Chacun leur tour, Jean Charest et Lucien Bouchard ont tenté de séduire les travailleurs autonomes. Comme on dit, mieux vaut tard que jamais. Malheureusement, les plans du PQ et du PLQ semblent improvisés. Campagne électorale, quand tu nous tiens…
«J’ai constaté que ça peut être un drame quand on n’a aucune protection.»
L’an dernier, Henri-François Gautrin, député de Verdun depuis 1989, a rencontré un travailleur autonome de son comté qui, tombé malade, se retrouvant sans emploi ni assurance, tirait le diable par la queue. C’est à partir de ce moment-là qu’il a commencé à se préoccuper du sort des travailleurs autonomes.
C’est donc en grande partie grâce à lui si, le 3 novembre dernier, le chef libéral Jean Charest a promis, une fois élu, de traiter les travailleurs autonomes aux petits oignons. C’est grâce à lui si Jean Charest a promis de mettre sur pied, entre autres, un régime d’assurance-salaire.
«On va créer un filet de protection sociale pour les travailleurs autonomes. L’avantage de ce régime, c’est que l’État peut attirer un nombre plus important de gens qui vont y contribuer, donc les primes seront plus abordables que celles des assurances privées», explique Gautrin.
Le Parti libéral estime qu’en l’an 2000, il y aura plus d’un million de travailleurs autonomes au Québec seulement. D’emblée, on se dit que le calcul est simple: un million de travailleurs autonomes, ça représente un million d’électeurs. Les détracteurs ne se gênent donc pas pour taxer d’opportunistes les libéraux qui ont décidé, en pleine campagne électorale, de se préoccuper du sort de ces travailleurs. Ce qui n’aide pas leur cause, c’est que leur projet ne semble pas tout à fait au point.
Mauvais calculs?
Le Plan libéral pour les travailleurs autonomes compte une douzaine de pages et renferme trois propositions. La pierre angulaire du projet, c’est l’instauration d’un modèle de protection du revenu des travailleurs autonomes (une assurance-salaire un peu à l’instar de l’assurance-emploi, à laquelle les travailleurs autonomes n’ont pas droit car ils n’y cotisent pas), pour qu’en cas de grossesse ou de maladie, le travailleur autonome ne soit pas pris de court.
Deuxième initiative importante: la mise sur pied de ce que les libéraux qualifient d’un régime d’épargne-formation. «Les dépenses faites par les travailleurs autonomes pour améliorer leur formation sont déductibles d’impôt. Je veux en quelque sorte bonifier ce système et faire que chaque montant épargné soit aussi déductible d’impôt avant même d’être dépensé pour la formation», explique le député Henri-François Gautrin.
Le plan prévoit en outre satisfaire une sempiternelle requête syndicale: légiférer en ce qui concerne le statut des travailleurs autonomes. En clair, éliminer la zone grise et identifier qui peut être considéré comme un travailleur autonome, et qui ne l’est pas.
Robert Pelletier, représentant du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP, affilié à la FTQ) qui parraine l’Alliance québécoise des travailleurs et travailleuses autonomes (AQTA, créée en juin 97), croit que le projet d’assurance-salaire du plan Charest n’est pas très avantageux. «C’est une boîte vide qu’on offre aux travailleurs autonomes. Une personne doit cotiser à raison de 2 % de son salaire et attendre trois ans avant d’être reconnue sur le plan fiscal comme travailleur autonome, et pouvoir profiter d’une assurance d’une durée de neuf semaines à 66 2/3 % de son salaire… T’es mieux de prendre cinquante dollars par mois, et de les mettre dans un compte à intérêts composés. Au bout de trois ans, tu vas pouvoir te les payer, tes neuf semaines!», lance-t-il.
Le représentant syndical n’est cependant pas tout à fait objectif puisque l’AQTA offre le même type de protection sociale. A la différence que l’assurance-invalidité qu’elle propose ne couvre pas les grossesses, et qu’elle comporte une indemnisation de vingt-six semaines, alors que les libéraux semblent en offrir seulement neuf.
Improvisation mixte
«Quand je regarde le projet qui a été déposé, j’ai de la difficulté à croire que les gens sont sérieux. (…) Ils ne connaissent pas le phénomène du travail autonome. Ils ne savent pas de quoi ils parlent», estime Matthias Rioux, ministre québécois du Travail.
Le projet libéral semble effectivement avoir été un brin improvisé. Henri-François Gautrin ne s’en cache pas, il a accouché d’une ébauche. «C’est un premier pas. J’aurais voulu pouvoir aller plus loin, mais l’important, c’était de démontrer que ça pourrait marcher.»
L’avantage de cette improvisation, c’est que les libéraux peuvent rejeter les critiques du revers de la main en disant que leur projet n’est qu’un work in progress. Henri-François Gautrin explique, par exemple, qu’il ne faut pas se fier aux chiffres qui ont circulé dans les médias (une cotisation qui s’élève à 2 % du salaire, une période d’attente de trois ans avant de pouvoir profiter du programme, et neuf semaines d’indemnisation). «J’ai fait une simulation de manière à ce que le plan fonctionne et qu’il réussisse à s’autofinancer. C’est vrai que trois ans, c’est long et que 2 %, c’est énorme; mais au moment où ça entrera en vigueur, on fera des modifications. Si on diminue les délais, il devra y avoir une contribution financière de l’État.» Contribution à laquelle il ne dit pas non. Une fois le projet mis en branle, monsieur Gautrin pense même ajouter une assurance qui protègera aussi les travailleurs «contre les risques économiques».
Du côté du PQ
Au PQ, la seule promesse électorale que l’on ait faite aux travailleurs autonomes est de taille. Ces derniers seraient admissibles à un congé de maternité de dix-huit semaines et à un congé de paternité de trois semaines correspondant à 70 % de leur revenu. Le projet est toutefois hypothétique car il fait partie du troisième volet de la politique familiale du gouvernement Bouchard, qui compte récupérer une somme de 300 millions de dollars, administrée par le fédéral. Le PQ avait fait la même promesse l’an dernier et les négociations avec le gouvernement Chrétien avaient achoppé… Nicole Bastien, attachée de presse de la ministre de la Famille et de l’Enfance Pauline Marois, a tout de même annoncé que le régime serait obligatoire pour tous les travailleurs autonomes qui devraient y contribuer à raison de 45 sous par tranche de 100 dollars.
Le ministre du Travail, Matthias Rioux, dit s’intéresser au phénomène du travail autonome depuis lontemps. Début septembre, il a rencontré la présidente du Conseil consultatif du travail et de la main-d’ouvre, Louise Doyon, afin de voir comment le gouvernement pouvait adapter les lois du travail au travail autonome. Ses recommandations seront vraisemblablement livrées en début de la prochaine année. Le ministre fera aussi paraître un bottin des travailleurs autonomes, à mi-chemin entre le mode d’emploi et le guide de survie.
Bref, mis à part les congés de maternité et de paternité, aucune mesure concrète n’a été proposée par le PQ. Une seule chose paraît certaine, c’est qu’un projet d’assurance-salaire comme celui des libéraux, que Matthias Rioux critique vertement, ne figure pas dans ses plans. «Je ne crois pas que ce soit la façon appropriée de protéger les travailleurs autonomes. Des assurances de la sorte, il en existe déjà. L’assurance-invalidité qu’on trouve dans les caisses populaires Desjardins est meilleure que celle des libéraux, car on est couvert à partir du moment où l’on prend l’assurance.»
Cela dit, Rioux ne ferme pas la porte à l’avènement d’un système de protection du revenu. «Mais si on propose quelque chose, ça va être un plan global, qui va légiférer quant au statut du travailleur autonome, et qui va comporter des dispositions au régime fiscal», dit-il, évasif, avant d’ajouter: «Si les recommandations impliquent des projets d’assurance-salaire, on va regarder ça de près…»