«Bonsoir; bienvenue aux nouvelles de fin de soirée. Tout d’abord, nous venons tout juste d’apprendre qu’une organisation parapolitique inconnue vient de kidnapper toutes les photos électorales de Lucien Bouchard et de Jean Charest. Les ravisseurs se réclament de la Société Secrète des Corporatistes Parvenus. Selon nos informations, ils revendiqueraient un statut de privilégiés au sein de la Nation au détriment du petit peuple; sans quoi, ils affubleraient de moustaches hitlériennes les affiches de Jean Charest et de Lucien Bouchard. Leur leader spirituel, Lorraine Pagé, a même menacé de se déguiser en Môman au prochain Bye Bye si satisfaction ne lui était pas donnée. Face à un arsenal aussi imposant, les autorités se seraient rendues sans résistance.»
Détournement
Vous étiez nombreux à être venus assister au combat extrême. Vous aviez cru que les titans s’affronteraient.
Or, le Greatest Show On Earth qu’on nous avait promis a été piraté par le corporatisme. La présente campagne a été détournée par toute une série de castes qui, depuis trop longtemps, font du Québec leur domaine exclusif de privilèges. Les urgentologues qui menacent de démissionner. Les juges qui menacent de poursuivre. Les enseignants qui débraient. Le monde des affaires qui gronde Jean Charest parce qu’il a osé remettre en question la Société Générale de Financement – leur buffet chinois all you can eat, où ils s’y empiffrent comme de vrais cochons jusqu’à en vomir sur les contribuables.
Les projets de société, c’est notre carré de sable, disent les médecins, les juges, les enseignants et les chambreux de commerce, pas celui de la démocratie. Allez! Oust! Tes bébelles, pis dans ta cour.
Les partis avaient pourtant leur agenda de campagne bien établi. Des programmes qu’ils voulaient dévoiler par blocs, au fil des semaines. Enfin, avions-nous soupiré, les politiciens vont débattre de la route à suivre. Que le meilleur itinéraire l’emporte.
Mais les agences corporatives en ont décidé autrement. «Les nouveaux habits de la santé, de l’éducation, de l’économie, de l’administration, de la justice, c’est à nous de les confectionner, et selon notre taille», ont-ils décidé.
Dans Les Bâtards de Voltaire, John Saul nous prévenait de la menace que représente le corporatisme pour les démocraties d’aujourd’hui. Ici, au Québec, les corporatistes n’ont même plus la décence d’attendre la fin du processus électoral pour détourner le choix du peuple. Ils entrent dedans, et mettent le couteau sous la gorge des candidats.
Ailleurs dans le monde féodal, quand l’armée n’aime pas les orientations civiles d’un politicien, elle fait exploser son avion. Ici, quand la classe corporatiste n’aime pas le nouveau programme politique d’un politicien, elle menace de bousiller sa campagne. A chacun ses armes.
Oui, oui, vous avez bien lu: j’ai écrit «féodal». Le Québec est une société de nobles, d’apparatchiks, de castes. Bref, une société féodale. En haut, un roi affaibli manipulé par des petits seigneurs; en bas, les pauvres serfs que nous sommes. Entre les deux, les petits seigneurs qui règnent dans leur seigneurie au gré de leurs caprices. Dans un environnement aussi hostile, personne n’ose aller de l’avant avec des réformes structurelles.
Allez remettre en question la compétence des enseignants, alors que les universités doivent faire passer des examens de français à leurs nouveaux étudiants. L’Appareil de Terreur de la CEQ, se met aussitôt en marche: «Les enseignants sont le cour de notre système scolaire, c’est honteux de douter de leur compétence, vous menacez l’avenir de nos enfants, et gnangnan…»
Allez remettre en question la pertinence du cégep, alors que les étudiants en première année de bac ont à reprendre sensiblement les mêmes cours qu’à leur dernière année collégiale. Là, c’est l’Appareil Revendicateur de la CEQ qui arrive, appuyé par celui de l’Association des directeurs de cégep. «Les enseignants sont le cour des cégeps, le cour de la Révolution tranquille… gnangnangnan.»
Chez les toubibs, c’est pire. Le Québec compte plus de médecins par habitant que n’importe quelle autre province. On en a deux fois plus qu’il y a vingt-cinq ans. Pourquoi alors le bordel dans les urgences? «Parce qu’il manque de médecins, et il faut les payer plus cher pour qu’ils restent parmi nous plutôt que de s’expatrier aux USA. Sinon, vous allez tous mourir sur la table d’opération.» Et encore gnan! D’autant plus que les médecins, tant spécialistes qu’omnipraticiens, n’ont même pas participé à l’effort de guerre dans la conquête du déficit zéro – grâce au même chantage qu’ils ont exercé pendant la campagne électorale à Jonquière et à Gatineau.
C’est bien que tous ces gens soient d’avis contraire à celui du gouvernement et des partis d’opposition. Ce qui l’est moins, c’est qu’ils usent de leur abondant pouvoir en pleine campagne électorale pour profiter de la vulnérabilité des chefs et ainsi leur arracher encore un plus gros carré de sable.
Y en a marre. Le premier candidat qui me promet juré craché d’abolir Lorraine Pagé, je vote pour lui.