Société

L’exemple français : Télé objectifs

Il y a deux semaines, la vice-présidente de la télévision française de Radio-Canada, Michèle Fortin, affirmait dans les pages du Devoir que ce qui faisait la force de la télé d’ici, c’était «la guerre d’auditoire, et la compétition entre Radio-Canada et TVA». Elle ajoutait que si Radio-Canada n’était pas là, TVA serait en situation de monopole, et qu’il n’est pas certain que les téléspectateurs seraient gagnants.
Ce raisonnement est exactement le même que celui utilisé depuis des années par les dirigeants de la télévision publique en France. C’est ainsi qu’on a justifié les ponts d’or faits aux vedettes populaires françaises, les émissions bas de gamme, et une programmation indigne d’une télévision publique. Tout ça pour le bien du téléspectateur.

Or, aujourd’hui, surprise, le gouvernement Jospin effectue un virage à 180 degrés. La ministre de la Culture, Catherine Trautmann (de passage au Québec cette semaine pour parler du Printemps du Québec à Paris), appuyée par le premier ministre socialiste Lionel Jospin, a décidé de réduire le temps alloué à la publicité de 12 à 5 minutes par heure sur les chaînes France 2 et France 3. En échange, le gouvernement s’est engagé à combler le manque à gagner de deux milliards de francs qui étaient générés par les revenus publicitaires, en plus d’allouer des montants supplémentaires destinés à produire des contenus qui viendront combler ces sept minutes de plus consacrées à la programmation. Du moins, c’est ce qu’on promet.

Cette décision ne s’est pas prise en une fin de semaine. C’est le fruit d’une longue réflexion qui ressemble à ce qui s’est déjà fait ici, au moment où le comité Juneau se penchait sur l’avenir des institutions fédérales. Or, au Canada, le rapport Juneau est pratiquement mort-né. C’est tout juste si son président a reçu une lettre de remerciement. Jamais M. Juneau n’a été convié par un membre du gouvernement à discuter du contenu de son rapport. Quelques semaines après sa publication, le document ramassait déjà la poussière sur une tablette d’un entrepôt à Ottawa. Et vive la réflexion!

Cette année, des décisions importantes se prennent sur l’avenir de la télévision canadienne. Les audiences du CRTC portent entre autres sur le contenu canadien et le développement de nouvelles chaînes spécialisées, des questions importantes qui ne concernent pas seulement une poignée de producteurs privés et de télédiffuseurs, mais bien l’ensemble de la population. Comment se fait-il que les médias en parlent si peu? Pourquoi n’y a-t-il pas de vrai débat sur la question?

Chaque année, au Gala des Gémeaux, un vieux croûton vient nous faire peur en parlant de la multiplication des chaînes, et de la dégradation de la qualité de notre télévision. L’an dernier, c’était Guy Fournier (l’auteur du grandiose Ent’Cadieux); cette année, c’est Lise Payette (l’auteure des textes subtils et raffinés des Machos). Le public applaudit très fort à leurs propos, on les invite à la télé, à la radio et puis pfff… plus rien. On ne pousse pas le débat plus loin. Or, la télé est une industrie qui draine et génère beaucoup d’argent, une industrie que la grande majorité des Québécois consomme pour se divertir, s’informer et – qui sait – apprendre des choses de temps à autre. Or, nous la laissons entre les mains d’une poignée de décideurs qui n’ont pas toujours nos intérêts à cour.

Soyons réalistes. Qui a le temps d’aller assister aux audiences du CRTC? Personne. Ça ne veut surtout pas dire que ce qui s’y dit n’est pas intéressant. La question est la suivante: où est RDI, dont les caméras sont les premières sur les lieux d’accidents sordides? N’est-ce pas son rôle de rediffuser, du moins en partie, les débats qui se déroulent devant le CRTC?

Vous pensez que ces débats n’intéressent personne? Détrompez-vous. Vendredi dernier, à Droit de parole, l’animateur Pierre Paquette posait la question suivante aux téléspectateurs: «Au Québec, la télévision s’en va-t-elle vers le bas?» Croyez-le ou non, mais plus de 1500 personnes se sont donné la peine de téléphoner à Télé-Québec, un vendredi soir, pour répondre à la question. La majorité des téléspectateurs a répondu «oui»; et, en studio, les invités avaient des opinions fort intéressantes sur le sujet. Des opinions qui n’ont pu être développées, faute de temps. A quand un véritable débat public sur l’avenir de notre télé?

Je me souviens trop
La mode des biographies vous horripile? Prenez votre mal en patience car on est loin d’être sorti du bois. Il suffit de feuilleter le dernier numéro du magazine spécialisé Qui fait quoi pour constater l’ampleur de la chose. Parmi les portraits qui seront bientôt présentés à la télé: André Laurendeau, Bernard Lamarre, Camillien Houde, Daniel Johnson, Jean St-Germain, Louis Laberge, Réal Caouette, Jacques Plante, Girerd. Que des hommes, tous Québécois, de surcroît.

Cette fascination pour notre histoire et nos héros, on pourrait également la qualifier de nombrilisme et d’obstination à vouloir se créer une mythologie québécoise. Reste que si le gouvernement Chrétien tient tête, et exige des producteurs qu’ils offrent des documentaires à fort contenu canadien en échange de subventions fédérales, nos documentaires auront la feuille d’érable estampillée sur le générique. Et les Canadiens sauront de moins en moins ce qui se passe à l’extérieur de leurs frontières. Réjouissant, non? Un dossier à suivre…