Société

L’avenir du féminisme : Tout feu, tout femme

Vingt-cinq ans après la création du Conseil du statut de la femme, l’heure est au questionnement dans les mouvements féministes. Questionnement sur l’avenir du mouvement, certes, mais aussi sur la perception du féminisme au fil des ans. Retour sur le Forum des générations sur l’avenir du féminisme.

Face aux cinq panélistes qui occupent la scène de l’auditorium du Musée de la civilisation, une foule bigarrée. Une foule de femmes, bien sûr – à peine cinq ou six mâles, aussi rares que discrets -, mais des femmes de tout âge, de l’adolescence à celui qu’on qualifie avec pudeur de troisième. Avec une plus grande concentration dans la tranche des quarante à soixante ans, celle qui a, peut-être, mieux connu les grandes années du mouvement féministe.

Question d’apporter de l’eau au moulin, le groupe Mémoires d’elles, instigateur de ce forum, avait au préalable demandé à des jeunes filles de répondre à la question suivante: A l’aube du troisième millénaire, a-t-on encore besoin des revendications des femmes? Parmi toutes les réponses reçues, quatre textes ont été sélectionnés par les organisatrices. Des textes tantôt naïfs, tantôt militants, qui témoignent d’une grande diversité d’opinions sur le sujet.

Des textes qui sont devenus prétextes, pour ces cinq femmes devant nous, à tracer un certain bilan de la situation à travers leur propre regard. Étonnamment, ces conférencières de toutes les générations (de la jeune vingtaine à la jeune… «quatre-vingtaine») aux horizons fort variés tiennent un discours presque homogène. Bien sûr, les mots comme les expériences sont différents. Lorsque la doyenne, Mme Françoise Stanton, prend la parole, c’est toute une vie de militantisme qui défile. A l’autre extrémité du spectre, quand Claire-Andrée Cauchy s’exprime du haut de ses vingt et un ans, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle est un peu l’héritière de celles qui l’ont précédée. Chacune à sa façon, elles évoquent les nombreux gains du mouvement au fil des ans. Mais toutes constatent qu’un bout de chemin reste à faire avant de parler d’égalité. «Maintenant qu’on a l’égalité des droits, soutient Mme Cauchy, il nous reste à obtenir l’égalité des faits, l’égalité dans la réalité.»

L’empire du mâle
Depuis de nombreuses années, le féminisme a mal à sa réputation. Les militantes sont décrites comme des enragées, on les accuse de lèse-masculinité, on prétend qu’elles cherchent à bouffer du mâle. Pourtant, rien de tout cela ne transpire dans une salle qui rassemble probablement la crème du féminisme. Ni hargne, ni frustration, à peine quelques blagues beaucoup plus gentilles que ce que l’on pourrait entendre dans une simple conversation entre gars. «Ça a été galvaudé le mot féministe, explique Mme Stanton en entrevue. On a dit que c’étaient toutes des lesbiennes, des femmes qui détestaient les hommes, mais c’est complètement faux. Celles qui ont travaillé pour l’avancement de la femme aiment les hommes.» Même si elle ne faisait que répéter des propos maintes fois véhiculés, elle devra prendre la peine de préciser, lorsqu’elle les reprendra en public, qu’elle ne voulait surtout pas attaquer les lesbiennes.

Quoi qu’il en soit, la mauvaise réputation aura laissé des traces, poursuit Mme Stanton: «Les hommes ont tourné en dérision, ridiculisé celles qui s’identifiaient comme féministes. Il y a donc une certaine peur à dire: je suis féministe. Même si elles revendiquent les droits des femmes, elles ne le disent plus, ne veulent plus le dire.» Elle ajoutera plus tard, à la blague: «J’ai fait peur aux hommes, mais j’en ai décroché quelques-uns quand même!»

Le constat de Mme Stanton se rapproche de celui de la représentante de la plus jeune génération, Mme Cauchy: «On a un peu galvaudé le terme, on a tenté de le rendre synonyme d’enragée, de radicale. Ce dont je me rends compte, c’est que chez les gens de ma génération, il y en a beaucoup qui ont peur de s’affirmer comme des féministes mais qui se comportent comme telles et qui ont intégré toutes les avancées du mouvement: elles prennent leur place, elles ne s’en laissent pas imposer. Elles sont féministes, mais c’est comme si le terme faisait peur.»

Le mot effraie, malgré que bien peu de gens arrivent à en donner une définition claire. Pour Mme Stanton, qui est née à une époque où la femme ne rêvait que de mariage et de marmaille, on ne peut plus définir le féminisme de la même façon aujourd’hui: «Les jeunes femmes, contrairement à ma génération, ont toujours vécu avec des garçons. Elles sont allées à la garderie avec eux, au secondaire, au cégep, à l’université. Leurs réclamations sont tout autres que les nôtres parce qu’elles peuvent jouir de ce que nous avons acquis. C’est très difficile de demander aux jeunes qu’est-ce que le féminisme aujourd’hui.»

Que Mme Stanton se rassure, les jeunes qui participent au forum ont leur petite idée sur le sujet et la définition de Mme Cauchy n’est pas dénuée d’intérêt: «Etre féministe, c’est une question d’attitude. Une femme qui s’assume est féministe dans ses actions, dans sa façon de prendre la parole, de s’impliquer. Le mouvement féministe n’a jamais été homogène, il y a toujours eu toutes sortes de courants. Un mouvement, c’est des gens, là-bas, qui s’occupent de nos affaires. Mais à partir du moment où tu l’intériorises, dans ta façon d’être au jour le jour, c’est là que le mouvement devient important, qu’il a une force réelle. Depuis le droit de vote, il y a plein de choses qui ont évolué et il me semble qu’on est rendu à la vraie vie, au quotidien. C’est au quotidien que les valeurs d’égalité, on va les vivre dans nos couples, dans notre travail. Il faut que les revendications féministes nous appartiennent, que ce soit notre façon d’être.»

Femmes de rêves
Tout n’est pas gagné. La directrice des études au cégep Limoilou, Mme Hélène Huot, remarque qu’en 1998, on en est encore à célébrer l’arrivée d’une première femme chef de police. Ou d’une première femme procureur. Une autre panéliste, Mme Danielle Bilodeau, réalisatrice à la chaîne culturelle de Radio-Canada, fait remarquer que Mario Dumont a déclaré que, s’il était élu, il aimerait bien éliminer le Conseil du statut de la femme. Toute la salle réagit avec un Ohhhhh réprobateur. Non, tout n’est pas gagné.

«Il faut encore être très vigilant, soutient Mme Stanton, mais on devrait peut-être travailler maintenant avec les hommes qui ont beaucoup évolué. Il va falloir garder des mouvements féministes si les hommes n’ont pas tout compris. Mais je pense qu’ensemble maintenant on devrait travailler contre les injustices sociales, contre les injustices par rapport aux femmes ou par rapport aux hommes. Je crois qu’on en est rendues là.» Claire-Andrée Cauchy: «Ce que je voudrais dire aux féministes plus âgées, c’est que je pense qu’on en est rendues à tendre la main à certains hommes. C’était normal, pendant un certain temps, de fermer les portes aux hommes. On partait de loin, on avait besoin de prendre confiance. On n’avait pas besoin d’avoir une assemblée de femmes où il y a dix gars qui monopolisent les micros. Il fallait que les femmes prennent leur place et je pense que ça s’en vient bien. On est dues pour tendre une perche et pour le changement qu’il reste à faire, il faut qu’on soit capables de s’allier les hommes qui le veulent.»

Dans le mouvement féministe, les hommes ont longtemps vu une atteinte à leurs privilèges. Privilège surtout de vivre dans un monde conçu pour eux, avec madame dans le rôle de bobonne. Privilège aussi de passer sa vie à promouvoir les bonnes vieilles valeurs masculines de compétition et de marche-ou-crève. La lutte des femmes, c’est aussi une lutte pour la promotion des valeurs de partage, de respect et de tolérance, soutient Mme Huot en précisant que «les femmes ne peuvent pas être bien dans une société où les gens sont mal.»

En préparant ce forum des générations sur l’avenir du féminisme, les organisatrices de l’événement ont laissé une grande place à celles qui représentent, justement, l’avenir. Laurence Brunelle-Côté, étudiante au baccalauréat à l’Université Laval a écrit un des textes qui ont été présentés en guise d’introduction au forum. Un seul extrait ne saura évidemment lui rendre tout à fait justice, mais il pourrait très bien être servi en guise de conclusion: «La femme a pris sa place dans un monde d’hommes, elle doit maintenant bâtir un monde avec les hommes.(…) Seule une reconstruction d’un monde juste et égalitaire peut justifier l’arrêt des combats des femmes. En attendant… je lutte, tu luttes, nous luttons.»