claude Ryan, elle aura besoin de tous les votes anti-libéraux pour avoir une chance de l’emporter. Les quelques centaines de votes que peut aller chercher le Bloc Pot risqueraient de lui coûter la victoire.»
C’est exactement l’effet que cherchent à produire le Bloc Pot et son chef Marc St-Maurice. «Dans plusieurs circonscriptions, la lutte sera très serrée. A force de gruger 1 ou 2 % des votes, un parti ou l’autre pourrait être tenté d’adopter nos positions pour gagner la faveur de notre électorat.»
Le Bloc Pot est davantage le parti de la libéralisation d’une plante que de la défense des fumeux de pot. «Moi, je ne fume pas. J’en ai déjà fait l’expérience dans mon adolescence, mais c’est tout», confie Marc-André Gagnon, candidat dans Laurier-Dorion.
La question posée en somme est la suivante: aurait-on idée de criminaliser la possession et la culture de l’érable? Les réponses proposées lors de l’assemblée générale, qui s’est tenue dans un petit amphithéâtre de l’Université de Montréal dimanche dernier, étaient parfois pointues. «La marijuana n’est pas un stupéfiant, mais un psychotrope, dit Caroline Bergeron, étudiante en psychologie. Elle ne crée donc pas de dépendance. Les conséquences de la dépendance et les problèmes sociaux qu’elle engendre n’existent pas, contrairement aux effets de l’alcool, par exemple.»
«Décriminalisons la fleur, afin qu’on puisse profiter de tous ses bienfaits, demande Marc St-Maurice. Le chanvre peut servir à des fins médicales, c’est prouvé. La fibre de cette plante est excellente pour les tissus et les vêtements, pour la fabrication de papier. Il est prouvé aussi que ce n’est pas la consommation de la marijuana qui mène l’adepte du pot vers les dogues dures, mais son contact avec les dealers de drogues du crime organisé.»
«Nous nous privons de toute une industrie juste pour des raisons de morale», ajoute Larry Duprey, propriétaire de la boutique Chanvre en ville (fallait y penser!), sur l’avenue du Parc. Sa marchandise se compose de vêtements, d’étoffes, de produits de papiers fabriqués avec des fibres de chanvre, d’accessoires pour la consommation et la production, de guides de culture… Sa clientèle: des malades qui ont besoin de pot pour supporter leurs douleurs, des amateurs de plantes vertes et, surtout, des amateurs de bon temps.
Les arguments de monsieur Duprey vont peut-être rejoindre ceux de la grande industrie d’ici peu. Au Lac-Saint-Jean, la multinationale québécoise Abitibi-Consolidated (le plus gros producteur de papier au monde) s’est associée avec un groupe écologiste du coin dans la production expérimentale de chanvre à fibres, afin d’en tester l’efficacité dans la production de papier, sous très haute surveillance policière et gouvernementale. Des études préalables ont déjà démontré qu’un hectare de chanvre produit 20 % plus de papier qu’un hectare d’épinettes noires. Et cela, à des coûts de récolte et environnementaux moins élevés. «Le Bloc Pot fera pression pour que les exigences gouvernementales démesurées pour la culture du chanvre soient réduites considérablement», annonce Marc St-Maurice.
Plus légitime que Lulu?
A l’heure actuelle, le Bloc Pot est une patente essentiellement montréalaise, urbaine. Deux candidats seulement viennent de l’extérieur de la région métropolitaine. «La priorité des prochains mois sera de trouver des candidats dans chacune des 125 circonscriptions.»
Le Bloc Pot est un microparti – à peine deux cents et quelques membres -, mais il n’est pas marginal. Contrairement à d’autres partis provinciaux de la même taille – les marxistes-léninistes, le Parti abolitionniste (qui prône l’abolition des intérêts sur l’argent!) ou le Parti réformiste -, les «décriministes» reposent sur un large soutien populaire de leur programme.
En effet, différents sondages montrent qu’entre 50 et 70 % des Canadiens appuient la décriminalisation du pot. Il existe un autre «Bloc», lui aussi voué à une seule cause, la souveraineté, qui détient la majorité des sièges fédéraux au Québec, alors que son objectif ne séduit même pas la moitié de la population du Québec.
Bref, le Bloc Pot, à défaut d’avoir la capacité de faire élire un député, peut se vanter d’avoir plus de légitimité populaire que le parti fondé par Lucien Bouchard.