Normand L'Amour, Godzilla, La Petite Vie : La dictature du second degré
Société

Normand L’Amour, Godzilla, La Petite Vie : La dictature du second degré

Plusieurs signes annoncent la venue de l’Apocalypse: une pluie de sauterelles, l’arrivée de Satan à la mairie, et le fait que Normand L’Amour ait vendu des milliers de CD. C’est bien beau, le second degré, mais il y a quand même une limite, non?

Une équipe d’anthropologues a découvert une nouvelle tribu. Vivant sur une île au milieu du Saint-Laurent, essaimant partout au Québec, elle pratique des rites effrayants et très contagieux qui se résument à la recherche du second degré dans la vacuité de l’existence. Les anthropologues sont formels, ce type de sauvage a ses caractéristiques propres et ne peut en aucun cas être assimilé à ce qu’on connaît des autres primitifs.

D’abord le physique. L’Homo Secundus est un petit à lunettes ou un grand efflanqué. Gros, il porte des chemises hawaïennes sur des pantalons de camouflage; maigrelet, il enfile la dernière collection grunge de chez Wal-Mart. Riche, il a une chevalière de finissant sertie de diamants; pauvre, il porte un complet trois pièces de chez Tip Top avec des bas blancs. L’Homo Secundus est un quétaine fier de l’être. Son allure traduit son mode de pensée.

Très typé, l’Homo Secundus est un phénomène plutôt urbain. On peut résumer son mode de vie de la façon suivante: il est captivé par la nullité, les minables, le degré zéro de la culture. Il passe ses vendredis soir au Théâtre des Variétés, a placardé des images défraîchies des Banana Split sur le mur de sa chambre, et collectionne les pires épisodes de Star Trek.

L’Homo Secundus prend son pied en s’enroulant dans ce que la société nord-américaine a produit de plus décadent depuis quarante ans. Il se nourrit essentiellement de Pop Tarts.

Le petit pinson
Les anthropologues qui ont étudié la tribu sont tentés d’interpréter les curieux comportements de ses membres comme une revanche prise sur une tribu voisine, les intellos snobs. Ainsi, au Truman Show, l’Homo Secundus répond par Godzilla. A Christiane Charette: Danielle Ouimet. A Droit de parole: Black-out. Aux émules de BHL, il lance des citations de Jean Charest. Aux amateurs de l’Orchestre symphonique, il oppose l’Orphéon Country de Ville-Émard. En été, alors que l’intello snob migre vers Paris, l’Homo Secundus s’en va jouer aux fers dans un camping de Drummondville. En hiver, il boude les plages de Palm Beach ou les pentes de Vale pour une descente en tube ou une excursion aux petits poissons des chenaux.
Oui, l’Homo Secundus est bel et bien un apologiste du trash. On en voit beaucoup, présentement, agglutinés autour d’une sorte de barde, appelé Normand L’Amour. Phénomène plutôt déroutant pour l’Occidental non averti, le chantre du second degré entonne des paroles qu’on croirait sorties de la bouche d’un enfant de trois ans sur une musique composée par un sourd. Dans toute autre tribu, on l’aurait gratifié de soins médicaux bienveillants. Mais pas chez les Homo Secundus, qui semblent éprouver plutôt une sorte d’extase assez difficile à expliquer à l’écoute de son chant.

Selon un article récent publié dans l’American Society of Anthropology, la tribu du «second degré» appartient à une vaste famille qui a pour chef un individu se nourrissant de poivre de Cayenne et ayant du mal à mettre un mot devant l’autre. Mais les Homo Secundus ne sont pas très politisés. Ils n’en ont pas le temps, coincés qu’ils sont entre la mise en ordre de leur collection de cartes de hockey et l’enregistrement des vieux disques de Paolo Noël.

Les membres de ladite tribu chassent l’intellectuel avec des flèchettes imbibées de curare. Refusant de s’élever au dessus du plus petit dénominateur commun de la pensée, ils sculptent des totems à la gloire de la connerie. Pour eux, Manda Parent vaut Meryl Streep, et Patof n’a rien à envier à l’illustre Popov du Cirque de Moscou. Quand ils entendent parler de la tournée des trois ténors, ils pensent qu’on les invite à un concert collectif de Gilles Girard, Aimé Major et Evan Joanness. Gavés de films de monstres japonais, ils n’ont jamais compris pourquoi Nathalie Simard n’avait pas été sponsorisée par Sony.

La culture des poubelles
Il est donc normal que les Homo Secundus se soient emparés de Normand L’Amour pour en faire leur héraut puisque tout groupe socialement constitué a besoin d’un hymne qui lui ressemble et qui le fasse vibrer. Croyant que Revenge of the Nerds est un film triste et que les sculptures en bâtons de popsicle mériteraient d’entrer au Musée d’Art Moderne, ils se multiplient à une vitesse vertigineuse. Les experts observent des mutations dans les tribus voisines. De plus en plus d’individus hybrides voient le jour. Le résultat en est que la connerie à l’état brut gagne du terrain.

Dans les plus hautes sphères scientifiques, on se perd en conjectures sur la popularité d’un show-culte, revenant tous les lundis à 19 h 30, et mettant en vedette des demeurés parfaitement satisfaits de leur état. L’explication la plus plausible ne réside pas dans le génie ou l’art comique de Claude Meunier, mais bien dans la propagation de l’Homo Secundus. Des expériences menées sur le terrain le confirment, les membres de ladite tribu considèrent La Petite Vie comme un hommage.

Les tentations démagogiques et expansionnistes de l’Homo Secundus font peser sur nous des dangers imminents. De plus en plus d’individus adhèrent graduellement au credo de la tribu pour tomber dans une sorte de cynisme à tout crin. Il n’y a plus d’intelligence, plus d’esthétisme, plus de recherche artistique. Le niveau le plus élevé de la culture vaut le plus bas. L’idiotie débridée est une réponse satisfaisante au snobisme. La dictature du cancre devient un lendemain souhaitable. Des esprits évolués se laissent chaque jour tenter par la facilité de jugement.
L’Homo Secundus serait-il le mutant du déclin qu’annonçait Nostradamus?