Les Montréalais et Pierre Bourque : L'effet boomerang
Société

Les Montréalais et Pierre Bourque : L’effet boomerang

Écorché et dénoncé de toutes parts depuis quatre ans, le maire de Montréal
est néanmoins en voie d’être réélu dimanche prochain. Trois spécialistes tentent de résoudre l’énigme Pierre Bourque.

A lire les éditorialistes et les chroniqueurs montréalais, ces jours-ci, on se rend vite
compte que Pierre Bourque fait l’unanimité. Les journalistes sont, à l’exception près, tous contre lui. Ou à tout le moins contre l’idée de le voir à la tête de Montréal pour la durée d’un autre mandat.

Plus que jamais, on traite le maire de tous les noms. On a remis en question son
jugement politique, et on a qualifié son passage à la mairie de perte de temps. Par la
bande, on l’a traité de con, d’illuminé et de démagogue. On a même ouvertement remis en question son équilibre mental.
A lire les éditorialistes et les chroniqueurs, donc, on se dit que Pierre Bourque est un
véritable danger public. Et qu’il va en manger toute une. Pourtant, aussi surréaliste que cela puisse paraître, si la tendance se maintient, le maire sortant sera réélu le 1er novembre.

Encore plus surréaliste, à la lumière des résultats des récents sondages, on constate
que Pierre Bourque ne remportera pas les élections uniquement à cause d’une division du vote entre ses opposants, mais bien parce qu’une majorité d’électeurs estime qu’il est, des quatre candidats en lice, le plus honnête et le plus compétent.
«Dimanche dernier, quelqu’un m’a dit: "J’espère que tu vas voter pour Bourque. Ce pauvre homme, on s’acharne contre lui." Ça m’a troublé», raconte le psychologue François Lesage. Il pense que c’est l’acharnement des médias contre Pierre Bourque qui risque de provoquer sa réélection. «Le comportement de l’électorat, en général, est relativement simple. Le vote devient une motion de blâme individuel envers un traitement jugé excessif par les médias. C’est ce qu’on appelle l’effet boomerang en politique. Quand les médias commencent à dénoncer, on est attentif. Mais s’il y a unanimité contre quelqu’un, ça devient suspect. On s’identifie à ceux qui sont victimes d’une injustice.»

Les Montréalais ont donc tendance à s’identifier à Pierre Bourque, selon le psychologue,
parce qu’ils ont tous déjà été, plus jeunes, des victimes. «Le seul dénominateur commun des
électeurs qui voteront pour Pierre Bourque, c’est l’enfance. Ça demeure une période
particulièrement intense pour tous, où chacun a expérimenté une injustice. Si vous dites
la vérité et que tout le monde vous condamne parce qu’on croit que vous mentez, par
exemple. Ça [ce qui arrive à Bourque] rappelle aux électeurs des situations d’injustice déjà vécues. D’où leur identification à Pierre Bourque.»

Le politologue Jacques Léveillé, spécialiste de politique municipale et professeur à
l’UQAM, pense aussi qu’il faut jeter un coup d’oil du côté de «l’aspect psychologique»,
afin de comprendre le rapport particulier que les Montréalais semblent entretenir avec
Pierre Bourque. «Les sondages indiquent que plus de 40 % des électeurs voteront pour lui. Ce n’est pas parce que le personnage est exceptionnel (comme Jean Drapeau, par exemple). Ce n’est pas parce que son parti est exceptionnel; on se demande même s’il est capable de sélectionner ses candidats comme il faut. Ce n’est pas parce que les membres influents de la société ou les paliers politiques supérieurs le supportent. Ce n’est pas non plus parce que sa performance a été exceptionnelle. Ni parce que ses adversaires sont trop faibles. Quand
on a fait le tour de toutes les explications, on se rend compte qu’il n’y a pas de raison
de le porter aux nues comme c’est le cas.»
Il s’agirait donc d’une question de psychologie politique, selon le politologue. Outre
la responsabilité des médias, il estime que c’est la simplicité de Bourque qui séduit. Que
plusieurs électeurs montréalais s’identifient à Pierre Bourque comme de nombreux
Québécois se sont longtemps identifiés à Robert Bourassa. «Il y a des gens qui ont
tendance à s’identifier à ceux qui leur ressemblent. Qui ont les mêmes qualités et les
mêmes travers qu’eux. On peut sentir Pierre Bourque proche de nous lorsqu’on le voit
aussi fragile que nous, aussi mal pris dans ses grands pantalons, un peu gauche…»

Un populiste populaire
«Pierre Bourque est un vrai populiste. Pendant que Jacques Duchesneau et Jean Doré
faisaient campagne en lançant des idées, Pierre Bourque est allé voir le monde. Les gens
se reconnaissent dans cette façon de faire», explique Kathleen Lévesque, journaliste aux affaires municipales au quotidien Le Devoir. Un populiste à l’écoute des Montréalais. En témoignent, entre autres, ses tournées des quartiers de la ville, les samedis et dimanches. «Ça fait quatre ans qu’il fait campagne, précise Kathleen Lévesque. Par exemple, chaque dimanche, il va à la messe dans une église différente et il serre des mains.»

La journaliste souligne elle aussi l’importance de l’effet boomerang et tente d’expliquer
l’agressivité des médias envers le maire au pouce vert par l’aspect déconcertant du
personnage qu’elle côtoie depuis son entrée en politique. «Il n’y a pas de demi-mesures
avec Pierre Bourque. Le contact avec cet homme soulève soit l’adhésion totale, soit des
doutes et un grand questionnement. Il y a une espèce de vasouillage dans son regard et
dans son langage qui fait qu’on peut se poser des questions sur le personnage. Est-ce
qu’il est sérieux? Est-ce qu’il sait ce qu’il fait?»