Société

Indépendants et tiers partis : Marge à l’ombre

On ne les a pas vus lors du débat des chefs. Ils sont exclus des grandes tribunes, n’ont que peu de moyens pour se faire connaître, mais persistent malgré tout à faire campagne. Du plus sérieux au plus farfelu, bref regard sur ceux qui tentent de se frayer un chemin dans un univers politique plutôt hostile.

Michèle Dionne, Parti de la démocratie-socialiste, Vanier
«Un Québec libre pour tout le monde». Le slogan annonce bien les couleurs du PDS, qui en est à sa deuxième campagne depuis qu’il est né des cendres du défunt NPD Québec. Un parti qui partage peut-être l’ambition indépendantiste avec le PQ, mais là s’arrête toute ressemblance entre les deux. «La question de la souveraineté doit être indissociable d’un projet de société, explique Mme Michèle Dionne. Au Parti québécois, toute la question du bien-être de la population est mise de côté: ce qui compte actuellement, c’est l’investissement des entreprises, la déréglementation et la cote de crédit pour pouvoir emprunter. Pour nous, la rentabilité, ce n’est pas l’équilibre des budgets: il faut soutenir les gens, que ce soit dans l’éducation, la santé ou l’environnement. Ça ne donne rien d’avoir une souveraineté s’il n’y a personne dans le décor.»

Défenseur des classes populaire et ouvrière, le PDS s’insurge contre «la dictature de la haute finance» et propose nombre de mesures à saveur progressiste: semaine de travail de 32 heures, salaire minimum à dix dollars l’heure et revenu minimum garanti, par exemple. «On doit revenir au consensus social qui s’était dégagé pendant les années 70, poursuit Mme Dionne. Le Québec doit avoir des programmes sociaux publics, universels et gratuits. Il faut se sortir de cette logique de compétitivité et, élus ou pas élus, c’est là-dessus qu’on va continuer à travailler. Quatre-vingt pour cent de la population se fait exploiter ou exclure et c’est une minorité de gens d’affaires à la tête de leurs multinationales qui dirigent tout. Ça ne peut pas continuer comme ça!»

Raymond Robitaille, chef du Parti innovateur, candidat dans Bourassa
D’entrepreneur en électricité qu’il était, Raymond Robitaille est venu à la politique au moment de prendre sa retraite et c’est sans aucune expérience qu’il a fondé son propre parti, en 1994, avec une toute petite équipe de 11 candidats. Ils sont maintenant vingt, mais «les trois quarts des candidats sont des poteaux», avoue candidement M. Robitaille. Il demeure tout de même optimiste: «On espère en avoir 125 en 2002 pour prendre le pouvoir et faire l’indépendance.»

Son principal cheval de bataille, c’est une espèce de super régime de rentes, administré par une super Caisse de dépôt: «On mettrait la cotisation à la Régie des rentes à 10 % du salaire. Si on calcule pour un salaire de 20 000 $ par année, avec un rendement de 10 % de la Caisse de dépôt (depuis trente-deux ans, son rendement a toujours été supérieur à 10 %), ça vous prend 41 ans pour devenir millionnaire. Il suffit juste de faire prendre en charge par un autre ministère les trois autres organismes qui mangent tous les profits de la Caisse: les allocations familiales, les rentes aux handicapés et les rentes aux conjoints survivants.» Pas de quoi s’inquiéter pour les organismes en question puisque M. Robitaille a déjà trouvé l’argent pour assurer leur survie. Et ce spécialiste de la calculatrice nous promet des jours heureux, si on lui donne un jour la chance de prendre le pouvoir: «Avec nous, il n’y aura plus de chômage, plus de pauvreté, plus d’incertitude, plus de récession et tout le monde aura un régime de retraite.» Le programme idéal, quoi! «Ce n’est pas un programme électoral, c’est un projet de société.»

Denys Duchêne, indépendant, Taschereau
Officiellement, M. Denys Duchêne est indépendant. En réalité, il fait partie d’une alliance informelle qui regroupe sept candidats issus du Rassemblement pour une alternative politique (RAP), un groupe de réflexion proche du PDS et dont le candidat vedette est Michel Chartrand, qui lutte contre Lucien Bouchard à Jonquière.

Mais pourquoi donc présenter des candidats sous l’appellation du RAP, alors que le programme du PDS véhicule sensiblement les mêmes idées? Pour M. Duchêne, la présence sur le terrain de plusieurs candidats de même allégeance ne peut que favoriser la circulation des idées et, du coup, augmenter le vote de gauche: «Plus on va rejoindre de monde, mieux ça va être. Je vois ça comme une addition des votes de gauche contre la droite. Il faut donner une autre voie aux gens, ils ne sont pas obligés d’aller voter le nez bouché pour le moins pire de la gang.»

Les grandes préoccupations du RAP sont consignées dans le manifeste du mouvement. Parmi celles-ci, outre la souveraineté, on retrouve des thèmes qui ne sont pas étrangers au PDS: rejet de ce «vent de droite qui balaie le Québec», refus de «la dictature du marché» et du déficit zéro comme religion, partage de la richesse, etc. Le RAP parle aussi d’un concept évoqué de plus en plus souvent, le revenu de citoyenneté: «Ça veut dire donner un revenu à tout le monde, inconditionnellement, à partir de dix-huit ans, explique M. Duchêne. Pour humaniser la société, pour enlever les étiquettes d’assistés sociaux, de chômeurs, pour donner une assurance à tout le monde. Ce qu’on vend, c’est de la justice sociale.»
Quand on court après le déficit zéro, on n’achète pas ce genre de choses.

Jean-Claude Pommet, Parti de la loi naturelle, Chapleau
Présent autant sur la scène provinciale que fédérale, le Parti de la loi naturelle a une façon pour le moins singulière de voir l’avenir: «On est le seul parti qui a de nouvelles solutions qui ont fait leurs preuves pour prévenir et régler les problèmes, explique Jean-Claude Pommet avec assurance. En physiologie, dernièrement, et c’est la découverte majeure de tous les temps, on a découvert qu’à l’intérieur de nos cerveaux, on a un potentiel illimité, que chaque cerveau humain est cosmique. Nous, on offre la connaissance totale de la loi naturelle, de l’intelligence de la nature, qui est à la base de tout dans la vie. On veut créer une copie vivante de la nature à l’intérieur de chaque individu pour que l’individu contacte ce réservoir inépuisable d’intelligence qu’il a en lui. Spontanément, il fera moins d’erreurs, il sera épanoui. On a démontré scientifiquement que la méditation transcendantale et le vol yogique étaient les moyens les plus efficaces pour éliminer le stress et accroître la cohérence dans le cerveau.» Permettez-nous d’interrompre momentanément ce programme pour préciser que le vol yogique est une espèce de méditation en chour réunissant quelques milliers de personnes. A vous, Jean-Claude: «Ils créeraient une influence d’ordre, d’harmonie et de positivité, ce qui aurait pour effet de réduire le taux de maladie, les accidents sur les routes, le chômage. On peut aussi accroître la cohérence dans la conscience collective en construisant des maisons en accord avec la loi naturelle: il faut que les portes soient face à l’est et non au sud ou à l’ouest.»

Farfelu? Ça n’empêche tout de même pas le parti d’étendre ses tentacules à un rythme effarant: «On existe dans soixante pays et, dans dix ans, on devrait être dans cent soixante-quinze pays: la terre au complet, à tous les niveaux.» Il faudra méditer là-dessus.

Claude Moreau, Parti marxiste-léniniste du Québec, Limoilou
Vous avez dit marxiste-léniniste, alors que le bloc de l’Est a éclaté voilà bientôt dix ans? «Le communisme comme religion, c’est mort, et c’est une bonne affaire, rétorque M. Claude Moreau. Maintenant, c’est aux gens de décider ce que ce sera. Ce n’est pas une recette que quelqu’un a prise dans un livre.»

Comme la majorité des candidats situés plus à gauche de l’échiquier politique, il s’insurge devant les coupures dans les budgets de la santé et de l’éducation au nom du fameux déficit zéro: «Ils nous ont fait voir la nécessité de payer la dette comme quelque chose de sacré. Ils nous imposent des valeurs, ce qu’ils appellent le consensus social, mais si on veut se sortir du pétrin, il faut peut-être remettre ça en question. Ce qu’on propose, c’est d’augmenter les investissements dans les secteurs de la santé, de l’éducation et des programmes sociaux. C’est-à-dire de voir ça non pas comme une dépense, mais comme un investissement. On financerait ça à même un moratoire sur le remboursement de la dette. Avec un tel moratoire, sans rien changer d’autre, on se retrouverait tout de suite avec des surplus, puisque trente pour cent du budget est utilisé pour la dette.»

Mais au-delà des solutions ponctuelles, le Parti marxiste-léniniste vise à modifier en profondeur le monde politique: «Les partis politiques ne devraient pas chercher à prendre le pouvoir. Ils devraient travailler à rendre le peuple capable de prendre des décisions, à créer les mécanismes qu’il faut pour ça. L’objectif de notre parti, c’est de s’attaquer au problème qui fait que ce n’est pas le peuple qui gouverne.»

Alexandre Néron, Bloc-pot, Rosemont
A neuf jours du scrutin, Alexandre Néron ne semble pas inquiet plus qu’il ne le faut: en ce samedi matin, 10h45, alors que tout ce que la province compte de politiciens tente de séduire l’électorat, le député en herbe roupille. A sa décharge, on doit préciser qu’il assistait, la veille, à une soirée du Bloc-pot, un rassemblement pré-électoral qui n’avait rien à voir avec les assemblées soporifiques de leurs adversaires. Fondé par le leader du groupe de rock alternatif Grimskunk, Marc St-Maurice, alias Boris, le parti ne fait décidément rien comme les autres. Loin des grandes questions constitutionnelles ou de la relance de l’économie, son programme tient en un seul projet: la décriminalisation du cannabis. «On est un peu tannés de l’hypocrisie face au cannabis, lance M. Néron. Il y a des milliers de gens qui nous disent de continuer mais, publiquement, il ne veulent pas s’afficher, ils ne veulent pas montrer qu’ils sont en faveur de la décriminalisation.» Agé d’à peine dix-neuf ans, cet étudiant en sciences humaines en est évidemment à sa première expérience en politique, tout comme les vingt-deux autres candidats de son parti. Bien sûr, il ne vise pas réellement un siège à l’Assemblée nationale, mais il n’y a rien comme une campagne électorale pour sortir de l’anonymat: «On commence vraiment à faire parler de nous et à avoir du monde qui vient nous aider.»

Une chose est sûre: si ses promesses partent en fumée, le Bloc-pot n’aura pas trahi ses électeurs.