Quand le discours économique devient trop présent, on sort l’idéal olympique du placard: les Jeux olympiques redonnent le goût de faire du sport. Vraiment?
A en croire les promoteurs du projet Québec 2010, la fièvre olympique serait une maladie saine et hautement contagieuse. Selon eux, après avoir vu des athlètes avoir de bonnes performances dans leur ville, bien des jeunes adhéreraient à un club de patinage de vitesse, de plongeon ou de n’importe quelle autre discipline sportive. En clair, ils estiment que la tenue de Jeux olympiques à Québec redonnerait aux jeunes Québécois l’envie de faire du sport.
L’argument n’est pas nouveau. On l’a entendu au sujet de Québec 2002 et la publicité qui entoure la campagne Québec 2010 insiste sur ce point. Y a-t-il une relation de cause à effet entre la tenue de Jeux dans une ville et l’augmentation des inscriptions dans les clubs sportifs? L’augmentation est-elle statistiquement significative? Puisque le Québec dispose d’un exemple en la matière, nous avons sondé l’héritage des Jeux de Montréal…
Des chiffres? Quels chiffres?
Quelques coups de téléphone donnés à diverses fédérations sportives suffisent à nous assurer d’une chose: il n’existe pas de chiffres officiels qui démontrent que les Jeux olympiques de Montréal ont provoqué un engouement réel pour les sports de compétition. Cette information ne figure pas dans les registres de la plupart des fédérations sportives québécoises. Au Gouvernement du Québec, on ne dispose pas non plus de données exhaustives à ce sujet, car les fédérations sportives ne sont pas tenues de lui transmettre ce genre d’informations.
Actuellement, il est donc impossible de chiffrer l’héritage des Jeux de Montréal. Cependant, on peut dégager une certaine tendance. Prenons le plongeon, par exemple. Bon an mal an, environ 3000 Québécois pratiquent ce sport acrobatique. Après une «année olympique», sans égard au lieu où se sont tenus les Jeux, la Fédération de plongeon du Québec remarque une augmentation du nombre des inscriptions. Environ 25 % de plus, estime Donald Normand, président de la Fédération de plongeon. Un peu plus lorsqu’un athlète d’ici est monté sur l’une des marches du podium. Mais l’augmentation est ponctuelle: plus de 85 % de ces nouveaux adeptes abandonnent au bout d’un an.
A la Fédération d’escrime, on tient à peu près le même discours. Sauf que le nombre d’adeptes n’augmenterait que de 10 % après la tenue de Jeux. Que les Jeux en question se soient déroulés à Barcelone ou à Atlanta n’a aucune espèce d’importance, souligne Stéphane Bolle, président de la Fédération d’escrime du Québec. Les jeunes sont attirés par un sport car ils l’ont vu pratiqué à la télévision.
L’effet Comaneci
La seule discipline où le nombre d’inscriptions a augmenté de façon significative et quasi constante depuis 1976, c’est la gymnastique. Selon un tableau comparatif établi par la Fédération de gymnastique du Québec, à la saison 1977-1978, ils étaient plus de 2000 à être inscrits dans les différents clubs. Depuis 1994, ils sont près de 20 000. Au cours de la même période, le nombre d’adeptes se consacrant à la compétition est passé de 513 à 2500. Les effectifs sont stables depuis environ quatre ans.
Comment expliquer ce phénomène unique? Par les exploits de Nadia Comaneci, semble-t-il. Rappelons que la jeune Roumaine avait été la toute première athlète de l’histoire des Jeux olympiques à se mériter des notes parfaites – des dix. L’événement fut grandement médiatisé – on en a même fait une télésérie – et la petite Nadia est devenue une icône du sport amateur. La popularité que connaît encore la gymnastique serait attribuable à «l’effet Comaneci», en quelque sorte. Le fait que ces exploits aient eu lieu à Montréal a-t-il une grande importance? Personne n’en a soufflé mot…
La tenue de Jeux olympiques à Québec va-t-elle redonner aux jeunes d’ici le goût de faire du sport? Robert Boileau, professeur de sociologie et d’histoire du sport au département d’éducation physique de l’Université Laval, est sceptique. L’argument est facile, selon lui. «Dire ça comme ça et espérer des miracles, ce n’est pas très convaincant», critique-t-il. Sans attaches à un véritable projet de développement de l’éducation physique et des sports, les jeux de 2010 n’auront un impact que sur un public déjà intéressé au sport, croit le professeur.
«2010 doit être un aboutissement, pas un point de départ. Comment va-t-on se rendre à 2010 avec les infrastructures actuelles?» Et lorsqu’il s’interroge de la sorte, Robert Boileau ne parle pas de stades en béton armé, mais de ressources humaines, d’entraîneurs compétents adéquatement rémunérés. «Le sport, c’est humain, insiste le professeur, ce n’est pas juste du béton.»