«Les lieux de réjouissance étaient pleins à craquer. (…) Devant leurs comptoirs, se pressait une foule de gens pareillement excités. (…) Tous criaient et riaient. La provision de vie qu’ils avaient faite pendant ces mois où chacun avait mis son âme en veilleuse, ils la dépensaient ce jour-là qui était comme le jour de leur survie.»
– Albert Camus, La Peste
Voilà la délivrance qu’éprouveront, le 1er novembre au soir, les journalistes qui couvrent la campagne électorale. C’est que la campagne montréalaise est devenue ennuyeuse comme un rhume de cerveau. Officiellement, elle dure depuis cinquante-six jours, mais en fait, on s’est tapé plus de cent cinquante jours de campagne jusqu’à maintenant. Dès mai, les promesses se multipliaient, les couteaux volaient bas. En juin et juillet, ça visitait les miséreux, ça tenait des conférences de presse… La lutte a été si féroce hors du ring que lorsque la cloche a enfin sonné, nos catcheurs de sous-sol d’église avaient déjà les piles à terre. Et il restait cinquante-six jours à débattre des sacs à ordures.
Résultat: cela fait maintenant quarante jours que les candidats nous tiennent endormis sur la job.
Qui dort dîne, paraît-il. Cela est tellement vrai, qu’après ces élections, on va pouvoir auditionner pour C’t’à ton tour, Laura Cadieux II.
Jacques Duchesneau Multimédia
Comme la réalité est un désert d’ennui, nous vous proposons une visite guidée et commentée de la vie virtuelle des partis politiques municipaux. Au moins, il y a de la vie dans le réseau. Cette semaine, nous découvrons les sites du RCM et de Nouveau Montréal.
Chez Jacques Duchesneau Multimédia (www.nouveaumontreal.org), la page d’accueil nous reçoit avec trois images de Montréal: l’une qui date de la fin du dix-neuvième siècle, avec le Vieux-Port; l’autre qui date de 1967, avec l’Expo; puis la troisième, qui nous montre le centre-ville d’aujourd’hui… enfin, presque.
C’est que sur le cliché qui se veut contemporain, n’apparaissent ni la Tour McGill, ni le 1250 René-Lévesque (là où il y a la patinoire Bell), pas plus que la Tour IBM-Marathon ou le Centre Molson, les quatre plus importantes constructions de ces douze dernières années. Qui sait? C’est peut-être volontaire. Comme si Nouveau Montréal nous conviait à escamoter l’histoire récente de la ville sous Jean Doré et Pierre Bourque, et à repartir à zéro. Si c’est ça, c’est mauditement songé, et ça mérite toute notre admiration.
Jacques Duchesneau encourage la participation du Montréalais branché, avec la page Forum public. Tellement public et tellement forum, le forum, qu’on ne peut qu’y soumettre des messages. De plus, on doit y laisser nom, prénom, adresse complète, adresse électronique et numéro de téléphone. C’est OBLIGATOIRE, avertit-on. Vos papiers!
Pour se diriger vers la page des candidats, il faut cliquer sur la section Les Candidats, dont l’icône est un attroupement de bonshommes allumettes, probablement pour illustrer la profondeur des candidats. Nous sommes ensuite invités à choisir un district en particulier, à partir d’une carte de la ville où – ô surprise – les îles Sainte-Hélène et Notre-Dame ont quitté le territoire de Montréal au profit de la Rive-Sud.
A la page des candidats, on nous apprend qu’un des hauts faits d’armes du candidat Michael Applebaum (NDG) aura été de «s’opposer à la venue de débits de boisson dans son quartier». Et que Jacques Archambault (Rosemont) a été directeur de la revue Topologie structurale (???), et vice-président des anciens de son collège. Quant au candidat dans Émard, Robert Dobie, on commence sa présentation ainsi: «Il est marié depuis trente-quatre ans à Sheila O’Carroll.»
C’est fin pour madame O’Carroll.
RCM.edu
On arrive sur le site du RCM (www.cam.org/~rcm/html/hotel.html), et de son candidat à la mairie Michel Prescott, comme dans un marché aux puces. Il y a tellement de choses qu’on ne sait plus où donner de la souris.
Clic! sur l’icône La Vie du parti. «Veuillez nous excuser, nous sommes en train de retravailler cette section.» Manque de pot. Reclic! Cette fois-ci sur La Vie à l’hôtel de ville: «Veuillez nous excuser, nous sommes en train de retravailler cette section.» Allons plutôt faire un tour sur la page Agenda. «Assemblées d’investiture à venir.» Comment, ce n’est pas fini? Retour sur la page d’accueil pour aller sur la page Quoi de neuf: «Assemblées d’investiture à venir.» Ben coudonc, un site à façades de carton-pâte.
Heureusement, pour animer un peu l’endroit, Michel Prescott fait dans l’interactivité, avec un questionnaire adressé à l’internaute, histoire d’en apprendre davantage sur ce qui nous démange au sujet de Montréal. On s’attend à un test comme ceux que l’on retrouve dans le magazine Filles d’aujourd’hui: Etes-vous un Montréalais heureux?
Mais une fois qu’on l’a téléchargé, on se rend compte que le questionnaire a plutôt l’air d’avoir été piqué à l’École nationale d’administration publique. Soixante questions, certaines avec choix de réponses, d’autres, à développement, comme celle-ci: «Pensez-vous que l’examen public des programmes et projets d’investissement de la Ville par les commissions permanentes permettrait un meilleur contrôle des dépenses municipales?» Euh…