Lundi soir dernier, au Gesù, les candidats à la mairie participaient à un débat sur la culture. La madame qui invitait les journalistes insistait auprès de mon collègue: «Non, non, on veut pas d’un journaliste qui couvre les élections. Z’avez pas un journaliste qui s’occupe de la culture? On va parler de culture à ce débat.»
Elle avait raison, la madame. Les candidats ont causé culture lors du débat sur la culture. Mais ça a dû sortir tout croche de leur bouche, car tout ce qu’on entendait, ce sont les mots: pacte fiscal, régionalisation des services et des intervenants, «une île, une ville!», valeur immobilière, création d’emplois, économie du savoir. Le président de l’Union des artistes, Pierre Curzi, était un brin perplexe.
«La nouvelle économie sera celle de la création», lance d’entrée de jeu Jean Doré. «C’est 26 000 emplois et 3 milliards de dollars», relance Jacques Duchesneau. «Le cinéma est passé de 300 à 700 millions de dollars sous mon "règne". L’industrie du multimédia se développe», ajoute Pierre Bourque.
On se serait cru à un dîner-causerie de la Chambre de commerce de Coaticook, sur le thème «L’art d’étaler ses produits en vitrine». Une non-lutte entre quatre images en deux dimensions, qui parlent en noir et blanc. Du cinéma yougoslave période Tito.
Cela ne veut pas dire que nos politiciens municipaux soient des incompétents. Mais disons que ça révèle l’imbroglio politique qui hante toujours la culture. Les élus – fédéraux, provinciaux et municipaux – confondent sans cesse art et tourisme, création et création d’emplois, marbre et asphalte, MBA et PIB, poterie et assiette fiscale.
Tous les gouvernements depuis trente ans n’ont vu dans la culture qu’un levier économique, une carte d’affaires pour politiciens en mission économique, un compte de taxes en blanc. Une occasion de plus de laisser leur marque dans le béton. Chaque fois qu’un promoteur tombe du ciel dans le désert culturel du politicien québécois, on lui dit: «Dessine-moi un Disneyland.» Ça nous a donné, entre autres, un musée pour rire jaune.
Dont get me wrong! Je n’ai rien contre l’arrimage culture/tourisme. A Québec, cet été, ce mariage en blanc entre le touristique et le culturel a donné l’exposition Rodin. Un hit. A Ottawa, ce fut Van Gogh. Autre hit. Et notre recrue à la tête du Musée des beaux-arts semble danser sur le même pas que ses collègues des capitales, avec son exposition Monet annoncée pour l’hiver prochain. Dans le concept «On remplit les hôtels de touristes avec de la culture», on ne peut faire mieux.
En fait, le maire de Montréal est capable du pire comme du meilleur dans le domaine de la culture. Au mieux, il doit éviter de nuire à la culture – en ne taxant pas les ateliers d’artistes au même titre qu’Eaton, par exemple; en favorisant la diffusion de la culture dans les maisons de la culture, ou en ne ramenant pas la taxe d’amusement.
Et, au pire, il lui concocte un plan quinquennal d’action axé sur le développement.
Le mécène, le Percepteur et le chef d’orchestre
Entre deux volées de bois vert au sujet de taxes, les candidats ont fini par aborder le sujet culturel de l’heure: l’Orchestre symphonique et sa précarité financière. L’OSM est dans le rouge de cinq millions de dollars. Ses musiciens, en grève, veulent une augmentation salariale de 40 %. Le maestro menace de lever les feutres si le problème financier n’est pas résolu. Un beau cas de quadrature du cercle.
Après six semaines de campagne, les aspirants à la mairie ont donc fini par se mettre au diapason de l’actualité. C’est tard. Ça fait dix ans que l’OSM crie famine, comme l’estomac d’un ouvrier de la construction à midi moins cinq. Mais sa boîte à lunch est vide. Jean Doré a répété que la solution aux problèmes financiers de l’OSM passait par l’incontournable partenariat avec le secteur privé; il a cité les exemples de Boston, Philadelphie, Chicago… Le privé par ci, le privé par là… On ne s’est d’ailleurs pas gêné pour critiquer nos gens d’affaires. Pour dire qu’ils ne sont pas forts sur le mécénat, et pour les qualifier de chiches, à mots couverts.
Or, le privé d’ici – l’entreprise comme le citoyen ordinaire – n’a pas aimé ces attaques. C’est qu’il n’a pas l’impression d’être Séraphin. Il donne déjà la moitié de son salaire en taxes et en impôts – entre autres, pour que le Grand Percepteur en chef remplisse le mandat de promoteur culturel qu’il s’est lui-même accordé. Si le Grand Percepteur veut effectivement partager cette tâche avec le privé, il devra cesser de fouiller dans ses poches. Peut-être qu’à ce moment-là, le privé se lancera dans le mécénat. Mais en attendant, il estime qu’il a déjà assez donné.