Les groupes anti-avortement : Tueurs pro-vie
Société

Les groupes anti-avortement : Tueurs pro-vie

L’extrême droite américaine est de plus en plus dangereuse. Après les homophobes, c’est au tour des groupes anti-avortement de faire couler le sang. Pour eux, tuer un fotus est un crime. Mais tuer un être humain est honorable. Vol au-dessus d’un nid de coucous.

Le 21 janvier prochain, dans un hôtel près de Washington, se tiendra le White Rose Banquet. Cet événement annuel, organisé par Michael Bray, un pasteur luthérien de quarante-six ans vivant au Maryland, rassemble plus de cent convives venant des quatre coins des États-Unis. Le but de cette fête bon chic bon genre: célébrer les militants pro-vie (disons plutôt: anti-choix) qui ont incendié et bombardé des cliniques d’avortement au cours des derniers mois, ou tué des médecins et des infirmières pratiquant des avortements.

Les extrémistes qui seront présents au White Rose Banquet, et qui sableront le champagne avec le bon pasteur Bray, auront toutes les raisons du monde de fêter, cette année. En effet, le meurtre du docteur Bennet A. Slepian, tué par un sniper alors qu’il discutait tranquillement avec sa femme et son fils de quinze ans dans sa cuisine, le 23 octobre dernier, près de Buffalo, est le septième meurtre commis par des militants anti-choix sur le territoire américain depuis 1993.

Selon la National Abortion Federation, un organisme pro-choix, quinze tentatives de meurtres ont été imputées au mouvement anti-choix depuis 1991. Au cours des douze dernières années, ces extrémistes sanguinaires ont incendié 154 cliniques, en ont bombardé 39, et ont jeté de l’acide dans 99 d’entre elles.
Tout ça, au nom de Dieu et du respect de la vie.

La gloire de Mon Père
Michael Bray, qui a passé quarante-six mois en prison pour avoir bombardé des cliniques d’avortement, ne vit pas dans la clandestinité, caché dans une cabane en bois rond du Montana avec quatre pelés et un tondu, non: il mène une vie sociale extrêmement active. On le voit régulièrement sur les ondes de CNN ou à l’émission d’affaires publiques Nightline, au réseau ABC, et on a pu lire sa prose dans le Washington Post.
L’homme a plusieurs tribunes; on l’interroge comme s’il était aussi inoffensif que le président de l’Association des fabricants de boisson gazeuse citron-lime. Vous voulez le point de vue des femmes? Vous interrogez Gloria Steinhem. Vous voulez le point de vue d’un militant anti-choix? Vous vérifiez si Michael Bray n’est pas en prison, et vous lui passez le micro. Qui sait? Dans quelques mois, l’homme aura peut-être son propre talk-show. «And now, ladies and gentlemen, the man who bombs abortion clinics, the one, the only, the fabulous Michael Bray!»

En attendant ce grand jour, vous pouvez toujours consulter le site Internet de son grand ami Neal Horsley, un informaticien de Georgie.

Horsley est le président du Creator’s Right Party, une association religieuse d’extrême droite qui organise des séminaires «post-assassinats», destinés à montrer aux militants comment répondre aux questions des journalistes au lendemain d’une attaque terroriste contre une clinique d’avortement. Le Creator’s Right Party affirme également que les citoyens américains devraient voler des armes nucléaires au gouvernement, afin de les utiliser contre le Président pour le forcer à interdire l’avortement et l’homosexualité. Hmmm…
Le site Internet que Neal Horsley dirige s’intitule The Nuremberg Files. Pourquoi Nuremberg? Parce que pour Horsley et ses joyeux troubadours, les médecins qui pratiquent des avortements ne sont ni plus ni moins que des criminels de guerre, qu’on devrait traduire en justice pour crimes contre l’humanité.
Dans le site The Nuremberg Files (qui est visité 200 000 fois par mois, et qui contient le témoignage d’un pasteur condamné à mort pour avoir tué un médecin), Horsley encourage ses adeptes à lui transmettre les adresses personnelles, les numéros de téléphone et les numéros de plaques d’immatriculation des «ennemis» du mouvement anti-choix. Il publie ensuite ces informations dans le cyberespace.
Sa liste d’«ennemis» comprend plus de trois cents noms. Il s’agit de médecins et d’infirmières, mais aussi de propriétaires de cliniques d’avortement, de gardiens de sécurité, ainsi que de juges et de politiciens qui se sont montrés trop sympathiques envers le mouvement pro-choix. Horsley attaque également des stars du petit et du grand écran, comme Whoopi Goldberg.

«Ces individus ont commis des crimes dont ils doivent répondre, écrit Neal Horsley. Envoyez-nous des photos de leur maison, de leurs amis, de leurs autos; leur numéro d’assurance sociale; le nom et la date de naissance de leur conjoint(e) et de leurs enfants; leurs empreintes digitales – bref, tout ce qui vous tombe sous la main. Nous transmettrons ces informations à divers organismes luttant activement contre l’avortement.»

Officiellement, ces informations serviront à «traduire les avorteurs en justice». Mais, entre vous et moi, qu’est-ce que la Cour en a à foutre de la date de naissance du fils aîné d’un médecin?

Ah, oui: si vous avez déjà pratiqué des avortements, et que vous voulez vous repentir, le site met à votre disposition un formulaire de confession, que vous pouvez envoyer à Neal Horsley via le courrier électronique. Prière d’identifier vos complices avec précision…

Engagez-vous, qu’ils disaient!
Don Bonny Anderson est un autre militant anti-avortement complètement disjoncté.

Fondateur de The Army of God, un des groupes anti-avortement les plus dangereux et les plus extrémistes de l’heure, Anderson a kidnappé un médecin et sa femme, en 1982, et les a enfermés pendant huit jours dans une remise. Il a aussi mis le feu à deux cliniques en Floride, et lancé une bombe dans une autre, en Virginie.
The Army of God publie un manuel d’utilisateur destiné au militant anti-choix – une sorte de «Terrorism for Dummies». Ce guide pratique vous encourage entre autres à verser de la colle dans les serrures des cliniques d’avortement, à injecter de l’acide dans leurs murs, à jeter de la bouse de vache dans leurs vitres et à écrire «Momy, Don’t Kill Me» sur leurs portes.

Un disciple d’Anderson a récemment accepté de répondre aux questions du webzine The Abortion Rights Activist. «Si votre fils était condamné à être exécuté demain matin, que feriez-vous? lui a-t-il demandé. Est-ce que vous vous contenteriez de faire du piquetage devant sa cellule? Non: vous prendriez les armes, et vous tenteriez de le sauver. C’est exactement ce que les membres de The Army of God font. Nous devons être prêts à mourir pour que d’autres puissent vivre. N’oubliez pas: contrairement à ce que trop de gens pensent, Jésus n’a jamais été un pacifiste.»

Méchante presse
Autre site Internet anti-avortement: Save the Babies. Son créateur, un conducteur de camion, de l’Alabama, a installé une énorme photo de fotus ensanglanté devant son bungalow. «Mon affiche arrête le trafic, annonce-t-il fièrement. Sa confection m’a coûté cher, mais qu’est-ce que quelques centaines de dollars devant une vie humaine?»

Ce militant semble tout droit sorti d’un épisode des X-Files. Ses propos sentent la parano anti-institutionnelle à plein nez.

«Les gens veulent de la vraie information sur l’avortement, écrit-il sur son site. Pourquoi la presse n’étanche-t-elle pas leur soif? Simple: parce que les médias font partie de cette conspiration destinée à tuer massivement les bébés. Dieu merci, il y a l’autoroute de l’information, qui nous relie au monde via notre ordinateur. Grâce à ce médium révolutionnaire, même un conducteur de camions peut parler directement à des millions de personnes, sans que des intermédiaires incompétents ne déforment ses propos. Que la presse aille en enfer, là où réside son Dieu et Maître. Qui a besoin d’elle, de toute façon? Elle esi ignorante et incestueuse. Laissons les personnes décentes sauver des bébés, et que la presse se tasse!»
Dieu merci, il y a l’autoroute de l’information…

Avec des amis comme ça, les internautes n’ont pas besoin d’ennemis.