Élections municipales : Éloge du bourquisme
Société

Élections municipales : Éloge du bourquisme

Bourquisme: nom masculin. Québécisme. Idéologie du populisme renouvelé, érigée par Pierre Bourque, maire de Montréal, qui réussissait à se faire élire avec rien dans les mains, rien dans les manches. Aussi: vague de fond, raz de marée. «Ils furent emportés par le bourquisme.»

On ne sait pas si le Dôme va s’en remettre, mais le super-méga-dance club de la rue Sainte-Catherine a vibré au rythme très branché de La Compagnie Créole. «C’est bon pour le moral, c’est bon pour le moral! A-A, O-O, A-A…» On aurait dit une bonne grosse noce: la grand-messe de Pierre Bourque, le miraculé de l’hôtel de ville.
Ma Molson Dry était coincée entre deux Coronas et un gin 7-Up. Pour l’atteindre, il a fallu jouer un peu du coude. C’est mon calepin de notes qui a dû trahir mon identité. «Vous vous pensiez fins, vous les journalistes, hein? Ben, le peuple vous a envoyés ch…», me lance une costaude, fringuée comme la chienne à Jacques, et visiblement de bonne humeur, malgré sa remarque désobligeante. Après tout, envoyer suer des douzaines de prétentieux, ça soulage.
«Quand vous creusez la tombe de quelqu’un d’autre, vous creusez la vôtre aussi», me confie une autre philosophe, qui refuse de s’identifier.

Les deux minutes du peuple
Mais qui sont ces bourquistes? Dans les journaux, on les a traités d’illettrés, de pauvres païens qui tirent le diable par la queue. C’est pour ça qu’ils ont voté en faveur du populiste Pierre Bourque, a-t-on écrit.

Or, il y a six mois, ces mêmes illettrés répudiaient eux aussi Bourque, tout comme les diplômés des pages idées de nos quotidiens. Huit Montréalais sur dix le rejetaient – ce qui n’a pas empêché le bonhomme d’être réélu de façon majoritaire au conseil municipal. Comme quoi on ne peut rien prévoir en politique…
Dimanche soir, au Dôme, les journalistes étaient perçus comme des ennemis en territoire allié. L’approche était difficile, et le contact, froid.

Dans cette situation, rien de tel qu’aborder un vieux routier de la politique pour briser la glace. Marcel Prud’homme, une icône libérale fédérale de l’époque de Trudeau, aujourd’hui sénateur indépendant, trinquait et embrassait tout ce qui passait. «La victoire de ce soir, c’est vraiment celle du peuple», clamait-il.

Illettré, l’électeur de Bourque? Rien n’est moins sûr. «C’est une preuve de l’indépendance d’esprit des Montréalais, qui ne se sont pas laissé berner par ce qu’on pouvait dire dans les journaux, et surtout, par l’arrogance de l’opposition», dit Prud’homme.

Assis au bar, j’aperçois un jeune couple. Leur physique et leur accent laissent deviner que leurs ancêtres n’ont pas labouré les champs de la côte de Beaupré en 1684. Veston cravate et robe de soirée, tous les deux clean cut comme des étudiants des HEC. Eux aussi refusent de se nommer. Ils n’en ont que pour Pierre Bourque. Dites-donc, pourquoi lui faire confiance aveuglément? Son mandat a été une catastrophe!

«C’est normal que Pierre Bourque ait connu des difficultés au cours de son premier mandat, répond le gars, qui dit se prénommer Jean. Montréal est une grosse ville, complexe, difficile à gouverner avec toutes ces différences.» Et pour vous, est-ce une victoire du peuple, une leçon d’humilité pour les journalistes? «Not really, répond Sandra, la fille du couple. Plutôt celle du gros travail sur le terrain. Tout le monde, du maire jusqu’au plus petit militant, a travaillé fort.»
Une réalité qu’on a rappelée à Jean Doré et à Jacques Duchesneau: une élection municipale, ça se gagne électeur par électeur. Poignée de main par poignée de main. Souper-spaghetti par souper-spaghetti.

Un homme de parole
Dimanche dernier, les 45 % d’électeurs qui ont reporté Bourque au pouvoir n’ont pas élu une idéologie, pas même un programme ni un projet de société. Ils ont élu un état d’esprit.

Peu importe à qui l’on s’adressait, jamais il n’était question de la qualité du programme électoral de Bourque ou de sa compétence. L’électeur de Bourque est réellement, au sens propre comme au figuré, un électeur de Bourque. Le bourquisme, c’est une question d’attitude.
«C’est un homme de parole!» Vous dites comme le slogan, madame. «Le slogan? Quel slogan?» demande Sarah, une retraitée d’origine juive. Le slogan de campagne de Pierre Bourque: un homme de parole. «Ah, je n’avais pas remarqué», répond-elle.

L’électorat de Pierre Bourque est à l’image du politicien: particulier. Il se fout des astuces traditionnelles de campagne, des «gammicks» électorales habituelles, des sempiternelles stratégies médiatiques. «Je ne perçois pas monsieur Bourque comme un politicien. Ce que je vois, c’est un homme du peuple», dit Sandra.

«Aaaaaa, la macarena». Pendant qu’on poursuit avec les grands classiques de la musique contemporaine, le son s’interrompt pour présenter l’un des candidats gagnants, Gerry Weiner, ex-ministre conservateur sous Brian Mulroney, pourfendeur de la politique d’immigration au Québec (qu’il qualifie de raciste, même s’il l’a lui-même élaborée!), et partitionniste à ses heures. «C’est ça, l’équipe de Pierre Bourque, poursuit Prud’homme, le sénateur. C’est Montréal et sa diversité. Nous donnons l’exemple en acceptant la différence. Pas par tolérance bébête: nous acceptons la différence comme une partie de nous-mêmes.»

«C’est l’une des plus grandes victoires politiques de l’histoire du Québec», jubile Pierre Bourque, devant la foule en délire. «J’espère que Bourque ne deviendra pas un exemple pour les autres politiciens», me dit Benoît, notre photographe, un peu «flabergasté» par le populisme du politicien.

Mauvaise nouvelle, mon Ben: le nouveau chef de l’opposition, Michel Prescott, a dit que Bourque avait servi une leçon de politique. Et les leçons, on les apprend par cour.