Société

Le Québec en campagne : L’échelle de l’entièreté

Afin d’évaluer de façon froidement mathématique la qualité du comportement des gens, nous avions créé, quand nous étions étudiants, ma gang et moi, «l’Échelle de l’Entièreté».

L’Échelle est graduée ainsi: la cote «Électrogalvanisé» est le niveau le plus élevé – ça indique que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et la cote «Minuscule» est le niveau le plus bas – dans le sens où je me sens petit quand la gaffe est monumentale.

Toutefois, tel le principe de Peter selon lequel chaque individu s’éleve à son niveau d’incompétence, notre échelle souffrait d’une carence: si l’on peut être Minuscule, certaines personnes le sont plus que d’autres.

Alors, nous avons établi le Paradigme du Minusculisme. Plus on avance dans le Paradigme, plus on est insignifiant, jusqu’à sombrer dans l’infiniment petit.

Le Paradigme du Minusculisme
Voici deux promesses électorales, passées dans la moulinette de l’Échelle de l’Entièreté, et qui se sont retrouvées, après évaluation, dans le Paradigme du Minusculisme, au degré de l’«infiniment petit». Le but d’une promesse est de faire espérer aux électeurs une vie meilleure, pas une existence encore plus misérable!
1) «Charest promet une assurance-chômage pour les travailleurs autonomes.»

En soi, le projet libéral paraît généreux. Mais lorsqu’il se frotte à la réalité de la vraie vie, comme dirait Janette, il s’effondre. Ce programme ne serait financé que par les travailleurs eux-mêmes, alors que la vraie assurance-chômage l’est à parts égales par l’employeur et l’employé. Même chose pour la CSST, la Régie des rentes et les fonds de pension.

Le gouvernement libéral créerait donc un dangereux précédent: la fin de la responsabilité sociale des employeurs envers leurs employés. Il exigerait du travailleur autonome une contribution de 2 % du salaire brut, pour neuf misérables semaines d’indemnisation. Mêmes les assureurs privés offrent des produits du même type plus généreux, et à meilleur coût. C’est peu dire.

2) «Nous promettons un régime de congé parental pour les travailleurs autonomes.»

Le Parti québécois transforme ici une politique qu’il n’a pu réussir à mettre sur pied en une promesse électorale, deux ans plus tard. Alain Choquette revu et corrigé: abracadabra, elle n’est plus là; abracadabri, la revoici.
Il y a deux ans, Québec voulait défrayer ce nouveau programme avec l’argent de l’assurance-emploi, mais la seule part des Québécois dans la caisse n’est pas suffisante. Le gouvernement Bouchard aurait bien aimé qu’Ottawa oublie ce détail. De négociations, évidemment, il n’y en a pas vraiment eu. Pour Ottawa, si le Québec veut s’offrir des congés parentaux plus généreux qu’ailleurs au pays, qu’il ne le fasse pas avec l’argent appartenant aux autres provinces. Un argument difficile à défier. «Si, si, on réussira», promet Bouchard.
Quand il disait butin, il voulait vraiment dire: le résultat d’un larcin.

Le paradigme Dumont
En politique québécoise, un même type d’échelle pourrait être utilisé pour mesurer la position des différents partis dans le spectre politique, qui, bien entendu, ne s’étend pas de droite à gauche, mais de feuille d’érable à fleur de lys.
L’Échelle du Nationalisme, pourrait-on l’appeler, irait du felquisme jusqu’au partitionnisme. Entre ces deux extrémités, il y aurait des degrés divers, comme le fédéralisme asymétrique et la souveraineté-association. Toutefois, il s’y avérerait impossible de nicher l’Action démocratique. D’où la nécessité de créer le Paradigme Dumont, pour placer ceux qui sont à la fois et pas du tout, et plus ou moins ni l’un ni l’autre. Pour le moment, seule l’ADQ recevrait la cote «allairisme» – comme dans rapport Allaire, qui était ni plus ni moins la souveraineté sans la souveraineté, et le fédéralisme sans le fédéralisme, une structure européenne sans la structure, par-dessus un régime déjà surgouverné.

Mais au rythme où évoluent la pensée de Lucien Bouchard et le programme constitutionnel libéral, l’ADQ pourrait bientôt ne plus être seule sur sa ligne. Car, en matière de flou constitutionnel, Charest et Bouchard sont désormais reçus Maîtres. L’un ne veut pas de référendum, mais veut que l’autre en promette un; et l’autre ne veut promettre qu’un référendum gagnant, mais exige de l’un qu’il en tienne un, perdant ou gagnant. Fa de li de li, de li, fa de li de lo, de lo…

La poésie de Claude Dubois résume bien la politique d’ici.

Anyway
De toute façon, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, «Action démocratique»? Sans exception, à travers ce qui s’est déjà appelé le monde libre, le nom des partis identifie où ils se situent: le Parti conservateur est de tendance conservatrice; le Parti libéral, de tendance libérale; le Parti socialiste, socialiste… et l’Action démocratique? Activement démocrate?
L’action d’exercer la démocratie est-elle une idéologie? A moins que cela ne signifie qu’à l’Action démocratique, on réfléchit moins et on agit plus. Cela expliquerait leur insipide programme corporatiste pour les universités.