Société

Montréal en campagne : Nous sommes tous des Chantal Jolis

L’idée m’est venue dans la cafétéria de Télé-Québec, en regardant le débat de Droit de parole de la semaine dernière, autour de la question: «Y a-t-il un candidat qui vous donne le goût de voter?» Les journalistes avaient été invités à venir voir les candidats à la mairie dialoguer avec des citoyens.

L’idée m’est venue quand Chantal Jolis, l’une des citoyennes invitées, a lancé aux candidats: «Vous me parlez de chiffres, de promesses… Or, moi, je veux connaître l’homme qui se cache derrière le candidat.»

Il est là, le problème. Nous sommes tous des Chantal Jolis. Si nous avons l’impression de nous tromper à chaque élection, c’est peut-être parce que nous nous fions un peu trop à la gueule des candidats. A l’homme qui se cache derrière le chef.
Forcément, lorsque vient le temps de choisir entre deux êtres humains, l’image que projette chacun d’eux influence notre décision. Et c’est là qu’on fait chou blanc: le bon gars ne fait pas nécessairement le bon maire. Nous choisissons entre deux personnages, alors que nous devrions discriminer selon le programme.

«Y a-t-il un candidat qui vous donne le goût de voter?» demandait Pierre Paquette à Droit de Parole. Et si on se demandait plutôt: «Pour quoi vais-je voter?» (l’espace entre le «pour» et le «quoi» n’est pas fortuit.) En fait, l’idée est de prendre le processus à l’envers. Souvent, c’est en tournant le télescope sur lui-même qu’on finit par y voir plus clair.

Prenez les contemporains de Thomas Edison, par exemple. Ils se sont gratté la tête jusqu’au sang pour trouver une alternative à la lampe à l’huile qui brûlait la graisse de baleine trop rapidement. Comment diantre, se demandaient-ils, peut-on faire brûler le petit fil de cuivre, avec de l’électricité, pour qu’il nous éclaire? Tom a repris la formule de droite à gauche: «C’est en l’empêchant de brûler qu’on va mieux s’éclairer!» Et le concept de l’ampoule électrique venait d’apparaître.

Même chose pour Robert Oppenheimer. Le physicien est arrivé un jour avec la théorie que ce n’était pas en faisant exploser l’atome qu’on allait créer une plus forte explosion, mais en le faisant imploser. Sur le coup, ses confrères ont cru qu’il débloquait, mais n’empêche: la bombe A venait de naître.

Basé sur la personnalité des aspirants, le processus électoral devrait être anonyme. Un peu comme le test du goût Pepsi. Faire un choix sur une base strictement cartésienne dont toute évaluation empirique – l’ennemi de la raison – serait évacuée.

Cela fonctionnerait comme ceci: chaque parti nous soumettrait un programme qui répondrait à des critères établis d’avance, question d’éviter des formules creuses comme «Nous allons exercer une gestion rigoureuse des dépenses publiques». Donc, des programmes de forme identique, dont nous ne pourrions pas deviner qui en est le proposeur. Ils nous l’envoient, et nous laissent une période temps pour l’évaluer; comme une campagne électorale dure environ un mois, disons que nous aurions quarante jours pour déterminer lequel est le meilleur. Une bonne traversée du désert. On note chacun des critères préétablis sur cinq, on fait le total, puis on envoie la note finale aux scrutateurs électoraux. Le parti qui remporterait l’élection serait celui qui aurait obtenu la meilleure note finale.

Ainsi, exit le marchandising, la gamique publicitaire et les faux-fuyants de fausses promesses. Ce ne serait plus le meilleur enfirouapeur de foule qui gagnerait, mais le meilleur. Point.

à visage découvert
Malgré tout, des choses intéressantes sont sorties de ce débat de Droit de parole. Notamment, la réaction des candidats face aux doléances des citoyens. Quand le travailleur de rue Patrick Langlois a déploré la brutalité policière qui sévit à l’endroit des jeunes marginaux, on pouvait apercevoir la gueule de Jacques Duchesneau, qui semblait dire «Go fuck yourself!» Même si la police de la CUM n’est pas la police sud-africaine des belles années de Pik Botha, il n’en demeure pas moins qu’elle est parfois rude envers les jeunes du centre-ville. Mais Duchesneau, lui, hochait de la tête.

Ou encore, quand une mère s’est plainte de l’état lamentable du terrain de jeux en face de chez elle. Pierre Bourque a sourcillé pour exprimer un étonnement: «Des équipements mal entretenus dans ma ville. Impossible!» Nous sommes à l’écoute des citoyens, qu’ils disent. Ouais.