Société

La mondialisation de la pauvreté : Faisons payer les pauvres!

Dans La Mondialisation de la pauvreté, MICHEL CHOSSUDOVSKY nous dévoile comment les grosses institutions financières ont forcé le tiers-monde et l’URSS à s’agenouiller devant l’autel du marché mondial. Dernière victime de ce coup de force: le Québec.

«Couper dans les dépenses sociales pour atteindre le déficit zéro est absurde. Il faut dire non au consensus!» affirme Michel Chossudovsky, professeur d’économie politique à l’Université d’Ottawa.

Ce collaborateur du Monde diplomatique, qui a travaillé auprès de la Banque africaine de développement, de l’Organisation internationale du travail (OIT) et des Nations unies, vient de publier La Mondialisation de la pauvreté, aux Éditions Écosociété. Ses idées, loin de la pensée institutionnelle, tranchent avec celles que l’on a entendues pendant la campagne et le débat des chefs.

Nous l’avons rencontré au Salon du livre, alors qu’il accordait une séance de signature.

saigné à blanc
L’ouvrage de monsieur Chossudovsky s’ouvre sur la crise de la dette des pays du tiers-monde dans les années 80. Les taux d’intérêt maintenus à des niveaux vertigineux par les États-Unis de Ronald Reagan avaient provoqué une hausse en flèche des créances du Sud. Incapables de rembourser les intérêts de leurs dettes, près d’une centaine de pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie avaient annoncé tour à tour leur faillite virtuelle. Pour éviter le pire, les créanciers du Nord, par le biais du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, avaient élaboré un plan de sauvetage: les programmes d’ajustement structurel (PAS). Il s’agissait de rééchelonner la dette des pays du tiers-monde et de leur accorder de nouveaux prêts afin qu’ils puissent respecter leurs échéances…

Ces nouvelles créances étaient conditionnelles à l’adoption de mesures de «redressement économique». Pour attirer des devises fortes, les pays du Sud devaient tourner leur économie vers l’exportation. On connaît le résultat. En se faisant concurrence sur les marchés internationaux, les producteurs du Sud ont provoqué un effondrement des prix des matières premières comme le sucre, le café, les fruits tropicaux, etc. Pendant ce temps, la fin des subventions aux petits agriculteurs engendrait la perte de plusieurs d’entre eux.

Les PAS imposaient aussi l’application de mesures d’austérité, comme des compressions dans la fonction publique, la santé et l’éducation. De leur côté, les privatisations d’entreprises nationales ouvraient toute grande la porte aux investisseurs étrangers, qui se sont souvent approprié pour une bouchée de pain les restes d’une économie en faillite.

Le résultat a été partout le même: augmentation du chômage et destruction des PME. Malgré tous leurs efforts, les pays du Sud n’ont réussi qu’à s’enfoncer plus profondément au fond du gouffre. Saignés à blanc par le remboursement de leur dette, celle-ci continue pourtant de s’accroître. En 1980, la dette extérieure des pays du Sud était de 658 milliards de dollars. Elle est passée aujourd’hui à près de 2000 milliards. Et pourtant, on estime qu’entre 1983 et 1990, les flux nets de capitaux en direction des pays riches ont atteint 150,5 milliards! «C’est le monde à l’envers. Les nations les plus démunies fournissent leur aide aux plus riches», souligne Chossudovsky.

Pendant ce temps, les compagnies étrangères continuent d’affluer, en particulier dans les zones franches, où elles ne paient ni impôts, ni frais de douanes. Elles ont accès à une main-d’ouvre abondante, qui travaille pour quelques dollars par jour. Autrefois surtout concentrées dans les secteurs du textile et de l’électronique, les firmes étrangères délocalisent maintenant aussi leurs industries de haute technologie. «Cette restructuration de l’économie mondiale donne lieu à des inégalités que l’on ne peut pas imaginer. A lui seul, Bill Gates vaut plus que le PNB du Bangladesh, un pays de 120 millions d’habitants!» s’exclame Chossudovsky.

Les créanciers du Nord, par le FMI et la Banque mondiale, ont donc tiré profit de la crise, en imposant un nouveau «colonialisme de marché», déplore-t-il. Les gouvernements nationaux ne sont plus que leurs marionnettes. A New Dehli, en Inde, les institutions de Washington peuvent suivre directement l’application des politiques économiques qu’ils ont imposées en condition à leurs nouveaux prêts, grâce à un système informatisé. C’est une domination encore plus directe que sous le régime de l’Empire britannique, souligne l’auteur.

A son avis, une solution s’impose: «Il faut annuler la dette des pays du tiers-monde.» Les créanciers du Nord se sont faits les complices de la crise en prêtant des sommes considérables à des gouvernements illégitimes, dénonce Chossudovsky. Des dictateurs ont souvent englouti les prêts dans des projets aussi somptueux qu’inutiles, ou dans l’achat de matériel militaire qu’ils ont pu ensuite retourner contre leur population désarmée. «Si on avait géré différemment la crise de la dette, le génocide du Rwanda aurait pu être évité», croit Chossudovsky.

La religion du déficit zéro
L’auteur démontre que les PAS ont ensuite été appliqués aux pays d’Europe de l’Est après l’effondrement de l’URSS et, à peu de chose près, aux pays occidentaux. Au Québec, les politiques destinées à atteindre le déficit zéro en l’an 2000 s’inscrivent dans la même logique. «Exigées par Wall Street, les mesures d’austérité adoptées au Québec ressemblent fort à la thérapie de choc que le Fonds monétaire international impose aux pays endettés du tiers-monde», écrit Chossudovsky.
«Ce ne sont pas les dépenses sociales qui sont responsables du déficit», croit-il. Ce sont plutôt les dettes des grandes sociétés qui ont été effacées et transformées en dettes publiques depuis les années 80. «Les grandes banques canadiennes, dont les bénéfices battent de nouveaux records, paient très peu d’impôts. Elles possèdent aussi de nombreuses filiales dans les paradis fiscaux», souligne-t-il.

«Il faut réfuter la logique des mises à pied et des compressions. Les syndicats qui ont accepté l’objectif du déficit zéro font partie du problème. Ils ont appuyé le gouvernement péquiste plutôt que de se mobiliser contre les compressions. Aujourd’hui, ils s’en repentent. Ils comprennent que leur choix impliquait des mises à pied et des fermetures d’hôpitaux.
«En mettant des gens au chômage, on crée de la pauvreté, pas l’inverse.» Selon Chossudovsky, il faut une politique expansionniste qui viserait la relance du pouvoir d’achat par l’accroissement des salaires et de l’emploi. Est-il keynésien? «C’est une pensée qui m’inspire. Mais qu’est-ce que ça signifie de nos jours? Il faut changer de cap. Sinon, d’ici quelques années, tous les acquis de la Révolution tranquille seront détruits au Québec. Mais aujourd’hui, personne ne se demande s’il y a un mensonge derrière le consensus. On y croit, comme on croyait à l’Inquisition espagnole…»

La mondialisation est un sujet qui suscite un intérêt… mondial. A preuve, l’ouvrage de Chossudovsky, intéressant et bien documenté, est déjà traduit en anglais, en coréen, en italien, en portugais et en espagnol.

La Mondialisation de la pauvreté, Éditions Écosociété, 1998, 248 pages