Noam Chomsky : Penseur punk
le discours de Noam Chomsky intitulé Corporate Media: Radio, TV andthe Information Highway.
Écoutez un extrait de la pièce State-Lottery, du groupe Propagandhi.
Héros de l’extrême gauche des années 70, NOAM CHOMSKY connaît un regain de popularité grâce à des groupes comme Radiohead, Bad Religion et Chumbawumba. L’étiquette punk Epitaph vient même de sortir trois CD de ses discours! Chomsky, star de l’underground musical?
Qui connaît Noam Chomsky? Posez cette question autour de vous et vous risquez d’avoir bien plus de réponses négatives que positives. Pourtant, le Chicago Tribune a déjà qualifié Chomsky d’auteur vivant le plus souvent cité, le plaçant même au huitième rang des plus grands intellectuels de tout les temps, juste derrière Freud et Platon!
Résumer Noam Chomsky n’est pas simple. Son ouvre puise ses origines en 1957, avec Syntactic Structures, le livre qui a initié la «révolution chomskyenne» dans le domaine de la linguistique. Ses théories sur l’aspect inné d’une grammaire universelle que posséderait tout être humain dès la naissance ont eu des répercussions majeures dans un domaine où l’on croyait que seuls les stimuli extérieurs agissaient sur le cerveau pour le programmer (comme le démontrait la théorie du behaviorisme de B.F. Skinner). Mais c’est surtout avec ses déclarations radicales sur la politique intérieure et extérieure des États-Unis, sur le contrôle qu’exercent les grandes corporations, et sur les médias de masse (qu’il accuse de manipuler, déformer et filtrer l’information au profit des intérêts de ceux qui les possèdent) que Chomsky s’est forgé une réputation mondiale.
La révolution dansante
Alors que dans les années 60-70, Noam Chomsky avait la sympathie sans condition des intellectuels de gauche, les golden eighties le marginalisèrent. Mais depuis quelques années, le vent a tourné, et Chomsky est devenu une véritable figure emblématique dans le milieu musical underground. C’est ainsi que la très crédible étiquette de disques punk Epitaph (maison des groupes Bad Religion, Offspring et Rancid) vient tout juste de lancer une série de trois CD de discours de Chomsky: The Clinton Vision: Old Wine, New Bottles; Prospects for Democracy, et Class War: The Attack on Working People. Aussi, plusieurs formations aux origines musicales diverses ont inclus des propos de Chomsky dans leurs ouvres ou ont publiquement appuyé ses idées: Bad Religion, Fun’da’mental, Radiohead, Chumbawumba, Propagandhi, Bono, Billy Bragg, Jello Biafra, Don Was, le comédien et activiste Ed Asner…
Pour Peter Wintonick, coréalisateur de l’excellent documentaire Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the Media (le film le plus populaire de l’histoire du documentaire québécois!), cet engouement du milieu musical pour Chomsky s’explique facilement: «Ce n’est pas une coïncidence si Noam Chomsky a trouvé une petite place sur l’étiquette punk Epitaph: c’est AUSSI une personnalité alternative. Il a beau enseigner au prestigieux MIT, il est quand même marginalisé. Comme la plupart des musiciens alternatifs, Chomsky encourage les gens à toujours se remettre en question, à confronter les autorités, et à combattre les préjugés… Vous savez, il existe un lien entre la politique et la musique. La militante Emma Goldman disait que les seules révolutions qui comptent sont celles qui nous font danser. De même, Chomsky questionne la nature de la danse. Il nous demande: >Pour qui dansez-vous? Quel pouvoir servez-vous?>»
L’ère du soupçon
Pour Charles-André (Chuck) Comeau, ex-batteur du groupe punk Reset (qui travaille présentement à un nouveau projet), les idées de Chomsky rejoignent souvent celles des jeunes. «Beaucoup de jeunes éprouvent de plus en plus de difficultés à trouver leur place dans un paysage médiatique qui ne leur ressemble pas, dit-il. Ils ont une forme de cynisme face aux médias, ils sentent qu’ils ne sont pas toujours objectifs et qu’ils font souvent preuve d’hypocrisie. En ce sens, les jeunes peuvent se sentir interpellés par l’analyse que Chomsky en fait. Il confirme la validité de leur choix de s’écarter des médias traditionnels pour se tourner vers des sources alternatives d’information. A partir du moment où l’on fait le constat que les médias ne sont pas faits pour nous parce qu’ils défendent avant tout les opinions de ceux qui ont de gros intérêts économiques, donc de droite, Chomsky vient nous encourager à agir d’une autre façon. Ce que fait Epitaph est un bon exemple de cette façon autre d’agir: ils prennent l’argent qu’ils ont gagné avec Rancid et Offspring pour le mettre dans des projets comme les disques de Chomsky, avec lesquels ils ne feront sûrement pas d’argent, mais qui permettront à une vision alternative de se propager dans l’underground, là où les gens sont le plus réceptifs aux changements.»
Même son de cloche chez Louis Veillette, vétéran de la scène underground électronique et chomskyen avoué: «Deux des principales caractéristiques de la scène underground sont la remise en question des valeurs reçues par les générations précédentes et la critique du monde qui nous entoure. Parfois, cette critique est plutôt puérile, mais parfois, elle vise juste. Dans une société où tout nous est plus ou moins acquis d’avance (ou du moins, c’est l’illusion que l’on s’évertue à nous faire gober), contre quoi peut-on encore se rebeller? Quand les aspirants maires parlent d’émettre des permis pour les squeegees et de réserver des espaces aux graffitis, même la révolte est recyclée, elle est devenue un outil de mise en marché comme les autres. Alors, que reste-t-il à attaquer? Il reste justement à attaquer ces méthodes de mise en marché et ces illusions qui sont créées pour nous, soit dans le but de nous asservir en nous ramollissant l’occiput, soit dans le but de nous transformer en machines à surconsommer. Chomsky a bien démonté les rouages de cet appareil et les a exposés au grand jour. Il ne restait plus aux pop stars et à la scène underground qu’à crier cette nouvelle forme de rébellion sur tous les toits.»
Toutefois, même en s’identifiant fortement à l’idéologie chomskyenne, Chuck croit qu’il faut constamment garder l’esprit critique, même face à ses propres convictions: «Je ne crois pas qu’il faille voir tout en noir ou tout en blanc: il y a beaucoup de zones grises. Et en fréquentant les médias alternatifs, on finit par se rendre compte qu’eux aussi ont une langue de bois et font de la rhétorique. Mais à force de lire Chomsky, on réalise que ces zones grises penchent de plus en plus du côté des opprimés. Il te donne une vision plus globale et provoque des réflexes d’autoprotection face aux médias, peu importent leurs tendances politiques. Finalement, ce qui est important, c’est de savoir faire contrepoids aux informations qu’on reçoit.»
Tasse-toi, mon oncle!
Et cette tendance, de plus en plus présente dans les milieux alternatifs à tout remettre en question (qu’elle s’exprime par une paranoïa de la conspiration ou par un questionnement légitime des idées et valeurs reçues) n’est, selon Wintonick, que la suite logique de l’évolution d’une partie de la société qui cherche une issue face au dollar tout-puissant:
«La Longue Marche des artistes avant-gardistes, des critiques, des musiciens et des philosophes a commencé, et les grosses corporations médiatiques devront se tasser. Si plusieurs progressistes des années 60 et 70 ont effectivement pris leurs distances par rapport à leur passé idéaliste, plusieurs artistes continuent d’utiliser les médias pour proposer des visions alternatives. Ils font entendre un autre son de cloche aux quatre coins du monde – un son de cloche qui résonne chez la nouvelle génération, celle de l’après-baby-boom.»