Depuis 1995, la station de radio mohawk CKRK, basée à Kahnawake, se spécialise dans le hip-hop. Elle est devenue la coqueluche des jeunes francophones. Une des raisons de son succès? Elle se fout des normes du CRTC. Qui sait? Bientôt, il y aura peut-être une télé commerciale qui diffusera à partir d’une réserve…
La station de radio CKRK FM est une station mohawk, qui diffuse à partir de Kahnawake, et en anglais seulement. En 1995, cette station, spécialisée dans la musique country, a décidé de prendre un virage, et de se consacrer au hip-hop et au rhythm & blues. Après trois ans de cette révolution «black», c’est l’étonnement dans le fief de Joe Norton. Non seulement CKRC est-elle devenue l’une des radios préférées des jeunes, mais elle est maintenant écoutée par des francophones!
«C’est une vraie surprise pour nous: une grosse partie, sinon la majorité de nos auditeurs sont de jeunes francophones de la Rive-Sud et de Montréal», explique Joe Delaronde, directeur de la programmation (et aussi morning man) à CKRK 103,7 FM, de Kahnawake.
Depuis, pour savoir ce qui vend dans le domaine du hip-hop chez les Québécois de quinze à vingt-cinq ans, les compagnies de disques et les producteurs se branchent sur CKRK; promotion d’artistes locaux (Shades of Culture, DJ Ray, Chilàn), le seul «top ten» noir au Canada… Cette semaine, CKRK présentait le spectacle solo de Lauryn Hill, chanteuse des Fugees.
«C’est devenu la référence sur la scène du hip-hop et de la musique noire urbaine à Montréal», tranche Cédric Morgan, producteur d’une émission de hip-hop sur… CIBL, la station communautaire de l’Est de Montréal! «Ils ont grugé beaucoup de notre auditoire, et aux stations étudiantes aussi. CKRK est le seul endroit où l’on peut écouter du hip-hop mur à mur.»
Bref, c’est un peu le même phénomène qui se produit avec BUZZ FM, la station de Plattsburgh, dans l’État de New York, qui, avec son rock alternatif et son ska, attire plus les jeunes Montréalais que les fils de bûcherons des Adirondacks.
Hip-hop hourra!
CKRK est dans la même lignée que BUZZ, mais ses 250 misérables watts de puissance limitent son champ de diffusion. De Saint-Henri à Kirkland, et sur la Rive-Sud, on la capte sans problème. Mais CKRK n’arrive pas à percer le mur de son formé par les gratte-ciel du centre-ville et par le mont Royal. Au nord, à l’est, et sur le Plateau Mont-Royal, la fréquence 103,7 demeure muette. «Ah! le Plateau, soupire Delaronde, ça, c’est un marché qui nous serait naturel. Il faut trouver un moyen pour que les jeunes sur le Plateau puissent nous capter.»
La station CKRK est trop petite pour s’offrir une place au palmarès des cotes d’écoute. On ne peut donc pas mesurer scientifiquement sa popularité. Mais si l’on se fie au nombre de demandes spéciales que reçoivent les animateurs, le succès est indéniable. Récemment, CKRK a fait déplacer mille amateurs de rap au Centre Fairview Pointe-Claire pour une activité promotionnelle!
La station ne reçoit aucune subvention, pas même du Mohawk Council. Et c’est très bien ainsi, croit le morning man. «Sinon, on deviendrait la voix officielle des politiciens de la communauté mohawk!»
Tous les revenus de CKRK sont donc générés par la publicité. La station doit vendre pour au moins cinq cent mille dollars de pub par année si elle veut boucler le budget. Ce qu’elle résussit très bien, nous confie Delaronde, qui refuse de dévoiler le chiffre d’affaires réel de la station.
Fuck le CRTC
La programmation de CKRK fait le bonheur des jeunes, mais pas celui des gardiens de la culture canadienne. C’est que sa programmation ne respecte pas beaucoup les normes du Conseil de la radio et de la télédiffusion canadiennes (CRTC). En effet, les stations diffusant en anglais doivent faire tourner au moins 30 % de contenu made in Canada (35 % dès janvier prochain). A CKRK, on est loin du compte, la scène hip-hop canadienne, plutôt restreinte, pouvant difficilement permettre de remplir les conditions du CRTC. «Nous, on fait tourner ce que nos auditeurs aiment», dit Delaronde.
«On fait des spot checks, mais, en général, ce sont les concurrents qui nous avisent si une station ne respecte pas les conditions de sa licence», explique Denis Carmel, porte-parole du CRTC.
«Les normes du CRTC, on s’en fout un peu, admet Delaronde. De toute façon, comme on est une petite station dans une réserve, on ne nous achale pas trop avec ça.»
Aucune plainte n’a été portée contre CKRK. Quant aux grandes stations de Montréal, elles semblent s’en contrefoutre: ni CKOI ni CKMF, deux stations qui visent également le public jeune, n’ont daigné communiquer à Voir leur appréciation de CKRK.
Toutefois, elles pourraient être moins avenantes, si elles estiment qu’une partie de leur tarte publicitaire leur échappe au bénéfice de la Mohawk radio. Qui sont les annonceurs de CKRK? Des commerces de la Rive-Sud et du West Island, et les compagnies de disques qui ont signé des artistes hip-hop.
«A l’exception des stations communautaires et des radios étudiantes, CKRK est le seul endroit où les rappeurs de Montréal peuvent être entendus, dit Cédric Morgan. A condition de chanter en anglais! Officiellement, CKRK ne boycotte pas les artistes francophones, mais c’est tout comme.»
Cependant, il semble y avoir une certaine ouverture. Maintenant qu’il sait que son auditoire est formé en bonne partie par des francophones, Joe Delaronde a déniché une nouvelle mission pour CKRK: servir de pont entre le Québec français et l’Iroquoisie anglaise. Joe est même prêt à effectuer un stage au pays de Lucien Bouchard pour apprendre la langue de Ti-Mé Paré! Môman…