Société

Montréal en Campagne : Un animal à cinq pattes

«Contre une politique du pouvoir, nous vous soumettons une politique de l’influence.» Avouez que la formule a du lustre. A côté du slogan de Nouveau Montréal, «Le goût d’une grande ville», elle brille comme un sou neuf. «L’équipe qui agit», de Vision Montréal, ou «Il faut voter pour le meilleur», d’Équipe Montréal, ont l’air d’être tressées de paille, avec un petit cordon de lin bleu tout autour.

«Contre une politique du pouvoir, nous vous soumettons une politique de l’influence.» On croirait cette formule en silicone, avec des microchips, des circuits imprimés, et un design milanais. Elle est au slogan politique ce que le iMac (le nouvel ordinateur prodige d’Apple) est à celui des électroménagers: un truc hyper branché.

Mais il y a une petite induction en erreur ici. Ce n’est pas un slogan officiel de la Coalition démocratique de Montréal (CDM). C’est le non-officiel, celui que répètent en entrevue les candidats de ce parti.

La CDM est l’animal à cinq pattes de la politique municipale: un parti volontairement sans chef, qui n’en a rien à faire du pouvoir, et qui fonctionne comme une fédération.

C’est aussi une sour de sang du RCM, première mouture. D’ailleurs, la CDM avait proposé le printemps dernier une relation du type amant-amante avec le RCM, pour la présente campagne; une offre déclinée par le RCM. Trop incestueux? Peut-être, quoiqu’en politique, l’inceste soit bien vu, en autant que ça reste dans la famille. «Nous aurions pu faire une unité des forces progressives à l’hôtel de ville», commente l’amant éconduit, Marvin Rotrand, l’un des deux conseillers municipaux de la CDM, l’autre étant Sam Boskey.

Balance ascendant cancer
Le programme de la CDM repose donc sur une politique de l’influence, plutôt qu’une politique du pouvoir. Cela veut dire que la CDM ne veut pas prendre le pouvoir, mais être assez importante dans le prochain conseil municipal pour y détenir une influence sur la direction des affaires de la Ville. Elle n’a pas d’aspirant au poste de maire, et ne présentera qu’une vingtaine de candidats soigneusement choisis pour leur notoriété dans leur district, leur chance d’être élus.

L’objectif est d’avoir la balance du pouvoir. Réalistes, les gens de la CDM savent que le pouvoir ne leur est pas dû. Alors, ils misent sur la Mini plutôt que sur la 6/49; on ne devient pas millionnaire, mais les chances de gagner sont plus élevées. Mieux vaut 50 000 $ plutôt que rien du tout, c’est avec des cennes qu’on fait des piastres, et une banane vaut un steak. Je crois que vous avez compris le principe.

Voter pour la balance du pouvoir… L’idée est vieillotte. Mais là où innove la CDM, c’est en axant toute la stratégie électorale sur cet objectif. C’est astucieux, au sens péjoratif du terme. C’est une vision manichéenne de la politique.

Mais la réalité est que seulement quatre électeurs sur dix se prévalent de leur droit de vote. En bout de ligne, cela signifie que le parti porté au pouvoir ne reçoit qu’une fraction d’appui de la population, à peine plus que l’opposition. Par exemple, même avec son prodigieux coup de balai contre le RCM en 1994, Vision Montréal n’avait été élu que par 20 % des électeurs inscrits.

Dans ce contexte, la balance du pouvoir joue les chiens de garde. Ce qu’a fait avec une pertinence certaine la CDM au cours du mandat de Pierre Bourque: première à sonner l’alarme contre la privatisation du réseau de distribution d’eau potable, contre la menace de disparition des structures consultatives, et celle des coupures dans le transport en commun… Cela évite à la majorité élue par une poignée de sympathisants de se comporter en pouvoir présidentiel.

Ça demeure tout de même une vision cynique de l’exercice démocratique.

Vis ta vignette
Mais a-t-on les moyens de se passer du cynisme – seul antidote contre la tentation de voter pour un duce – avec cette histoire de vignettes V.I.P. au Service du stationnement? Un collant sur une plaque d’immatriculation, que tous les agents de parcomètres possèdent, ainsi qu’un nombre important de policiers et d’autres fonctionnaires municipaux. Selon le syndicat des fonctionnaires de la Ville, cette vignette est inoffensive, elle permettait seulement aux agents de se reconnaître entre eux, non pas d’échapper aux contraventions.

L’explication est subtile comme un poteauthon de Gérard Vermette. Depuis quand se regarde-t-on dans le blanc de la plaque d’immatriculation pour se reconnaître?

«Hey! EVP 360, ma vieille branche!

– Salut JPL 425, comment vas-tu?»

Seuls ceux qui veulent nous coller des contraventions regardent nos plaques. Une vignette V.I.P.? Les aubergines ferment les yeux. Pas de vignette V.I.P.? Une contravention!

La Ville de Montréal est au courant de l’existence de ce réseau depuis mai dernier, minimum. Malgré tout, le système frauduleux a continué de fonctionner sans problème. Tout ce qu’a fait l’administration Bourque, c’est de se plaindre à la police qu’elle ne recevait pas assez d’argent des contraventions!

Ce n’est qu’une fois l’histoire sortie dans les journaux, que Noushig Eloyan, présidente du comité exécutif, a avoué être au courant de l’affaire depuis quatre mois. Morale de la fable: c’est toujours plus agréable de se faire baiser quand on est consentant.