Jack Kevorkian : Docteur Mort
Société

Jack Kevorkian : Docteur Mort

«Je suis un esprit formidable, perdu dans la Grande Noirceur.»
– Jack Kevorkian

Il y a deux semaines, le docteur Jack Kevorkian, superstar du suicide assisté aux États-Unis (il a «aidé» 120 personnes à mourir au cours des neuf dernières années), a donné une vidéocassette aux producteurs de l’émission 60 Minutes, le montrant en train de faire une injection létale à un patient. Les producteurs ont décidé de diffuser la cassette. Quelques heures plus tard, la Justice du Michigan a arrêté Kevorkian et l’a accusé d’homicide prémédité. De coqueluche des médias, le célèbre docteur Death est devenu un martyre.
Les gens parlent beaucoup de Jack Kevorkian. Mais qui est-il vraiment? Est-il un humaniste qui agit par compassion, comme il se dépeint souvent; ou un dangereux psychopathe?

Wham Bam thank you ma’m
A la fin novembre, dans la revue The New Republic, la journaliste Stephanie Gutmann a signé un texte intitulé Death and the Maiden, pourfendant le mythe du bon docteur. Kevorkian, dit-elle, ne prend pas toujours la peine de vérifier l’état de santé mental et physique de ses patients. A plusieurs reprises, il lui est arrivé de «tuer» des femmes qui ne souffraient que de dépression nerveuse; ou alors des femmes qui étaient effectivement malades, mais qui avaient encore plusieurs belles années devant elles…

C’est ainsi qu’en juin 1989, Jack Kevorkian aida Janet Adkins, une mère de famille de cinquante-quatre ans, à mettre fin à ses jours. Madame Adkins avait toujours été une femme hyper-énergique: elle avait élevé trois garçons, elle faisait de l’alpinisme et du deltaplane. Mais un jour, elle s’est mise à avoir des trous de mémoire: elle ne se pointait pas à ses cours de tennis, elle oubliait son sac à main quand elle sortait… Des médecins de l’hôpital de Portland lui ont dit qu’elle souffrait de la maladie d’Alzheimer. Or, il y a plusieurs formes de ce mal. Ça peut prendre quinze ans avant qu’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer devienne complètement dysfonctionnelle. Janet Adkins, par exemple, pouvait encore battre son fils au tennis, et avoir de longues discussions avec ses amis. Mais qu’importe: dès que les médecins eurent posé leur diagnostic, monsieur Adkins téléphona à Jack Kevorkian, et discuta avec lui des procédures à suivre.

On hésite plus longtemps avant d’aller faire piquer son chat chez le vétérinaire…

Le festival des bavures
Le Detroit Free Press, un journal alternatif dont la réputation n’est plus à faire, publie, sur son site Web, un très long reportage sur le docteur Kevorkian. Les journalistes qui ont travaillé à ce reportage ont interviewé des centaines de personnes, et ont examiné des milliers de pages de documents, dont des dossiers médicaux, des rapports d’autopsie et des lettres personnelles.

Voici quelques-unes de leurs conclusions:

* 60 % des «patients» du docteur Kevorkian ne souffraient pas de maladie mortelle.

* Dans un article qu’il a écrit en 1992, Jack Kevorkian affirme qu’il faut toujours vérifier l’état mental de ses patients avant de les aider à mourir, histoire de savoir s’ils sont dépressifs ou pas. Or, le docteur Kevorkian n’a consulté aucun psychologue dans au moins dix-neuf cas. Cinq de ses patients étaient dépressifs.

* Jack Kevorkian a toujours dit qu’il fallait rencontrer ses patients à plusieurs reprises avant de les aider à mourir, afin de mieux les connaître. Or, à dix-sept reprises au moins, Kevorkian a «piqué» des gens qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant. Trois de ses patients sont morts trois heures seulement après l’avoir rencontré pour la première fois. Un autre, une heure seulement après son premier rendez-vous!

* Jack Kevorkian a déjà écrit que les euthanologues doivent toujours consulter un spécialiste de la douleur avant d’aider leurs patients à mourir, afin de savoir s’ils souffrent réellement ou si leurs douleurs ne sont pas le fruit de leur imagination. Dans dix-sept cas, Kevorkian n’a pas consulté de tels spécialistes.

* Une de ses patientes était une toxicomane dépressive de trente-neuf ans. Elle disait qu’elle était atteinte de sclérose en plaques. L’autopsie a révélé que c’était faux.

* Parmi les nombreux patients de Jack Kevorkian, dix-huit ont demandé à mourir parce qu’ils souffraient d’incontinence – ce qui est loin d’être une maladie mortelle…

Bref, Jack Kevorkian est loin d’être un modèle de rigueur professionnelle. Son éthique est élastique, et il ne fait pas toujours ce qu’il prêche dans ses écrits.

Lorsqu’il a commencé sa carrière, Jack Kevorkian distribuait des cartes d’affaires annonçant: «Jack Kevorkian, médecin, conseiller spécial en matière de mort.» Plus tard, il fit publier une petite annonce dans un journal de Detroit: «Vous souffrez d’un handicap sévère ou d’une déformation? Soumettez-moi votre candidature. Je vous aiderai à mourir.» Aujourd’hui, il confronte la justice, afin de forcer les autorités médicales, religieuses et politiques à débattre publiquement de la question délicate – et épineuse – du suicide assisté.

L’homme, clairement, se croit investi d’une mission. Reste à savoir s’il est à la hauteur de celle-ci. y